Urgence: les notaires reçoivent la signature à distance

Me Philippe Pailhès, président de la chambre interdépartementale des notaires.

Un décret autorise désormais la signature à distance des actes notariés, répondant ainsi aux attentes des officiers ministériels dont l’activité a fortement ralenti du fait du confinement. Explications de Me Philippe Pailhès, président de la chambre interdépartementale des notaires.

Comment les études de notaires ont-elles fait face aux mesures de confinement ?

Nous nous sommes adaptés en deux temps. Dès que le confinement a été décrété, nous avons fait avec les moyens du bord en allégeant les procédures. Les notaires ont continué à travailler et à recevoir les actes mais au moyen de procurations simples, de manière à rendre service à nos clients, ceci pendant les trois premières semaines du confinement. Depuis le vendredi 3 avril, il y a cependant une nouveauté puisque les actes notariés peuvent désormais être signés à distance. Les notaires vont pouvoir en visioconférence avec les clients, depuis leur smartphone, leur tablette ou leur ordinateur, les recevoir et recevoir, de manière codée, leur consentement à la signature de l’acte que le notaire, dans son étude, signera seul. Le ministère de la Justice a, par décret, le 3 avril (décret n° 2020_395 du 3 avril 2020, publié le 4 avril au Journal officiel, NDLR), autorisé cette procédure qui n’est possible que pendant la période de confinement sanitaire. Mais en tout état de cause, cela va permettre à de nombreuses personnes, soit éloignées, soit qui n’avaient pas la possibilité d’imprimer une procuration, de pouvoir de manière visuelle, suivre les actes, confirmer son consentement et régulariser un certain nombre d’actes qui étaient jusque-là en souffrance, puisque du fait de l’impossibilité de pouvoir se déplacer, beaucoup d’actes ne pouvaient être signés.

Bien que fermé au public, le notariat s’est donc organisé, grâce au télétravail et à la digitalisation, pour continuer à mener ses missions notamment de réception des actes.

Quels sont les actes que cette crise sanitaire a pu « geler » pendant quelques semaines ? Les ventes immobilières sont-elles particulièrement affectées ?

Il peut s’agir de donations, de successions – et hélas la période fait que nous sommes obligés de rentrer dans des règlements successoraux –, des constitutions de prêt – les entreprises ont plus que jamais besoin de recourir à des prêts ou avaient déjà demandé des prêts avant la crise qu’il faut régulariser parce qu’il y a une hypothèque –, ou bien le dépôt d’un divorce qu’il faut enregistrer, etc. Il ne s’agit donc pas seulement les actes de vente.

La signature de certains de ces actes peut se faire grâce à une procuration mais celle-ci doit être établie devant notaire, ce qui était impossible dans cette période. C’est le cas notamment lorsque vous achetez un appartement à un promoteur. On considère que cet acte est tellement important qu’on ne peut pas se contenter d’une procuration simple. On ne pouvait donc pas, durant cette période de confinement, régulariser la vente dans le cadre d’un achat à un promoteur ce qui pouvait avoir des conséquences sur le plan fiscal notamment.

La signature à distance va donc permettre, malgré le confinement, si les clients le souhaitent, d’avancer dans leur projet.

Ce décret répond-il à une demande de la profession ?

Oui, la demande était en cours auprès du ministère de la Justice. Il se trouve que, depuis quelques années, les consulats et les ambassades ne légalisent plus les signatures pour nos ressortissants, ceci afin d’alléger les fonctions diplomatiques. Or cela peut entraîner des difficultés, par exemple pour une donation. On ne peut pas, en effet, recevoir un acte de donation sans que la procuration soit obligatoirement signée par un notaire ou un agent diplomatique qui a les mêmes fonctions d’autorité publique. Afin de lever ces difficultés, nous avions donc développé ce procédé technique, tout en le réservant à quelques situations. Mais la crise venant, nous avons sollicité le ministère pour nous autoriser à l’utiliser dans un cadre plus large.

Durant cette période de confinement, si les notaires continuent à traiter leurs dossiers, ils sont eux-mêmes tributaires d’autres services dont l’activité peut être réduite. Qu’en est-il ?

Cela constitue effectivement une limite au travail que nous exécutons. Nous sommes en butte à la difficulté que représente la fermeture de certains services administratifs : l’état civil, les services qui délivrent les réponses au droit de préemption des mairies, les services de publicité foncière qui délivrent les certificats relatifs à l’existence d’une hypothèque, etc. Ces difficultés sont en passe de se régler, les services d’État retrouvant progressivement une activité minimum. Parallèlement, nous sommes en discussion avec Toulouse Métropole en vue de la mise en place d’un service d’urgence afin de délivrer des pièces et répondre à des dossiers prioritaires, prêts à signer et qu’il faut signer. Il y a en effet des situations où, par exemple les personnes sont en fin de vie, qu’il faut absolument régulariser.

Grâce à cette reprise progressive de ces services publics, certains dossiers qui n’étaient jusque-là pas prêts vont pouvoir être signés grâce à la signature à distance, l’objectif étant d’être le plus efficace pour nos concitoyens.

Quelles conséquences cette crise a-t-elle sur les études de notaires elles-mêmes ?

Les notaires sont inquiets en tant que chefs d’entreprise eux-mêmes. On estime que le chiffre d’affaires des études est de l’ordre de 10 % de ce qui est réalisé habituellement. Comme beaucoup de dirigeants d’entreprise, ils ont mis en place des mesures de chômage partiel et attendent de la chambre et de la profession, des mesures de soutien, sous la forme de reports de cotisation, d’assurance, qui leur permettraient d’avoir un plan de charges un peu allégé.

Qu’en est-il pour les jeunes notaires qui ont rejoint la profession ces dernières années ?

Nous sommes en train de réfléchir à un plan d’aide particulier pour les TPE et les plus jeunes notaires qui ont besoin d’une assistance financière différente et plus importante que les études mieux installées et renommées. Nous devons avoir un traitement différencié dans l’aide que nous pouvons leur apporter.

Confinement : le marché immobilier à l’arrêt

La pandémie devrait fortement impacter les volumes. Mais qu’en est-il des prix ?

Quelles conséquences la pandémie aura-t-elle sur le marché de l’immobilier ? Après une année 2019 jugée « extraordinaire » durant laquelle « on a battu des records de transactions immobilières en France », Philippe Pailhès, président de la chambre interdépartementale des notaires, s’attend à un net recul du nombre de transactions enregistrées puisqu’explique-t-il, « aujourd’hui il est impossible, sauf de manière virtuelle de faire des visites d’appartement. Les transactions sont donc perdues pour au moins un bon trimestre », soit de l’ordre de « 300 000 à 400 000 ventes en moins cette année ». Cette baisse de volume aura-t-elle une incidence sur les prix ? « Ce qui peut influencer la tenue du marché, c’est la menace sur l’emploi, assure le notaire toulousain. Il est évident qu’on ne se projette sur un prêt pour l’acquisition d’un appartement que si l’on n’a pas d’inquiétude ou de menace sur son emploi. En tout état de cause, ce que personne ne mesure, ce sont les conséquences économiques de cette période. Bien évidemment s’il y a une dégradation massive des emplois, il y aura des conséquences sur les volumes d’échanges. On peut penser qu’il y aura dès lors un effet sur les prix. » Pour autant, précise le professionnel, « les effets sur la flexibilité des prix seront sans doute plus importants à Paris qu’à Toulouse où les prix moyens sont beaucoup plus resserrés, ne serait-ce que par rapport à de grandes villes comme Bordeaux ou Lyon. Je ne pense donc pas qu’il y ait une conséquence immédiate de la crise sur les prix mais selon ses effets sur l’emploi, on peut craindre qu’à terme il y ait des tassements de prix et encore pas dans tous les quartiers. Sachant que dans l’immobilier, les prix ne baissent pas dans les mêmes proportions dans lesquelles on a pu constater, ces dernières semaines à la Bourse, les placements des Français s’étioler. Une fois de plus au sortir d’une période de crise, l’immobilier va se présenter comme une valeur refuge. Je ne crois donc pas à une dégringolade des prix. »

Avec une progression de 15 %, 2019 a été une année record en termes de volume d’échanges en France comme à Toulouse où l’évolution moyenne des prix s’est établie à +6 % pour les appartements, tandis que les budgets des maisons ont progressé de 8 à 11 % selon les secteurs.