Une vendange 2020 fixée sur les marchés

Maxime Toubart, co-président du Comité Champagne, et président du Syndicat Général des Vignerons et Jean-Marie-Barillère, co-président du Comité Champagne, et président de l’Union des Maisons de Champagne ont annoncé un rendement dont une partie (1000kg) sera conditionnée aux résultats commerciaux 2020 de la filière, dévoilés en janvier 2021.

Après un été de discussions, l’interprofession a fini par s’entendre pour déterminer les rendements de la vendange 2020, sur fond de recul commercial et de hausse des stocks.

Sur le fil. Alors que les premiers coups de sécateurs ont été donnés dans les vignes champenoises dès le 17 août, pour une récolte exceptionnellement précoce, le bureau exécutif du Comité Champagne a tranché pour un rendement de 8 000 kg/hectare.

Dans les faits, il s’agit d’un rendement en deux temps dont la teneur définitive ne sera connue qu’en janvier 2021, à l’heure du tirage. Car si les vignerons champenois pourront bien cueillir 8 000 kg à la vendange, le tirage de l’intégralité de la récolte ne sera possible qu’en fonction des résultats commerciaux de l’année 2020. En effet, si l’année se conclut avec 230 millions de bouteilles vendues dans le monde, les Champenois pourront disposer de leur 8 000 kg. En revanche en cas d’année catastrophe à 200 millions de cols expédiés, ils devront se contenter de 7 000 kg, les 1 000 kg restant ne seront alors ni tirables ni payables. Comme dans toute situation de crise, le compromis ne satisfait pleinement personne, même si les deux co-présidents de l’interprofession, Maxime Toubart et Jean-Marie Barillère, avouent avoir agi pour la sauvegarde de la valeur du mot champagne et le travail entrepris par leurs prédécesseurs ces dernières décennies à la tête du Comité Champagne.

Il faut en effet rappeler que la filière est confrontée à des difficultés commerciales sans précédent en 2020 avec un marché qui enregistre une baisse de -25% à -30%. Pour la profession, et notamment le Négoce, il s’agit de réguler la production au plus près du marché pour éviter la flambée des stocks. Ces derniers s’élevaient déjà à 1,437 milliards de bouteilles (réserve individuelle incluse) en 2019 selon le Comité Champagne et ils devraient encore augmenter avec la baisse des expéditions.

« L’ambition n’est pas de sur-stocker ou de sous-stocker. Notre ambition c’est de coller au plus juste par rapport aux sorties et de pouvoir continuer à alimenter le marché au mieux », insiste Maxime Toubart, président du Syndicat Général des Vignerons, qui rappelle à quel point les décisions ont été difficiles à prendre avec de nombreux scénarii évoqués au cours des dernières semaines : « Dans un climat d’incertitude c’est moins simple que quand on a une bonne visibilité ». Le président de l’Union des Maisons de Champagne, Jean-Marie Barillère, acquiesce : « Quand vous prévoyez une baisse de 25% de votre revenu, les décisions à prendre ne sont pas simples ».

L’INCERTITUDE

Le bilan 2019 du marché du Champagne s’était déjà conclu sur des volumes historiquement bas à 297,6 millions de bouteilles, déjà en baisse de 1,6% par rapport à 2018 (sur les dix dernières années, la filière a enregistré une baisse de 7% de ses volumes). Sur les cinq premiers mois de l’année 2020, les ventes sont cette fois passées de 90 millions de bouteilles en 2019 à 61 millions en 2020 (-32%). Un recul de 36% en France, de 34% dans l’Union européenne et de 25% dans les pays tiers. Si un semblant de reprise a été enregistré depuis la fin du confinement, celle ci restera insuffisante pour combler au quatrième trimestre le retard enregistré lors des trois premiers.

Avec une baisse estimée entre 20% et 30% sur l’ensemble de l’année, l’exercice 2020 pourrait se terminer sur des volumes compris entre 200 et 230 millions de cols. Une fourchette large qui dépendra d’une éventuelle reprise. « Certaines régions sont complètement sinistrées, comme Paris où il n’y a plus de touristes, ce qui est une catastrophe pour nous en terme de business, note Jean-Marie Barillère. Dans certains pays comme les Etats-Unis, le Japon et demain l’Angleterre, on s’attend à une chute drastique des expéditions parce que le champagne est un produit de fête, de joie de vivre ». Un statut habituellement enviable mais qui devrait faire du champagne la boisson viticole la plus touchée par la crise du Covid.

Une fourchette qui déterminera donc le rendement final en janvier prochain qui oscillera donc entre 7000 et 8000 kg à l’hectare. Comme le résume Jean-Marie Barillère, « les décisions vendanges sont liées aux expéditions 2020, parce que le maître–mot c’est l’incertitude ».

Le coût de la résilience du Champagne dépasse le milliard d’euros

Après le recul catastrophique de 74,6% au mois d’avril, deuxième mois du confinement, les expéditions de juin sur le marché français affichent l’infime progression de 0,9%, un résultat porté par les ventes des vignerons (+15,3%), alors que maisons et coopératives cèdent respectivement 8,5 et 1,8%. « Il y a un regain d’activité sur les marchés de proximité, dans les grandes et moyennes surfaces, où le commerce a repris des couleurs car les gens consomment chez eux et non pas à l’extérieur », précise Jean-Marie Barillère, co-président du Comité Champagne. « Heureusement, nous notons une certaine résilience en France et en Europe qui sont nos plus gros marchés et qui devraient permettre de limiter la casse ». Une analyse partagée par Maxime Toubart : « Le marché de proximité tient, ce qui est de bon augure ».

Le premier semestre enregistre un repli de 29,2%, soit 14,4 millions de bouteilles en moins, repli partagé par les maisons (-27,8%), les vignerons (-32,8%) et les coopératives (-26,0%). Sur les douze derniers mois, le marché intérieur cède près de 12%, soit une baisse de plus de 17 millions de bouteilles. À l’exception d’un excellent mois de janvier pour les expéditions vers les pays tiers (+22,8%), les exportations présentent un bilan en recul permanent depuis le début de l’année : au terme du premier semestre, elles reculent de 29,6% (-17,7 millions de bouteilles), score comparable au marché français. Le mois de juin marque cependant une certaine décélération des baisses : -18% contre -50% pour l’Union européenne, entre mai et juin, -45% contre -62,6% pour les pays tiers.

Sur sa totalité, le marché du Champagne enregistre 77,2 millions de bouteilles au premier semestre 2020 contre 109,3 en 2019, soit une baisse de 29,4%. Sur les douze derniers mois, les expéditions plafonnent à 265,3 millions de bouteilles contre 298,5 millions à un an d’intervalle. Ces 33,2 millions de cols en moins pourraient bien être le prélude à la baisse de 100 millions de bouteilles déjà estimée par les responsables de l’interprofession.

564 MET 486 M, LES PERTES EN BOUTEILLES ET RAISINS

Sachant que les volumes du premier semestre couvrent habituellement aux alentours de 36% des ventes annuelles, le marché affiche au 30 juin un recul de 564 M€, soit le tiers du déficit également annoncé (1,7 Md€). Les prévisions du CIVC sont donc jusqu’ici réalisées. Le rendement de 8 000 kg/ha pour l’actuelle vendange suppose plusieurs conséquences. Le manque à gagner de la production de raisin, soit 2 200 kg/ha en moins par rapport à l’année dernière au prix moyen de 6,5 euros, représente 486 M€ sur l’ensemble de l’appellation. Ce rendement, qui équivaut à l’élaboration de 230 millions de bouteilles couvrira largement les ventes envisagées en 2020 (autour de 210 millions de bouteilles) et ne devrait donc avoir aucune influence sur les stocks de Champagne. Longtemps équivalents à trois années de vente, un quasi-dogme à l’époque pour la profession, les stocks pesaient 1 437 millions de bouteilles en 2019, selon le Comité Champagne, soit près de 4,8 ans d’expédition. Réserve individuelle incluse, 24 429 M€ reposent dans les caves des maisons, vignerons et coopératives. La résilience des acteurs de la profession a donc un coût : 1 050 M€ en raisins non cueillis et de bouteilles non vendues. Le coût de la sauvegarde de la valeur du champagne ? C’est en tout cas le souhait des représentants de la filière.