Bruno PratiUne vie à La Fonte Ardennaise

Bruno Prati et un de ses derniers ouvrages, consacrés à la Fonte Ardennaise. (Photo: Pascal Rémy)

Après une longue carrière de cadre dans la plus importante PME familiale ardennaise, Bruno Prati est à 70 ans consultant d’entreprises et chercheur associé à l’université de Franche-Comté.

Fils de maçon italien et de femme de ménage, Bruno Prati a connu une enfance heureuse à Vrigne-aux-Bois. « Dans ce petit village ardennais, j’ai passé mon temps entre le foot, ma première discipline sportive jugée dangereuse par mes parents, et le basket où j’ai été licencié dès 10 ans à l’En-Avant Vrigne-aux- Bois ». Dans les différentes équipes de l’EAV, il aura pour entraîneur des cadres d’usines du cru : Jean Hody, directeur financier de La Fonte Ardennaise, Michel Jardinier, futur Pdg de Jardinier-Massard, ou encore André Brochard, secrétaire de mairie de la commune puis directeur commercial de LFA.

À la sortie du Collège Pasteur, Bruno, parce que ses parents n’avaient pas les moyens de financer de longues études, se contente d’un circuit court et décroche un Brevet d’enseignement industriel de chimie à Hénin-Liétard. « Les entreprises venaient alors directement nous chercher dans les écoles. J’ai opté pour Roussel-Uclaf à Romainville pour y travailler de 1966 à 1970 comme aide-chimiste en recherches semi- industrielles. Une expérience professionnelle intéressante avec la découverte des rapports sociaux à travers des gens de diverses origines». Parallèlement à ce métier, Bruno Prati s’adonne au basket à Ménilmontant et aux Lilas, en région parisienne.

ON THE ROAD AGAIN

Il choisit de vivre l’après-68 de façon plus individualiste. « Je suis parti sur la route pour découvrir d’autres cultures tout en vivant de petits boulots : prof de français, manœuvre, maçon, serveur ou scaphandrier. Ce fut ma phase beatnik. Je travaillais un mois, faisais le plein d’argent pour continuer mon chemin». Durant cinq ans, il arpente l’Europe (Angleterre, Hollande, Allemagne, Finlande, Russie), l’Asie (Iran, Afghanistan, Turquie, Inde) et toute l’Amérique Centrale (Mexique, Guatemala, Honduras, Salvador). « Ce road-trip m’a permis de devenir polyglotte en apprenant sept langues. Ce qui m’a servi par la suite. Mais j’ai surtout apprivoisé différentes façons de penser ».

De retour dans les Ardennes au décès de son père, Bruno, après être reparti un an à Paris, va se fixer définitivement dans son département natal en y rencontrant sa future épouse, Françoise.

SORTIR DU BOIS POUR ENTRER À LA FONTE ARDENNAISE

Dans l’incapacité de trouver un travail lié à la chimie, il entame une formation de bûcheron au CFA de Saint-Laurent. Mais durant son stage il se blesse à une jambe avec une tronçonneuse. Bilan : une incapacité de travail de trois mois. « Comme je travaillais alors « au black”, je me suis retrouvé sans le moindre sou ». Le basket va venir à son secours. Alors qu’il est contacté par un club carolomacérien, un dirigeant vrignois, André Brochard, l’amènera à rester fidèle au club local en lui proposant d’entrer à La Fonte Ardennaise. « Le deal était le suivant : j’apprenais, pendant un an et sur le tas, tous les métiers de la fonderie et, ensuite, en misant sur ma bonne pratique des langues, on m’offrait l’opportunité de travailler à l’étranger en créant un poste spécifique à l’export ».

Douze mois plus tard, une vieille voiture lui est confiée pour dénicher des commandes en Hollande. « Là-bas, coup de bol. J’arrive aux Pays-Bas à un moment où la fonderie connaissait une profonde restructuration. Beaucoup d’usines étaient sacrifiées pour mieux faire fonctionner les rescapées. J’ai eu la chance d’arriver avec des prix bas, tout en appartenant à une PME géographiquement proche. Et sans encore maîtriser le milieu commercial, je suis parvenu à développer un volume d’affaires important tout en jouant le médiateur entre mes clients et ma société ».

À une époque où l’exportation n’était pas encore une priorité, Gérard Grosdidier, le Pdg de La Fonte Ardennaise, a bien perçu ce handicap. Bruno pouvait alors méditer la petite phrase glissée par le secrétaire de l’époque à son patron : « Faites-lui confiance, son grand-père était marchand de poisson, il arrivera bien à vendre de la fonte ». Pour lui : « Faire un bon produit ne suffit plus, la vente est le secret de la réussite ».

Dès 29 ans, il gravit tous les échelons : directeur commercial export, directeur de la société d’exportation Fondatex et président du directoire de La Fonte Ardennaise de 2000 à 2002. « J’ai assuré cette mission transitoire à la demande de Gérard Grosdidier qui dirigea l’entreprise, seul, durant trente ans, en attendant que Nicolas et Emmanuel Grosdidier soient en mesure d’assumer cette responsabilité».

Avant de faire valoir ses droits à la retraite après 40 ans passés à LFA, Bruno Prati sera encore directeur de la stratégie et du développement commercial et membre du directoire. « À La Fonte, je suis content d’avoir ouvert de nouvelles frontières et vécu la saga d’une PME qui, après les reprises de Toussaint, Dumas, SED (Sarthe), l’intégration d’AFC (Redon) et la création d’une usine en Serbie, est devenue la première fonderie de fonte indépendante de France ».

L’HISTOIRE ET LA RECHERCHE

Longtemps hanté par une question – « Pourquoi la majeure partie des fonderies ardennaises ferment-elles, alors que La Fonte Ardennaise prospère ? » -, Bruno Prati consacre sa dernière tranche de vie à l’histoire et à la recherche.
Après être passé en 2002 par l’École de Commerce Supérieure de Paris pour décrocher un Master de troisième cycle en direction et management stratégique des entreprises, il obtient un DEUG d’administration économique et sociale au centre de télé-enseignement universitaire de Besançon, puis une maîtrise et un doctorat d’histoire contemporaine consacrés à… La Fonte Ardennaise.

Lauréat en 2014 du « Prix de l’histoire des entreprises » décerné par le Crédit Agricole puis du « Prix d’histoire de l’Académie François Bourdon » en 2014, cet érudit est aussi devenu chercheur associé au laboratoire des sciences historiques de l’université de Franche-Comté. À ce titre, il écrit des publications, des articles pour des ouvrages collectifs et participe à des colloques et séminaires.

Enfin, en créant, à 70 ans, sa propre société de consultant, « Audaces », il réalise aussi des audits commerciaux, des missions d’aides à l’export ou la préparation à des successions d’entreprises. Et quand il en a le temps, ce coureur de fond (trail, 100 km et marathon) rend visite à ses deux enfants : Victor, 37 ans, devenu physical therapist à l’Hôpital pour enfants de Little Rock dans l’Arkansas et Clément, 40 ans, professeur de rhumatologie au CHU de Besançon.

Parcours

1948 Naissance le 19 septembre à Mont-Morillon (Vienne).
1966 Travaille à Paris comme aide chimiste chez Roussel-Uclaf.
1970 Première visite en Russie.
1974 Premier voyage aux État-Unis.
1977 Entrée à la Fonte Ardennaise.
2013 Obtention de son doctorat d'Histoire.
2018 Création de sa société de consultant.