Mini abus de droit fiscal, mais maxi effets ?

(Photo : Pixabay)

Par Philippe Clément, Avocat Associé, droit du patrimoine, Fidal Barreau de Reims, philippe.clement@fidal.com et Benoît Decamps, Avocat, droit fiscal, Fidal Barreau de Reims, benoit.decamps@fidal.com

La mode du « mini » est de retour !

Après une première tentative infructueuse en 2014 pour cause de censure du Conseil Constitutionnel, le législateur a élargi la notion d’abus de droit par fraude à la loi. La loi de finances pour 2019 a en effet institué une nouvelle procédure de répression des montages ayant un but principalement fiscal (qualifiés de « mini abus de droit»), alors que n’étaient jusqu’à présent visés que les montages à but exclusivement fiscal.

L’administration fiscale peut en effet considérer que ne lui sont pas opposables les opérations réalisées par application littérale d’un texte, mais contraires à l’intention de son rédacteur, avec pour objectif principal une économie de charges fiscales.

Un vaste champ d’application

Nul besoin d’une analyse approfondie pour imaginer l’étendue des possibilités offertes à l’administration fiscale par cette nouvelle procédure. Il n’est pas rare en effet qu’à l’utile (la recherche d’un avantage économique ou/et patrimonial) soit joint l’agréable (une économie d’impôt).

Prenons l’exemple suivant, assez classique : Mr et Mme X, qui ont deux enfants, sont propriétaires d’un immeuble à usage locatif, dont les revenus sont soumis à l’impôt sur le revenu au taux maximum (45 %) et aux prélèvements sociaux (17,20 %), soit globalement 62,20 %. Si l’immeuble est apporté à une société soumise à l’impôt sur les sociétés, les revenus (par définition inférieurs à 500 000 €) sont imposés au taux maximum de 28 % ; les dividendes sont soumis à la « flat tax » au taux de 30 %. Soit un total de prélèvements de 49,60 %. Au regard de l’économie de prélèvements, et estimant que la détention de l’immeuble par une société en facilitera la transmission, Mr et Mme X en font l’apport à une S.C.I. qu’ils font opter à l’impôt sur les sociétés. Puis, la nue-propriété des parts est donnée à leurs enfants pour anticiper la transmission de leur patrimoine.

Les conséquences patrimoniales de l’apport sont incontestables : il est plus facile de partager des parts de sociétés qu’un immeuble ! À l’évidence, ce « montage » n’a pas un but exclusivement fiscal. Mais que pèse l’avantage patrimonial au regard des économies de prélèvements réalisées par M. et Mme X ? L’apport de l’immeuble suivi de l’option pour l’impôt sur les sociétés ne traduisent-ils pas la recherche d’un avantage principalement fiscal ? Le débat est ouvert …(1)

Une appréciation nécessairement subjective source d’insécurité fiscale

Même si la communication officielle de la majorité présidentielle sur le sujet se veut rassurante et assure viser la lutte contre l’optimisation agressive et l’évasion fiscale internationale des entreprises, cette nouvelle définition de l’abus de droit introduit une insécurité juridique plus grande pour les particuliers.

L’administration fiscale pourra en effet dire à la place du contribuable, a posteriori, quel était l’objectif principal qui a prévalu lors de la mise en place de tel ou tel schéma juridique. Or, cette reconstitution a posteriori est paradoxale. Alors que l’administration fiscale a pour rôle de veiller à la bonne application de la loi, le législateur instaure un dispositif qui laisse place à toutes les interprétations possibles. En effet, il existe tellement de critères propres à chaque individu tels que son âge, sa situation familiale, sa situation professionnelle, qui peuvent influencer ses choix personnels, qu’instaurer une définition de l’abus aussi large et imprécise paraît totalement illusoire.

En outre, plusieurs objectifs sont souvent visés, dont l’importance respective peut d’ailleurs évoluer au fil du temps. Cette crainte d’un pouvoir d’interprétation subjective par l’administration fiscale a déjà suscité beaucoup d’émois et d’interrogations. À tel point que le Ministère de l’action et des comptes publics a affirmé dès le 19 janvier que la nouvelle définition de l’abus de droit ne remet pas en cause les transmissions anticipées de patrimoine, notamment celles pour lesquelles le donateur se réserve l’usufruit des biens transmis… sous réserve bien entendu que les transmissions ne soient pas fictives.

Un dispositif cependant difficile à mettre en œuvre

Comment comparer un objectif quantifiable (une économie de charges fiscales) avec un objectif non quantifiable (un but purement familial par exemple) ; sur quels critères hiérarchiser les objectifs ? L’administration ne pourra pas faire l’impasse sur cette comparaison, ce qui pourrait freiner ses ardeurs. Et après avoir démontré que l’opération incriminée a pour objectif principal d’atténuer les charges fiscales, il lui faudra en outre démontrer qu’elle a été faite en contrariété des objectifs de l’auteur du texte ou de la décision appliqués.

« Mini abus », mini sanctions ?

Ce nouveau cas d’abus de droit a été présenté devant le Parlement comme un « mini-abus de droit » qui, contrairement à l’abus de droit classique, réprimant les décisions prises dans un but exclusivement fiscal, ne sera pas assorti de la pénalité automatique de 80 %. Cette notion de mini-abus de droit est cependant trompeuse, car rien n’interdit à l’administration de considérer que ce mini-abus mérite des pénalités de 40 % pour manquement délibéré ou de 80 % pour manœuvres frauduleuses (article 1729 du Code Général des impôts).

De plus, l’application de ces pénalités est susceptible de déclencher des poursuites pénales pour fraude fiscale. En vertu de la loi anti-fraude du 23 octobre 2018, sont désormais transmis automatiquement au parquet les dossiers de contrôle fiscal dans lesquels ont été appliquées des pénalités de 80 %, ou bien, en cas de récidive, des pénalités de 40 %. Une application littérale du texte permet donc à l’administration fiscale d’engager la responsabilité pénale d’un contribuable pour avoir réalisé un acte qui n’est nullement frauduleux mais qui a eu, parmi d’autres motifs, celui de ne pas payer trop d’impôts.

Une application différée

Ces nouvelles dispositions sont applicables à compter du 1er janvier 2020. D’ici là, l’administration précisera les modalités d’application du nouveau dispositif, en concertation avec les professionnels, afin de garantir la sécurité juridique. Peut-être indiquera-t-elle que certaines opérations ont par nature un objectif patrimonial ou familial principal.

Pour l’administration fiscale, le champ des possibles est vaste. À l’inverse, pour le contribuable, le champ des possibles se restreint sensiblement. La seule connaissance du texte de loi ne suffit plus, encore faut-il savoir lire entre les lignes…, ou, mieux encore, savoir s’entourer pour lire entre les lignes et s’assurer d’une application personnalisée du texte.

(1) Qui se rappelle aujourd’hui les objectifs visés par le législateur lorsqu’il a autorisé l’option des sociétés civiles pour l’I.S. ?