Voyage au bout de soi

Thierry Lemaitre. Au terme d’un beau parcours professionnel, il vient de rejoindre Réseau Entreprendre Occitanie Garonne et l’association IéS, façon pour lui de se mettre aux services de ses pairs.

«Rendre un peu ce que la vie m’a donné », avance Thierry Lemaitre pour expliquer son choix, après un tour du monde réalisé avec son épouse, en plusieurs étapes et sur quatre ans, de consacrer une bonne part de son temps aux autres. Depuis janvier, le quinqua a rejoint Réseau Entreprendre Occitanie Garonne dont la vocation est d’accompagner bénévolement les dirigeants dans la création, la reprise ou le développement de leur entreprise, en même temps que l’association IéS, une coopérative d’investissement qui sou- tient financièrement des projets de création d’activité dans le champ de l’économie sociale et solidaire.

Des engagements forts pour cet ex-directeur général de La Palette Rouge (LPR) à Toulouse, déjà investi dans une association de soutien aux plus démunis et au sein d’Enfance et Partage qui vient en aide aux victimes de maltraitance et à leurs familles. Une autre conséquence de ce voyage au long cours, dont le couple a publié les meilleures pages dans un blog, réalisé essentiellement dans des pays en voie de développement, de l’Afrique du Sud à l’Asie, en passant par l’Amérique latine. Au retour, se souvient Thierry Lemaitre, « je me suis dit qu’il fallait que je trouve un sens à cette vie jusque-là très matérielle, orientée vers la réussite. C’est très bien, mais à un moment, il faut passer à autre chose et rendre un peu. »

Avant d’entamer en 2012 cette pérégrination, son épouse ayant été extrêmement malade, « j’ai voulu m’arrêter et rompre avec tout ça », glisse Thierry Lemaitre. Ce « ça », c’est un parcours de cadre supérieur entamé à Paris. Le globe-trotter, dont les racines plongent très loin dans le passé d’un petit village normand a vécu au Havre « une enfance heureuse grâce au sport qui m’a mis dans le droit chemin et grâce à l’amitié. Ces deux valeurs, ajoutés à des racines familiales fortement ancrées avec les figures paternelles qu’étaient mon grand-père et mon arrière-grand-père, sénateur et agriculteur, m’ont donné le goût du travail et l’envie de m’en sortir », reconnaît-il.

Le Havrais a rejoint la capitale pour poursuivre des études de comptabilité, un choix « par défaut ». « En fait, j’ai découvert un métier, admet-il. Je suis dyslexique, mais une dyslexie un peu particulière: je comprends très rapidement les choses, mais je ne sais pas les expliquer, je ne sais pas expliquer le cheminement de pensée qui m’a permis de comprendre les choses. Or, quand j’ai intégré ce métier de l’expertise comptable dans un gros cabinet, Coopers & Lybrand devenu PWC, cela m’a permis de découvrir que j’avais des qualités dans la compréhension des problématiques financières, des chiffres. Je comprenais très rapidement où il fallait aller. Cela m’a permis, avec un minimum d’efforts, parce que j’ai énormément travaillé, non seulement de passer mon diplôme d’expertise comptable, mais aussi d’engranger une expérience très forte dans les entreprises en difficulté, soit sur un plan organisationnel, soit sur le plan de la croissance ou en retournement. J’ai effectué des missions très longues de redressement de comptabilité, d’assistance, etc. Cela m’a vraiment marqué pour toute ma carrière. »

Une expérience qu’il fera fructifier en rejoignant d’abord Crayola, une entreprise du groupe américain Binney & Smith, à la tête également des maquettes Revell, « comme directeur financier Europe continentale. Ce qui m’a permis de m’éclater, de partager une passion avec un dirigeant également passionné, de faire ce que j’aimais, c’est-à-dire l’analyse des chiffres, des organisations, me mettre au service des dirigeants de l’époque, anglais et américains, et des équipes commerciales en support, et de participer à une belle aventure. »

À l’orée du nouveau siècle, Thierry Lemaitre tourne la page en intégrant un factor anglais, Euro Sales Finance. Avec les dirigeants de l’époque, se rappelle-t-il, « nous avons implanté la société en France et avons été les premiers à faire de l’affacturage confidentiel. C’est-à-dire du rachat de facture sur balance : nous financions des balances avec un risque énorme, mais un potentiel de croissance très fort ». Une autre « belle aventure », qui se solde un an plus tard au moment de la revente à la Royal Bank of Scotland. « Je suis parti pour intégrer le monde de la palette locative que je n’ai ensuite jamais quitté », s’amuse Thierry Lemaitre. À l’époque, deux acteurs principaux se partagent le marché : l’australien Chep, et La Palette Rouge, à Toulouse… Après trois années passées chez Chep comme directeur administratif, l’entreprise se réorganise. L’occasion pour le cadre de prendre le large. « J’ai voulu quitter Paris et sa vie trépidante, se souvient-il. J’ai été contacté par LPR, alors dirigée par TorstenWolf qui cherchait son directeur financier ». Quelques mois après, la filiale du groupe Algeco est rachetée par un fonds d’investissement anglais, TDR. En 2006, elle passera aux mains d’Atria Capital Partenaires, puis cinq ans plus tard d’Euro Pool Systems. « Une très belle société, reconnaît Thierry Lemaitre. Lorsque j’ai intégré l’entreprise en 2003, elle générait 50 M€ de CA et perdait beaucoup d’argent. Aujourd’hui elle réalise 200 M€ de CA, pour 90 millions de palettes livrées par an ! »

Depuis son retour du bout du monde, l’ex-cadre supérieur s’est trouvé d’autres centres d’intérêt : le coaching, la formation à la prise de parole en public et l’accompagnement des entreprises qu’il a d’abord pratiqué comme consultant, dans le cadre de Réactiv’PME, un dispositif de l’ex-Région Midi-Pyrénées. Et désormais comme bénévole au sein de Réseau Entreprendre Occitanie Garonne et IéS. « Je pense que c’est important de pouvoir partager, assure-t-il. J’ai eu la chance de rencontrer des gens qui m’ont fait grandir, tels Torsten Wolf et Xavier Goube (l’actuel dirigeant de LPR, NDLR) et d’autres dirigeants. Or, en France, il n’y a pas assez d’entraide dans les réseaux d’entrepreneurs. Nous avons, qui plus est, une problématique de taille des PME, si on se compare à des pays comme l’Allemagne. Il faut donc aussi, comme le fait Réseau Entreprendre avec son dispositif Booster, les aider à passer un cap. Et puis, les dirigeants ont besoin d’être encadrés : il existe près de 8 000 aides aux entreprises, il y a de quoi être perdu ! »

Donner du sens à son action : Thierry Lemaitre y revient. « C’est aussi pour cela que j’aime beaucoup Réseau Entreprendre et IéS. Les dossiers présentés, par définition, chez IéS, sont des dossiers solidaires, et pour Réseau Entreprendre, ce sont de vrais projets d’entreprise. Il s’agit d’entreprendre dans le sens noble du terme. Et cela, à un moment où les chefs d’entreprise sont extrêmement secoués, où leur image n’est pas très belle alors que j’en ai connu dans des situations personnelles terribles, qui ne se payaient pas depuis des mois pour tenir leur entreprise à bout de bras. Les entreprises ne sont pas assez aidées sur ce plan-là. »

La crise de la Covid-19 risque encore d’aggraver ce constat. « Beaucoup de PME ont été soutenues artificiellement. Il va y avoir un rattrapage dramatique avec des conséquences en chaîne. » Dans cette perspective, assure-t-il, « on aura besoin de tout le monde. Plus que jamais, il faut participer à une mission citoyenne, comme on peut. C’est grâce à la solidarité qu’on s’en sortira et pas autre chose. Et plus que jamais, les PME auront besoin des réseaux de chefs d’entreprise : l’entraide sera un élément clé. » Et Thierry Lemaitre d’inciter ses pairs à s’impliquer. « On peut faire du bénévolat dans l’humanitaire, mais on peut aussi être utile socialement en aidant les chefs d’entreprise. Ils en ont absolument besoin », conclut-il.