Par Marc Trost, co-fondateur et associé d’Orbiss
La France et les États- Unis entretiennent des relations économiques privilégiées. Selon une étude publiée par l’ambassade de France aux États-Unis en 2019, la France y est le troisième employeur étranger avec 730 000 emplois créés par 4 800 filiales d’entreprises françaises. Il est évident que la crise actuelle du coronavirus rend la situation incertaine. La fermeture des frontières et les mesures de suspension liées à l’immigration restreignent les possibilités de développement de sociétés étrangères aux États-Unis. Néanmoins, cette crise est nécessairement temporaire et le marché américain et ses 328 millions d’habitants resteront sans aucun doute une cible de choix pour les entreprises françaises et européennes en quête de développement.
L’entrée d’une entreprise sur le marché américain peut notamment être effectuée par le biais d’une croissance externe via le rachat d’une société existante. Dès lors, il est possible de s’interroger sur les problématiques juridiques, comptables et fiscales liées à l’acquisition d’une filiale.
FRANCE VS. USA : DE LA DIFFÉRENCE DES PRATIQUES COMPTABLES OUTRE- ATLANTIQUE
L’environnement comptable américain présente de grandes différences par rapport au système français.
Les sociétés américaines non cotées n’ont pas l’obligation de préparer des comptes selon les normes comptables américaines « US GAAP », ni de déposer ces comptes auprès du greffe du tribunal de commerce tel que les sociétés françaises sont tenues de la faire. La tenue de comptabilité est néanmoins requise pour la préparation de la liasse fiscale. Une société peut ainsi utiliser une méthode comptable autorisée par le code fiscal américain, l’Internal revenue code (IRC) : comptabilité de trésorerie, d’engagement ou même « hybride » qui consiste en une combinaison de ces deux dernières. Il est ainsi indispensable d’être attentif au référentiel comptable utilisé lors de la lecture d’états financiers préparés par une cible américaine.
L’audit annuel pour les sociétés non cotées n’est pas non plus obligatoire même s’il peut être requis de manière contractuelle, comme le demandent parfois certaines institutions financières. S’agissant d’une cible non auditée, les procédures de contrôle interne nécessairement existantes et sans lesquelles aucune structure ne pourrait fonctionner, peuvent parfois se rapprocher davantage de celles d’une société familiale en comparaison d’une PME française de taille équivalente.
QUELLES CONSÉQUENCES FISCALES DU CHOIX DE LA FORME DE L’ACQUISITION ?
Deux options sont envisageables pour l’acquisition d’une société américaine, (I) par achat d’actions ou de parts sociales (« stock deal »), ou (II) par rachat des actifs (« asset deal »).
Lors d’une acquisition d’actifs, l’acquéreur acquiert uniquement les actifs corporels et incorporels – et n’assume que les passifs – spécifiquement identifiés dans le contrat d’acquisition. La base fiscale des actifs, sur laquelle sera calculée les amortissements futurs, est réévaluée à leur valeur de marché à la date de la transaction. La différence entre la valeur cumulée des actifs qui ont été identifiés et le prix global sera enregistrée en écart d’acquisition (goodwill) amortissable fiscalement sur 15 ans. Ce mécanisme présente donc un avantage d’ordre fiscal pour l’acquéreur. À l’inverse, ce type de transaction peut présenter un inconvénient pour le vendeur. Le montant de la plus-value réalisée par ce dernier peut être supérieur à celui réalisé à la suite d’une vente de titres en raison des modalités de calcul et la prise en compte de bases fiscales différentes. Le vendeur peut alors être amené à négocier une compensation pour cette charge fiscale supplémentaire.
Il est parfois impossible de racheter uniquement les actifs pour des raisons juridiques, dans l’hypothèse par exemple ou des contrats clés ne sont pas transférables. Dans le cadre d’une cession de titres, la société cédée conserve son statut fiscal. Les attributs fiscaux d’avant-vente sont reportés en avant, tels que les pertes accumulées et les bases d’amortissements fiscaux des immobilisations qui ne sont pas réévaluées.
Néanmoins, deux élections prévues à l’article 338 de l’IRC permettent de réévaluer les bases fiscales de manière similaire à un rachat d’actif, tout en conservant la nature juridique d’une acquisition de titres. Leur condition d’application et leur bénéfice potentiel sont à étudier lors les phases de négociation.
Concernant le transfert de l’utilisation des déficits, il est impératif pour l’investisseur de prendre en compte les effets de l’article 382 de l’IRC. En effet, à la suite d’un changement de contrôle tel que défini par l’IRC, l’administration fiscale limite l’utilisation des pertes reportées en avant sur les bénéfices futurs. L’utilisation maximale annuelle est égale à la valeur de marché de la cible multipliée par un taux mis à jour régulièrement et publié par l’Internal revenue service (IRS). Dans le cas du rachat d’un groupe international, il est fréquent que la filiale américaine n’ait pas de valeur distincte reportée dans le contrat d’acquisition global. Cette valeur devra alors être calculée pour les raisons évoquées ci-dessus.
COMMENT LE SYSTÈME FÉDÉRAL AMÉRICAIN INFLUENCE-T-IL L’ACQUISITION D’UNE FILIALE ?
D’un point de vue juridique, il est important de garder à l’esprit que les États-Unis sont un pays constitué de 50 États et du District de Columbia. L’acquisition de la filiale sera donc soumise à des lois fédérales mais aussi étatiques différentes selon le ou les État(s) en question. Les sociétés sont majoritairement domiciliées dans l’état du Delaware pour des raisons généralement juridiques et non fiscales comme parfois perçu à tort par certains investisseurs. En effet, une société américaine doit déposer une liasse fiscale et payer l’impôt correspondant dans tous États dans lesquels cette société a un Nexus, défini différemment par chaque État. Une présence physique matérialisée par des salariés, des locaux professionnels ou par d’autres biais créera généralement un Nexus.
La revue de conformité juridique préalable à l’acquisition devra s’adapter à ces spécificités. À titre d’exemple, en matière de droit social, la rédaction d’un contrat de travail n’est pas obligatoire dans la plupart des États. Les règles de comportements, les rémunérations sous forme d’avantages en nature ou « benefits » (assurance maladie, plan de retra te etc.) sont généralement prévues dans le Employee Hand- book. Ce document interne peut contenir les procédures de ressources humaines applicables au sein de la société. D’un point de vue opérationnel et de la gestion des effectifs, il est capital de considérer le caractère at will des relations de travail, permettant d’y mettre fin sans préavis. Des salariés américains ont l’avantage de connaître le marché local et de transmettre leur expérience mais peuvent présenter l’inconvénient d’une plus grande mobilité. Il est crucial de sécuriser les employés clés avec par exemple des contrats du type stock-options et également considérer l’expatriation de salariés qui apporteront la culture groupe tout en trouvant la répartition idoine entre les salariés locaux et expatriés. L’évolution de la crise du coronavirus et des mesures restrictives en matière d’immigration annoncées par le président Trump en avril 2020 sera d’une importance capitale à ce sujet.