Une sensibilité à fleur de peau… et de plume

Ce printemps bouleversant est propice à l’auteure Karine Sayagh-Satragno qui vient de publier dans la foulée le deuxième tome de Sœurs (Éditions Vents Salés) et Confinée dans la dentelle (Yucca Éditions). Des mots fluides, francs, sincères, à saisir sans tarder.

La quarantaine sonnée, cette Toulousaine pétillante n’a pas dit son dernier mot. Diplômée d’une maîtrise de lettres modernes et d’un DEA de littérature médiévale à la Sorbonne, elle aime sortir des sentiers battus et se muer en caméléon : ancienne professeur de français et directrice d’école, cette slasheuse est à la fois bloggeuse du site Kidimum, chroniqueuse dans plusieurs magazines, auteure, rédactrice-conceptrice, et créatrice de restaurants auprès de son mari dans la Ville rose. La tête bien faite et une sensibilité à fleur de peau et de plume, Karine Sayagh-Satragno a publié en autoédition Cette salope de peau d’âne en 2017, un recueil de nouvelles qui prend le contrepied des contes de fée, puis Sœurs, en 2019, le premier tome d’une saga. Ylana, le deuxième tome est désormais sur les étagères. En parallèle, elle publie Confinée dans la dentelle. Confinée mais pas muselée, ses réflexions et humeurs saupoudrées d’humour, de nostalgie, et de références culturelles sont illustrées par Justine Roussel.

Vous avez un parcours très littéraire… Comment maniez-vous les mots ? Comment construisez-vous un projet d’écriture ?

J’ai écrit ma première fiction à sept ans et je n’ai plus jamais arrêté d’écrire. J’ai suivi des études littéraires, puis j’ai enseigné le français pendant quelques années avant de me reconvertir dans le journalisme mode et culture principalement. Écrire est mon quotidien. Je manie les mots sans y penser, ça ne constitue pas un effort pour moi. J’aime jouer avec eux, j’aime balancer mes phrases. Je suis très instinctive, un petit rien peut déclencher une idée de nouvelle ou de roman. Pour les fictions et notamment ma saga Sœurs, je fomente un plan très détaillé sur le papier avant de me lancer dans le travail d’écriture devant mon clavier.

Je voudrais qu’on puisse lire un roman comme on regarde une série Netflix, je ne cherche pas à compliquer, j’ai même plutôt tendance à « vulgariser », à rendre accessible (mon côté prof peut-être?). Je ne suis jamais plus heureuse que lorsqu’un lecteur me dit qu’il a appris quelque chose en me lisant. J’aime intriguer, j’aime surprendre, j’aime émouvoir. Je veux que les gens passent un moment agréable page après page, comme si mes chapitres, mes tomes étaient des épisodes.

La saga Sœurs est-elle tirée un peu de votre histoire personnelle ?

J’aime à dire que Sœurs est une autofiction, un récit mêlant la fiction pure à quelques grammes d’autobiographie. Ce qui est autobiographique surtout, ce sont les petits détails dans les portraits des hommes et des femmes que je glane dès que je me pose quelque part et que je prête attention à ce qui se déroule autour de moi. J’observe énormément. J’enquête aussi parfois quand un sujet me passionne ou m’inquiète. Je suis capable de déclencher un voyage inattendu au bout du monde pour une idée de chapitre qui me trotte dans la tête. Pour ce qui est de l’autobiographie pure, il y a évidemment l’importance de mes sœurs, de sang et de cœur, les femmes, mes muses. Il y a les grandes tablées, la cuisine de ma mère, la tendresse de mon père et les belles disputes que connaissent toutes les familles. Et les voyages aussi. Ils me nourrissent et nourrissent mes écrits.

Après le premier tome de Sœurs qui amène à réfléchir sur le féminin, la sororité, la judéité, qu’avez-vous envie de retranscrire avec le tome 2, au-delà des itinérances des cinq sœurs ?

Le tome 2 est la suite logique du 1. J’aurais pu m’arrêter là mais j’avais envie de voir mes personnages évoluer, mes lecteurs aussi je pense. Le tome 1 est très visuel, très cinématographique. Je campe les personnages, je les fabrique, je permets aux lecteurs d’entrer en immersion dans le microcosme de cette famille haute en couleurs. Le tome 2 est davantage sur l’émotion, plus contemplatif. En fin de roman, pour les deux tomes, les lecteurs ont accès aux notes explicatives,notamment quant à la judéité. J’avais envie de proposer quelque chose de didactique, de permettre aux béotiens en la matière de comprendre le pourquoi et le comment des rites et pratiques juives.

La recherche prend une belle part dans vos œuvres… Qu’en retenez-vous ?

J’ai travaillé dans une école orthodoxe pendant quelques années à Paris, un milieu qui n’est pas le mien et qui est tout à fait fascinant ! J’y ai appris les choses qu’on n’apprend pas dans les livres. J’ai écouté aux portes, j’ai fait ma gonzo-journaliste sous la couverture d’une gentille directrice d’école. J’ai aussi lu beaucoup de textes religieux ou des exégèses, j’ai regardé des documentaires, parlé avec des instances compétentes, des converties. C’était particulièrement enrichissant d’en apprendre autant sur une religion qui est pourtant la mienne. Quand on naît juif, chrétien, musulman, on n’interroge pas forcément le pourquoi de nos traditions. Il y a encore une quantité de choses que j’ignore !

Le destin apparaît comme étant une toile de fond. Quel rapport entretenez-vous avec celui-ci ?

Je suis très fataliste, je crois à la prédestination aussi. Je pense que tout est écrit et qu’il ne sert pas à grand chose d’essayer d’influer sur son propre destin ou sur celui de nos proches. Le destin nous rattrape toujours, non ?

Quel rapport entretenez- vous avec le féminin ? D’ailleurs, vous considérez-vous comme féministe ?

Quelle femme ne souhaiterait pas l’égalité politique, culturelle, économique, sociale ou juridique? Toutes les femmes sont féministes, non ? Plus que le féminisme pourtant qui est parfois extrémiste et militant, je suis adepte du concept de sororité. J’aime les femmes. Et elles me le rendent bien. Je ne suis pas en compétition avec les autres femmes, elles me font grandir, je les aide à avancer, c’est un échange. Le feu qui les anime, la force de vie qu’elles emploient et déploient pour exister, pour progresser, j’ai la même en moi.

Préparez-vous un tome 3 ? Pensez-vous qu’une série tirée de cette saga pourrait voir le jour ?

Oui, le tome 3 est en écriture. J’irai peut-être jusqu’au tome 5 pour honorer chaque sœur, je ne sais pas encore. En effet, j’adorerais voir Sœurs devenir une série ou pourquoi pas une pièce de théâtre. Les personnages sont forts, vivants, l’intrigue favorise les rebondissements. Ce serait un challenge considérable !

En parallèle de la sortie du tome 2 de Sœurs, vous avez publié Confinée dans la dentelle, en collaboration avec l’illustratrice Justine Roussel. Qu’est-ce qui a déclenché ce projet ?

Le confinement a été une épreuve pour moi comme pour beaucoup d’autres. J’avais ce besoin cathartique d’expulser mes angoisses, mes craintes, de canaliser mon hyperactivité en cherchant des réponses au dehors. Mon dehors, c’était mon réseau Facebook, confinement oblige. Alors j’ai commencé à écrire presque quotidiennement sur un sujet, le couple, le silence, la maternité, le sexe, le cinéma, l’écologie, les femmes battues, etc. Puis Justine Roussel, rencontrée peu avant en Tanzanie, a commencé à illustrer mes chroniques à flux tendus et Stéphanie Chaulot, notre éditrice, a souhaité publier ce recueil le jour du déconfinement. Un vrai challenge au féminin.

Est-ce un besoin de vous rapprocher des lecteurs ? De questionner les bouleversements de la pandémie ?

J’ai aimé ce moment très singulier où il m’a semblé penser à l’unisson avec mes semblables. L’inconscient collectif. Je me suis rendue compte que mes préoccupations n’étaient pas que les miennes et c’était engageant, presque rassurant même. Ce ne sont pas des confidences, juste des réflexions communes. Ma voix répond à celle des lecteurs. Ce n’est pas un dialogue unilatéral. Ils sont là, confinés ailleurs, et ils pensent ce que je pense, ils ressentent ce que je ressens.

Ce journal est très personnel. Est-ce un exercice aisé de donner autant de vous-même, de livrer une sensibilité à fleur de peau ?

Je ne me suis pas posée la question en écrivant. J’avais besoin de partager mon ressenti et d’obtenir celui des autres, leur assentiment, leur désaccord. En effet, c’est un journal, je dis “je” je dévoile qui je suis, je me tourne en dérision. Mais ce n’était pas pénible, c’était une sorte d’exutoire, mon lien avec l’extérieur. Quand les émotions deviennent trop intenses, j’ai tendance à user de l’humour dans la vraie vie. Pour Confinée dans la dentelle, ça a été une réponse évidente. Rire de ce qu’on ne peut pas changer ni comprendre.

Vous y abordez différents thèmes : le silence, la vie conjugale, la maternité, l’écologie, etc. Quel est celui qui a le plus nourri vos réflexions, le plus difficile ?

Chaque jour chassait l’autre, chaque sujet le suivant, il est difficile de choisir. Le couple, la maternité, l’amour ont été mis à mal pendant cette période de claustration. Nous avons dû nous réinventer. J’ai lu récemment dans un article que beaucoup de familles avaient explosé pendant le confinement. Je ne suis pas surprise. La mienne est restée debout et unie mais les crises ont été nombreuses, un confinement épileptique et électrique, surtout lorsqu’on est comme moi assez solitaire. C’est étrange mais j’avais envie d’être seule, alors que j’étais déjà coupée de tout. Cette solitude m’a beaucoup manqué. C’est un mode de vie pour moi. Je retiens surtout de cette période un grand silence. Une angoisse qui ne s’efface jamais complètement. Je n’aimerais pas du tout avoir à écrire un tome 2 de Confinée dans la dentelle.

Quels sont vos projets ?

Déjà finir d’écrire les 26 chapitres de Sœurs 3, tome qui portera le nom de la troisième sœur, Léna, puis poursuivre mon idée de roman, initiatique, et voir paraître mon album jeunesse La tête ailleurs avec l’illustratrice Nelly Gurb aux Éditions Yucca.

Dans la vie, qu’est-ce qui vous inspire ?

La transmission peut-être. En tant que mère, en tant que femme, en tant que journaliste et en tant qu’auteure. Et pour finir sur une note d’humour, ce qui me motive c’est le départ. Un billet de train, un carton d’embarquement, mon vélo… J’aurais pu présenter J’irai dormir chez vous sans aucun problème ! Mais avec mes enfants en plus (rires) !