Dirigeant du cabinet MBJ, Olivier Verhaeghe a mené à la demande de l’Observatoire de la métallurgie une étude complémentaire à une précédente réalisée en 2016-2017 pour étudier l’impact des mutations sur les entreprises liées à la filière automobile.
RésoHebdoÉco. Pourquoi refaire une étude alors que la précédente est assez récente ?
Olivier Verhaeghe. Celle de 2016-2017 étudiait l’impact de trois grandes mutations : les nouvelles motorisations, l’usine du futur et le véhicule autonome et connecté. Or, depuis 2017, il y a eu un certain nombre d’événements dont le dieselgate et les nouvelles orientations technologiques, avec le contrat stratégique conçu par la filière automobile en partenariat avec l’État qui donne un cap précis. Un prévisionnel d’évolution du mix énergétique, c’est-à-dire la répartition des différents types de motorisation dans les ventes de voitures neuves.
Comment avez-vous procédé ?
Une des grandes particularités de notre étude est de se baser sur l’analyse de 336 sites en France, soit près de 37 000 emplois. Nous avons essayé d’évaluer dans quelle mesure ces sites pouvaient être fragilisés par les mutations et s’ils avaient les moyens de rebondir ou pas. Nous avons posé un certain nombre d’hypothèses, avec l’analyse des conséquences de ces risques pour arriver à des prévisions localisées.
Quelles sont les entreprises les plus fragiles ?
Les établissements très capitalisés et fortement positionnés sur le marché du diesel, qui consacrent peu de chiffre d’affaires aux investissements présentent des risques maximaux. À l’inverse, si comme beaucoup de décolleteurs l’entreprise est un peu liée au diesel, mais également présente sur d’autres marchés, qu’elle innove pour la performance industrielle et qu’elle est internationalisée, elle passera ce cap.
Les hypothèses se basent sur une baisse des parts de marché du diesel. Une autre énergie pourrait-elle prendre la place ?
C’est le BIPE, un autre cabinet, qui a travaillé sur ces scénarios. Les tendances sont la poursuite de la baisse de la part du marché des moteurs diesel environ 10 % par an, compensée dans une certaine mesure par la reprise de parts du marché des moteurs essence, par la montée des motorisations hybrides et, progressivement, par la montée de l’électrique. À l’horizon 2030, la répartition sera beaucoup plus équilibrée et plus fragmentée. La progression du moteur électrique, réelle, n’aura pas pour autant exclu les autres types de motorisation. L’électrique n’occupera pas une position hégémonique analogue à celle qu’a pu connaître le diesel en France.
Et l’hydrogène ?
Il fait partie du scénario évoqué, mais sa montée en puissance en termes de ventes sur les véhicules légers n’est pas prévue avant 2030, même s’il commence à se développer sur les véhicules utilitaires. Il y a notamment toute une série de défis technologiques à relever ; les Français sont plutôt bien partis et ont bien investi sur ce sujet, notamment les équipementiers. La fabrication des réservoirs reste coûteuse, tout comme le déploiement dans les stations-service. C’est quand même un gaz qu’il vaut mieux manipuler avec précaution.
Quelles seraient les conséquences de la baisse des ventes des moteurs diesel ?
Une réduction des besoins de main-d’œuvre pour la fabrication d’un certain nombre de pièces spécifiques à cette motorisation, plus complexe que le moteur essence et encore plus que l’électrique. Un moteur diesel est composé de beaucoup de pièces usinées. Concrètement, les fournisseurs très liés à ces pièces spécifiques sont exposés, comme les fonderies, les industries d’usinage, de décolletage et dans une moindre mesure celles de traitement de surface. Les voitures électriques n’ont pas de boîtes de vitesses ni de colonne de transmission, c’est donc de l’usinage, de la fonderie et du traitement de surface en moins. C’est autant de volumes de production perdus, qui impacte surtout les petits véhicules. Beaucoup de constructeurs ont d’ores et déjà abandonné le diesel sur les petites citadines. Ces dernières années, le développement des moteurs hybrides a été davantage réalisé sur des bases de moteurs à essence que diesel, mais cela peut changer. Certains constructeurs allemands, et ça doit démanger les marques françaises également, n’ont pas renoncé à hybrider du diesel. Surtout si le diesel arrive à changer sa mauvaise image. Globalement, les nouvelles motorisations diesel liées à la mise en place de la norme d’homologation WLTP sont beaucoup moins polluantes que les anciennes, plus optimisées et mieux réglées pour réduire les émissions d’oxydes d’azote.
Quels seraient les effets de ces mutations sur l’emploi ?
Nous avons pu arriver à une estimation du risque de 10 000 à 15 000 emplois directement menacés par la baisse de la motorisation diesel en France. Nous avons fait des recommandations d’accompagnement à l’Observatoire pour aider les entreprises qui peuvent rebondir à trouver rapidement un plan de sortie, en travaillant en particulier sur la formation des salariés pour les emmener vers les débouchés dynamiques sur chaque territoire. Certains métiers seront plus fragilisés que d’autres. Pas forcément par la baisse du diesel, mais beaucoup plus par l’automatisation et l’usine du futur. Concernant l’usinage et le décolletage, la fragilisation est propre au mix énergétique et en particulier la réduction de la production diesel.
Si certains métiers disparaissent, d’autres vont se transformer ?
Des compétences vont évoluer en intégrant de plus en plus de conduites d’équipements et de machines. D’autres vont se développer comme les métiers de conception liés à de l’ingénierie informatique, l’électronique de puissance, l’électrochimie, la data, la maintenance… Il est possible que l’usinage des composites se développe, mais il y a besoin de capacités de cadence et de production qui ne sont pas à la mesure aujourd’hui des besoins en grande série de la filière automobile.
Les mutations en cours sont-elles finalement si mauvaises pour les sous-traitants ?
Tout cela est à nuancer car il y a une vraie capacité de rebond dans le décolletage. Il va y avoir des gagnants et des perdants. Des entreprises et des équipementiers vont tirer bénéfice de ces mutations, notamment celles spécialisées dans l’électronique et en particulier de l’électronique embarquée. Les sous-traitants qui sont strictement liés aux modules spécifiques au diesel ou les fonderies ne vont pas se transformer du jour au lendemain. Pour eux c’est vraiment une mauvaise nouvelle.
Propos recueillis par Sandra Molloy pour RésoHebdoEco.