Le rapport de Jean-Louis Debré qui sera soumis avant la fin de l’année au vote du Parlement, préconise le report des élections régionales et départementales de mars à juin 2021, un timing issu d’une soixantaine d’entretiens avec, notamment les Présidents de l’Assemblée Nationale et du Sénat, les partis politiques et les associations d’élus (Renaud Muselier pour Régions de France, Dominique Bussereau pour l’Assemblée des Départements de France et François Baroin pour l’Association des Maires de France).
Juin 2021, le seul report acceptable ? Longtemps favorable au maintien du calendrier initial, le Président du Conseil régional du Grand Est, Jean Rottner, veut croire que ce report en juin sera le bon : « Mon sentiment, c’est qu’il faut que les élections se déroulent le plus tôt possible. Parce qu’il est impossible de revivre ce que nous avons vécu lors des dernières élections municipales, avec la peur de l’épidémie et une participation extrêmement faible. Le plus tôt, parce que tout le monde convient que pour mars 2021, c’est déjà trop tard. Mais après juin 2021, ce sera définitivement trop tard ».
Dans les circonstances actuelles, avec les précautions qui s’imposent, Jean Rottner invoque la nécessité d’exister de l’expression de la démocratie, sans occulter le contexte sanitaire. Même avis du côté de Christian Bruyen, Président du Conseil Départemental de la Marne qui s’exprime au-delà d’un calendrier à court terme: « En espérant qu’alors la situation sanitaire permette une campagne et un scrutin dans les meilleures conditions. Il ne serait pas supportable d’aller plus au-delà, car il en va de la situation économique et sociale. L’exercice de la démocratie nous dicte de vivre avec le virus et de nous adapter ».
« Aujourd’hui nos concitoyens ont d’autres préoccupations que les élections. On a vu ce que cela a donné aux moment des dernières municipales, avec notamment une organisation compliquée qui a conduit au report du second tour », note de son côté Noël Bourgeois, le Président du Conseil départemental des Ardennes, qui a signé une lettre ouverte en compagnie de six autres présidents de conseils départementaux en faveur du report à juin. Ce recul de quelques mois ne pose aucun problème. D’ailleurs, il ne verrait même aucune objection à ce que la campagne soit retardée à septembre plutôt qu’à juin « Il faut assurer une vraie campagne et permettre aux électeurs de ses rendre aux urnes en toute sécurité. Dans ce cadre, septembre serait sans doute plus raisonnable et mieux adapté ».
DES CALCULS POLITICIENS INACCEPTABLES
Quand certains élus de LREM préconisent des élections régionales et départementales après les présidentielles de 2022, Jean Rottner en appelle à l’esprit de la Ve République et rappelle une actualité qui mérite un peu plus de décence : « Ce message n’est pas bon. De plus, parler d’élections aujourd’hui dans ce contexte de crise et dans une France qui souffre, c’est presque quelque part indécent. Je crois que les Français sont très éloignés aujourd’hui de ces considérations électorales. La crise n’est pas finie, elle est loin de l’être. Il faut dire la vérité aux Français ».
Le Président de la Région Grand Est a d’autres priorités : « Et si un vaccin arrivait assez vite, je regrette qu’on n’en parle pas dès à présent avec les collectivités territoriales, comme c’est déjà le cas en Allemagne ».
Cette proposition de certains élus de LREM agace Christian Bruyen : « Après la défaite de LREM aux dernières Municipales, on pourrait évoquer aujourd’hui une absence de courage politique. La démocratie doit s’exprimer en 2021. Aller au-delà de la proposition du rapport Debré, ce serait de la magouille ».
Le président du Conseil départemental des Ardennes est plus nuancé: « Ça ne serait pas la première fois qu’une élection serait reportée d’un an, alors pourquoi pas ? Peut-être serait-ce la solution la plus sage ? ». En effet, en 2007 déjà pour éviter quatre élections successives prévues au calendrier, les municipales et les cantonales (ex-départementales) avaient été repoussées d’un an par le Gouvernement de Dominique de Villepin, « offrant » ainsi une année de mandat supplémentaires aux élus des collectivités concernées.
ADAPTER LES ÉLECTIONS AU CONTEXTE SANITAIRE
Noël Bourgeois estime en effet que la crise sanitaire doit interroger à la fois sur la question de l’organisation du scrutin et sur le plan démocratique. « La situation implique une campagne tronquée ou très difficile à mener. Demander aux électeurs de venir s’exprimer dans les bureaux de vote la peur au ventre, est-ce que cela va dans le sens de la démocratie, interroge-t-il. On a pu voir les taux d’abstention lors des municipales. Avoir demain des élus départementaux qui auraient recueillis les voix de 30 % des électeurs inscrits, ça pose question ».
Jean Rottner : « Le scrutin électronique ou le vote par correspondance, pourquoi pas, mais pas au dernier moment. Si cela est possible, faisons-le. Tout cela doit se décider avant Noël, que les Français soient au courant et que le Parlement légifère ».
Christian Bruyen adhère à cette nécessité de s’adapter au contexte sanitaire : « Les contraintes électorales devront vraisemblablement être différentes de ce qu’elles sont. Je ne suis pas opposé au scrutin par correspondance. Pourvu que la sincérité du vote puisse s’exprimer ».
Pour autant les deux Présidents se méfient, un sentiment que résume bien Jean Rottner : « J’espère que les considérations sanitaires l’ont emporté dans ce projet de report des élections. On ne peut pas faire suivre le confinement que nous vivons d’un scrutin brasseur de population quelques courtes semaines plus tard. Parce qu’il y aura une campagne électorale, puis une élection et donc des temps à risque. Mars ne peut pas être un temps électoral normal ».
UNE ÉLECTION APRÈS L’AUTRE ?
Puisque la loi en a décidé ainsi, faisons avec, disent Jean Rottner qui précise : « Le public en sera informé. Evidemment, cet exercice demande de la pédagogie et elle est recommandée dans le rapport Debré » et Christian Bruyen qui affirme et s’interroge: « Soit les deux scrutins en même temps, soit aucun. Pourquoi faudrait-il repousser un scrutin plutôt que l’autre ? » Jean Rottner, candidat à sa succession ? « Je suis aujourd’hui entièrement consacré à ma tâche de Président de la Région. Pour ma candidature, je vous répondrai en temps et en heure ». Christian Bruyen ? « Oui, je suis candidat ».
Et à ceux qui seraient tentés de croire que sa volonté en faveur d’un report serait destiné à mieux préparer sa propre réélection, Noël Bourgeois rappelle qu’il n’a pas encore pris la décision de se représenter. « Aujourd’hui ma principale préoccupation en tant que président d’un Département n’est pas les élections mais la situation sanitaire et les missions de solidarité de la collectivité envers nos concitoyens. Comme mes confrères, la priorité n’est pas dans les élections aujourd’hui ».