Les deuxièmes Assises de la ruralité du Grand Est ont été organisée mardi 21 mai à Sainte-Ménehould (Marne). Consciente de ses faiblesses, la campagne souhaite aussi se mobiliser pour croire en son avenir.
«L’Argonne est le symbole du dialogue que nous tissons avec l’ensemble des territoires », présente Jean Rottner, président du Conseil régional. Ce qui explique le choix de Sainte-Ménehould pour organiser la deuxième édition des Assises de la ruralité du Grand Est. « Nous ne devons plus être des réceptacles en attente de l’État ou d’entreprises, mais nous devons avoir la responsabilité de notre développement et prendre notre destin en main », indique le président de Région.
S’il faut avoir conscience des contraintes, il ne faut pas négliger les atouts du monde rural selon celui qui cite l’industrie de la prothèse de hanche à Nogent (Haute-Marne) ou encore la réussite d’Axon’Cable à Montmirail (sud-ouest marnais) comme des exemples : « Nous devons essayer de trouver comment transformer nos territoires. Menons une réflexion collective de manière différente, élaborons autrement ».
Pour dessiner cet avenir de la ruralité du Grand Est, Jean Rottner rappelle l’engagement de la Région dans le déploiement du très haut débit, dont le premier nœud de raccordement du réseau Losange (1,3 Md€ pour 900 000 prises dans l’ex-Champagne- Ardenne, les Vosges, la Meuse et la Meurthe-et-Moselle) a été mis en service fin 2018 à Sainte-Ménehould. Alors que les habitants, les commerces et les services publics déclinent dans les campagnes, Franck Leroy, vice-président en charge de la cohésion territoriale, comprend « que le monde rural se sente légitimement oublié des politiques publiques ». C’est justement pour y répondre que le Grand Est a décidé d’investir dans la fibre optique « en commençant par les territoires où le débit internet est le plus faible ». Tout en soulignant que ce projet commun permet d’obtenir « le tarif le plus bas de France avec 100 € par prise ».
Le maire d’Épernay y voit un facteur incontournable pour attirer des jeunes familles et des entreprises et invite à inventer de nouveaux usages pour « booster les territoires ruraux ». En terme de transport, de médecine du travail ou de service public, « le numérique doit lever des obstacles », espère l’élu. Ce n’est pas Joseph Puzo, président d’Axon’ (2000 salariés dont 700 à Montmirail) qui le contredira, lui qui a fait raccorder son entreprise à la fibre, financé l’amélioration du réseau téléphonique (qui bénéficie aussi à la population) et souligne les bienfaits de la télémédecine du travail grâce à l’utilisation d’appareils connectés. Sans oublier qu’Axon’ résout le manque d’attractivité de Montmirail en ayant aménagé 50 studios pour attirer des jeunes stagiaires pour mieux les embaucher ensuite : « 80 % de nos salariés travaillent à proximité ».
PACTE POUR LA RURALITÉ
Le soutien du Conseil régional au monde rural se formalise dans le Pacte pour la ruralité organisant la présence de la collectivité dans les territoires et l’accompagnement de différents projets de communes. « Nous pensions pouvoir intervenir entre 20 et 25 % mais Jean Rottner a souhaité soutenir les territoires en difficultés à hauteur de 40 % », précise Franck Leroy. Il ajoute qu’un fonds d’innovations rurales doté d’1M€ finance également des initiatives comme les tiers-lieux (pour du coworking par exemple).
Au-delà des questions de subventions, la Région expérimente depuis 2018 un dispositif d’accompagnement des projets en fédérant les acteurs. 11 territoires pilotes ont été identifiés, dont ceux de Brie et Champagne, la Côte des Bars, l’Argonne (lire ci-dessous) et le Rethélois. Toute une méthodologie a été mise en place pour effectuer des diagnostics, identifier des enjeux partagés et définir des actions. Le tout en faisant fi des frontières administratives en faisant travailler ensemble des élus de différentes intercommunalités. Dans la Côte des Bars par exemple, les collectivités du Barséquanais et de la Région de Bar-sur- Aube (77 communes, 30 491 habitants) ont ainsi mis en évidence la nécessité de stimuler l’économie de proximité, de promouvoir l’expérience touristique et de favoriser une culture de l’innovation.
Abandonnée, la ruralité fait toujours rêver
Baptiste Baud, responsable relations institutionnelles de l’association Familles Rurales, présente une étude sur la perception de la ruralité par ses habitants et par le grand public. « Les Français associent d’abord la ruralité à des difficultés socio-économiques (46% des citations) et 51 % des ruraux estiment qu’ils sont abandonnés », explique-t-il. Ce sentiment est marqué par le recul des services publics, la désertification médicale, le manque de commerces… Cependant, seuls 5 % des ruraux déclarent vouloir quitter leur territoire et 81 % des Français estiment que la vie à la campagne est idéale (y compris en travaillant à la ville) pour avoir une meilleure qualité de vie. L’association estime que le numérique pourra renforcer l’attractivité du monde rural en permettant de réduire les freins : « Il faut toutefois faire de la médiation numérique, expérimenter des tiers lieux, travailler sur des solutions innovantes de mobilité… ».
« Nous Argonne », territoire en action
Les représentants de quatre intercommunalités de l’Argonne travaillent ensemble à des projets structurants.
« Le sujet de la ruralité nous concerne de près avec une densité de 15 habitants au km2 car nos 60 communes ne comptent que 12 300 habitants », présente Bertrand Courot, maire de Sainte-Ménehould et président de la communauté de communes d’Argonne Champenoise. En y ajoutant le vieillissement de la population, il y aurait de quoi être fataliste, reconnaît l’élu qui affirme pourtant que « ce territoire prend son destin en main ». L’Argonne souhaite en effet faire de sa faiblesse une force : « Nous avons des espaces pour entreprendre, à proximité de l’A4, et nous pouvons créer les conditions de développement pour l’installation d’entreprises. Nos espaces nous permettent aussi d’avoir un cadre de vie exceptionnel proche de la nature et nous disposons d’équipements culturels et sportifs dans le cadre de notre concept de l’Allée des couleurs ». Un positionnement qui sera renforcé en 2022 avec l’ouverture du parc médiéval et fantastique du Bois du Roy, un projet privé à 30 M€ porté par Thierry Fischesser, avec le soutien de la collectivité qui se réjouit d’un potentiel de 500 créations d’emploi. Quant au thème des couleurs, le maire entend également le décliner sur le plan économique.
Dans l’ancien lycée professionnel de l’Argonne – qui devrait accueillir divers services administratifs dont ceux de l’intercommunalité – une place sera faite pour un centre de ressources et un incubateur dédiés aux couleurs. « Nous voulons créer un cluster consacré aux enjeux de la couleur en faisant de la recherche et développement, de la formation et de la production. Je pense par exemple à ce qui concerne la maîtrise du rendu d’imprégnation (coloration sur tout support), à la force émotionnelle de la couleur (communication et marketing) ou encore à l’origine de la couleur (remplacer les produits issus de la pétrochimie) », présente le maire qui travaille sur ce sujet avec des centres de recherche (l’Institut Supérieur Couleur Image Design de Montauban, l’université de Cergy-Pontoise) ou encore la CCI Marne. Une ingénieure a déjà été embauchée pour ce tiers-lieu issu des réflexions partagées avec différents acteurs de l’Argonne.
Piloté par l’association Argonne PNR (qui œuvre pour que le territoire soit labellisé Parc Naturel Régional) présidée par Olivier Aimont, le collectif « Nous Argonne » est à présent épaulé par le Conseil régional. Un comité de pilotage réunit 76 participants issus de quatre intercommunalités (Argonne Ardennaise, Argonne Meuse, Argonne Champenoise et Aire à l’Argonne). Ensemble, ils ont défini des chantiers prioritaires comme la construction d’une marque territoriale et le développement de tiers-lieux. Ils souhaitent aussi développer l’attractivité du territoire et militent pour la reconnaissance d’une Destination Argonne en s’appuyant sur un réseau de villages coopératifs. Ces derniers sont aussi mis à contribution pour animer la Grande Traversée de l’Argonne (samedi 8 et dimanche 9 juin) où les participants pourront opter pour différents tracés (jusqu’à 100 km) à pied, à vélo ou à cheval. Cet évènement sportif mais aussi culturel a pour ambition d’être reconnu comme la Traversée des Vosges et la Transardennaise.