Vers une réorganisation globale du travail

Christine Taddei, directrice de l’Association interprofessionnelle de santé au travail de Côte-d’Or (AIST 21)

Alors que nombre de salariés ont repris le chemin du travail ce lundi, pour les employeurs, ce déconfinement va devoir passer par une réorganisation du travail pour maintenir, au maximum, l’ensemble des collaborateurs en sécurité. La médecine du travail a un rôle important à jouer dans cette reprise.

Le Journal du Palais. Quel est le rôle de la médecine du travail dans une période de crise sanitaire, comme celle que nous vivons actuellement ?

Christine Taddei, directrice de l’Association interprofessionnelle de santé au travail de Côte-d’Or (AIST 21). C’est effectivement une période un peu particulière pour notre activité, dans la mesure où l’État nous a attribué, par l’ordonnance n°2020-386 du 1er avril, des missions qui ne sont pas les nôtres habituellement mais qui s’exercent toujours au bénéfice de la santé au travail et des salariés des entreprises adhérentes à l’AIST 21. On nous a en effet demandé de diffuser dans le monde du travail des messages de prévention destinés à éviter le risque de contagion par le virus. Vous avez notamment des fiches métier et des fiches par secteur d’activité qui viennent renseigner et informer les employés et les chefs d’entreprise sur la bonne façon de reprendre l’activité et pour éviter tout risque de contagion. On vient aussi en appui aux entreprises dans la définition et la mise en œuvre de mesures de prévention adaptées contre ce risque. Enfin, on accompagne les entreprises qui par l’effet de cette crise sanitaire sont amenées à accroître ou à adapter leur activité. Les médecins du travail et leurs équipes connaissent bien les entreprises et leur fonctionnement. Ils sont ainsi à même de mieux conseiller les entreprises sur la façon de reprendre avec le maximum de sécurité. Dans la majeure partie des cas, les conseils et accompagnements se font par téléphone ou en visioconférence. Même les visites médicales sont assurées par téléconsultation. Au total, depuis le début du confinement, nous avons adressé quelque 150 000 mails pour 12 000 entreprises adhérentes.

Michèle Grappin, médecin du travail. En complément, chaque médecin du travail a contacté l’ensemble des employeurs pour leur donner des conseils et les accompagner. Aujourd’hui, nous les accompagnons aussi dans la reprise.

Quels enseignements devrons-nous retenir de cette crise ?

Michèle Grappin. Je pense que nous avons surtout appris sur des mesures d’hygiène globales et une façon d’organiser le travail global qui va probablement changer pour respecter ces mesures d’hygiène. Je crois qu’aujourd’hui, les gens ont pris conscience qu’une épidémie, ce n’était pas n’importe quoi et qu’il y avait des risques. Donc je pense que toutes les mesures d’hygiène qui existent aujourd’hui et qui sont renforcées, vont rester et vont perdurer.

Vous parlez d’une réorganisation globale du travail. Après le déconfinement, comment celle-ci va-t-elle se définir ?

Michèle Grappin. Il faut bien que tout le monde ait conscience que le déconfinement ne veut pas dire qu’il n’y a plus d’infection et de virus circulant. Il faut plutôt imaginer que nous sommes partis pour vivre plusieurs mois, voire même plusieurs années avec ce virus. Il va donc falloir réadapter des choses dans toutes les entreprises. Nous sommes en train de travailler sur une aide aux entreprises, pour proposer une sorte de guide. Il va falloir qu’elles se réadaptent et se réorganisent et cela va aussi passer par des écrits pour sécuriser leurs salariés. Ce guide permettra de les accompagner dans toutes les étapes. Parallèlement, on se tient à la disposition des entreprises pour les accompagner dans leur reprise, les aider et leur proposer une relecture de leur protocole de déconfinement, afin de n’oublier aucune étape.

Des exemples concrets de ces mesures de déconfinement ?

Michèle Grappin. Dans l’administratif et le tertiaire, une partie va pouvoir continuer en télétravail. Après, chaque entreprise à une méthode de travail et une organisation particulière. Tout dépendra du mode d’activité. Nous travaillons actuellement par exemple sur la question des open-space où la reprise avec le respect des mesures barrières risque d’être plus compliquée, tout comme dans les toutes petites entreprises. Après, plus il y a d’échanges d’outils, de collaborateurs et de métiers différents, plus ce sera compliqué d’imaginer un protocole de reprise en toute sécurité.

Auriez-vous des conseils et des préconisations ?

Michèle Grappin. Il faut impérativement avoir une vraie réflexion avant la réouverture, ainsi qu’un partage avec les instances du personnel ou le personnel pour envisager toutes les situations. Il paraît aussi très important que les choses soient écrites noir sur blanc. Et enfin, que les entreprises n’hésitent pas à nous contacter, nous sommes là pour ça. Ensuite, comme conseil, je dirais qu’il faut regarder toutes les étapes de travail et ne surtout pas oublier les choses auxquelles on ne pense jamais. Lorsqu’on est employeur ou même salarié, on va penser à la partie “production”. Mais avant même d’arriver dans l’entreprise, il se passe des choses. Par exemple, certains préconiseront d’éviter le covoiturage. Et quand on rentre dans l’entreprise, comment on rentre ? Est-ce qu’on arrive comme d’habitude tous à la même heure ? Comment faisons-nous dans les vestiaires ? Les pauses, les repas et aussi comment on organise la sortie. Il faut imaginer toutes les étapes et en face mettre les meilleurs moyens de prévention. Après, tout dépendra du travail, mais il faudra aussi imaginer la pose de plexiglass pour séparer les postes de travail, le lavage des mains et le port du masque, qui peut être alternatif à condition d’être bien choisi en fonction du type de travail et du type d’exposition des salariés. Il faudra aussi penser au nettoyage des surfaces (le bouton d’ascenseur et de la machine, les outils, les toilettes, les poignées de portes…).

Ne pourrions-nous pas craindre certains incidents ?

Michèle Grappin. Bien sûr, toute cette réorganisation pourra amener à des pertes de production… Parce que pendant qu’on nettoie, on ne produit plus.

Christine Taddei. Cela peut aussi entraîner la suppression de certains moments de convivialité.

On conseille en effet de supprimer l’accès aux distributeurs de boisson ou de nourriture. On conseille aussi que les salariés arrivent avec leur thermos de café ou de thé pour la journée, apporte leur bouteille d’eau et leur panier repas. Concernant les pauses cigarettes, il ne faut plus se regrouper mais plutôt étaler les pauses pour que tous ne sortent pas en même temps. Ce n’est pas que l’affaire des employeurs mais aussi des salariés. Il faudra que chacun suive assidument les nouvelles consignes de prévention de l’employeurs pour éviter le plus possible une nouvelle propagation du virus.

Michèle Grappin. Rien ne peut se faire sans l’implication de tous. Et c’est pour ça que la construction du projet doit impliquer tout le monde. Sans compter qu’il faudra aussi prendre en compte la peur de certaines personnes de retourner au travail.

Michèle Grappin, médecin du travail.