Jérôme RobartVoyage en terre nourricière

Jérôme Robart rénove une ferme dans le Morvan depuis 2016. La région lui a inspiré sa pièce Le Lait de Marie. S’il est connu pour ses passages dans plusieurs séries télévisées à succès, c’est le théâtre qui l’attire le plus aujourd’hui. (Photo : Journal du Palais)

Ce comédien, connu notamment grâce à son interprétation du commissaire Nicolas Le Floch, série diffusée sur France 2, est aussi un amoureux du Morvan. Les nourrices qui, au XIXe siècle, arrivaient en grande partie de cette région pour travailler à Paris lui ont inspiré l’écriture d’une pièce qu’il met en scène et qui sera jouée au mois d’août, près de Saulieu.

Le Morvan, cette terre qu’on surnomme parfois le cinquième département bourguignon, à cheval sur les quatre autres (Côte-d’Or, Nièvre, Saône-et-Loire et Yonne) entretient de longue date un lien particulier avec Paris. Son bois, abondant, a souvent flotté jusqu’à la capitale. Et puis, il y eu ses nourrices. Des milliers de femmes qui donnèrent le sein, soit à des enfants de l’Assistance publique, qu’on appelait les « Petits Paris » et qui étaient placés en terre morvandelle, soit en montant à Paris pour y nourrir les petits de la bonne société. Des rivières de lait maternelle qui ont laissé des traces profondes dans l’histoire de ce territoire, parce qu’elles disaient sans doute beaucoup d’une certaine condition humaine, poussée à faire commerce de son corps d’une manière certes plus noble qu’à travers la prostitution, mais avec les même ressorts de la nécessité économique. Cette histoire des nourrices morvandelles est le terreau sur lequel Jérôme Robart fait pousser Le lait de Marie, une pièce dont il est l’auteur, qu’il met en scène et qu’il présentera, en août, à Saint-Germain-de-Modéon, village côte-d’orien entre Avallon et Saulieu. Jérôme Robart est un comédien qui s’est pris d’affection pour le Morvan. Ce natif de Montreuil vit et travaille à Paris mais l’envie d’un pied à terre au vert le tentait. « Moi, au départ, je pensais plutôt à aller dans les Cévennes, explique-t-il, et puis c’est ma compagne, qui avait déjà une maison dans le Morvan, qui m’a “vendu” la région et je ne le regrette vraiment pas ».

SÉRIES ET THÉÂTRE

Depuis 2016, il rénove une ferme morvandelle située à Saint-Germain- de-Modéon. Si le nom de Jérôme Robart ne vous parle pas d’emblée, peut-être réagirez vous
plus à l’évocation du commissaire Nicolas Le Floch. Ce policier du XVIIIe siècle est le personnage centrale d’une série diffusée sur France 2 entre 2008 et 2018 et inspirée de romans que l’on doit à Jean-François Parot. Jérôme Robart interprète ce policier atypique et ce rôle a incontestablement contribué à le faire connaître, même si on a pu également le voir dans d’autres séries françaises à succès telles que Profilage, Un village français ou encore Mafiosa. Pour autant, le parcours de ce comédien est bien plus large et notamment très marqué par le théâtre, (il a joué dans des pièces de Jorge Lavelli mais aussi au cinéma pour Alain Tanner). Pas étonnant dès lors qu’il ait choisi de traduire par ce biais le rapport très personnel qu’il entretient avec sa région d’adoption. « En passant du temps dans ma ferme, précise-t-il, j’ai commencé à lire sur le Morvan. Je me suis rendu compte que lorsque je me promène dans cet endroit, j’ai l’impression d’être dans la rencontre d’époques différentes. On pourrait croire qu’au détour d’un bois, on va voir débouler un chevalier, un Gaulois, voire même, un homme préhistorique ! Le Morvan déclenche chez moi des sensations assez fortes ». La région, forcément, stimule chez lui l’imagination autant que l’envie de recherches historiques. « Dans un des livres que j’ai lu sur le Morvan, j’ai découvert, un jour que les toits des chaumières avaient été remplacés par des ardoises, grâce au travail des nourrices morvandelles. La chose m’a interpellée et m’a fait réfléchir à ce que c’était qu’une nourrice. Pour nous, aujourd’hui, la “nounou” c’est la gentille dame qui s’occupe de notre enfant quand on part travailler mais, à l’époque, la nourrice accomplissait un acte hautement symbolique en donnant son lait ». À partir de ce point l’imagination de Jérôme Robart décolle. Car derrière la symbolique de priver son propre enfant de lait pour en nourrir un autre, se profile aussi la misère qui sous-tendait cet acte. « Nous sommes aujourd’hui, constate le comédien, dans une époque où l’on trouve des mères porteuses, où l’on vend notre corps. Ce qui m’a inspiré dans l’histoire de ces nourrices, c’est fondamentalement la nécessité de gagner de l’argent avec son corps alors que j’ai le sentiment que nous sommes parvenus à une limite dans la logique capitaliste». Face à un monde qui vient et dont il confesse avoir un peu peur, Jérôme Robart a aussi ressenti, en s’installant dans le Morvan et en commençant à travailler sur sa pièce, le besoin de se replonger sur la manière dont on vivait à l’époque des fameuses nourrices morvandelles.

Il a relu Maupassant, Flaubert, Zola, Balzac, ces témoins d’un XIXe siècle marquant une bascule irrémédiable avec l’avènement de la révolution industrielle.

UNE HISTOIRE D’AMITIÉS

Écrire une pièce sur ces nourrices, c’était, pour Jérôme Robart, l’occasion de parler des femmes qui partent pour gagner de l’argent, des hommes qui restent avec les enfants. « Même si mes personnages ont existé il y a 170 ans, je trouve que leurs parcours ont des résonances avec ce que c’est qu’être mère ou père aujourd’hui. C’est aussi cela qui m’a intéressé dans mon travail d’écriture ». Le Lait de Marie sera créé du 9 au 13, août selon un dispositif scénographique où les spectateurs ne seront pas face aux comédiens de manière classique, mais répartis sur les deux côtés de la salle, avec la scène au centre. « J’adore ce type de disposition, confie le metteur en scène, où le spectateur peut à la fois regarder les comédiens et le public en face de lui. Cela génère beaucoup d’interactions ». L’auteur et metteur en scène a fait appel à des amis comédiens pour que la pièce prenne corps (Christophe Vandevelde, Julie Pouillon, Vincent Ozanon, Nora Lehembre, Vincent Chomel, Léa Piette et Angèle Garnier).

Certains, parmi eux ont côtoyé Jérôme Robart au conservatoire national quand d’autres l’ont comme professeur au cour Florent. Tous ont accepté de participer à l’aventure bénévolement. « Je vais leur offrir le gîte, le couvert et le Morvan et eux vont m’apporter leur capacité d’incarnation ! » D’ors et déjà, plusieurs autres cités du Morvan ont marqué leur intérêt pour accueillir la pièce, il y a donc fort à parier que les cinq représentations du mois d’août ne resteront pas les seules. Elle pourrait faire escale à Autun, Quarré-les-Tombes, Alligny-en-Morvan (qui abrite précisément le musée des nourrices)… « J’aimerai beaucoup que l’an prochain, poursuit Jérôme Robart, on puisse organiser une itinérance avec la pièce, de salle des fêtes en salle des fêtes. Néanmoins, je demeure conscient que tout cela repose sur du bénévolat et que ça ne peut pas s’inscrire de manière durable pour les acteurs sous cette forme. Il faudra donc voir ce qu’on pourra faire par la suite, mais nous allons déjà aller au bout de cette première expérience… »

Parcours

1970 Naissance, le 27 mai, à Montreuil (Seine-Saint-Denis).
1993 Il entre au Conservatoire national supérieur d'art dramatique de Paris.
1995 Il tourne dans un premier long métrage : la poudre aux yeux, de Maurice Dugowson.
2000 Il commence à écrire ses propres pièces.
2006 Il joue dans Selon Charlie, de Nicole Garcia, en sélection au festival de Cannes.
2008 Il incarne pour la première fois le commissaire Nicolas Le Floch, sur France 2. La série va durer dix ans.
2019 Sa pièce Le lait de Marie, consacrée aux nourrices du Morvan, va être créée en aoüt, près de Saulieu.