Associée fondatrice du cabinet Altij, déléguée à l’innovation et au numérique auprès de l’Ordre des avocats de Toulouse, la protection des données est devenue, pour cette avocate marquée du sceau de la singularité, son cheval de bataille.
Sa robe d’avocate est l’équivalent du costume de Marvel, une arme qui a permis à cette femme à la personnalité charismatique de vaincre sa grande timidité et de militer en faveur de la liberté. Dotée d’un caractère bien trempé et d’un bagage personnel hors norme, France Charruyer, qui a prêté serment en 1993 au cœur de la Ville rose, manie autant les mots dans l’arène du plaideur, que devant un parterre d’étudiants et sur une feuille de papier à épancher une prose artistique. Pour preuve, cette quinqua, qui, petite a été bercée par les aventures de Saint-Exupéry que lui contait son père, et qui s’intéresse à la création dans tous ces états, a même sorti un album de trip hop jazz du groupe Code Murasaki, Babylon butterfly, en 2011. « J’ai écrit tous les textes et écrit aussi pour d’autres. Je tire mon inspiration de Baudelaire, Keats, René Char… La musique fait partie intégrante de ma vie avec la poésie », souligne l’avocate. Une anecdote qui détonne dans un univers perçu comme austère, emmuré dans son propre langage.
Femme de droit et légèrement femme de lettres, les mots sont-ils devenus un exutoire ? « C’est comme un voyage intérieur. J’aime la poésie, car c’est un travail de construction de soi. C’est aussi ma façon de domestiquer ma sensibilité extrême et puis cela me permet de chercher le mouvement », explique cette « fille du vent », comme elle aime se définir. Après avoir gravé dans ses yeux azur, les paysages de la Polynésie française et de la Nouvelle-Calédonie durant sa jeunesse, au côté de sa sœur cadette, ballottée par les astreintes d’un père militaire, elle choisit Toulouse comme point de chute, pourtant toujours partagée entre deux rives.
À la tête du cabinet d’avocats Altij qu’elle a fondé avec Patrick Nadrault en 2002 – année où elle est devenue mère –, France Charruyer a notamment développé une expertise reconnue en droit des affaires et en technologies avancées (IT). L’avocate, accompagne ainsi depuis deux décennies les entreprises dans l’exploitation, la valorisation et la défense de leurs actifs immatériels. Depuis l’avènement d’internet, la professionnelle, qui a beaucoup œuvré pour les logiciels libres et qui a notamment travaillé sur les premiers échanges de données informatisées en tant que stagiaire au sein d’un géant aéronautique toulousain, a très vite perçu les opportunités de ce nouvel outil. Mais aussi le spectre des dérives et des limites, internet ayant aujourd’hui basculé dans les abysses de l’immédiateté, du tout le temps, du partout, avec des données qui fuitent n’importe où. « Je voyais que le numérique pouvait être une arme et je voulais apprendre à m’en servir pour mieux l’appréhender. Nous sommes dans une période charnière, explique-t-elle sur un débit à en couper le souffle. Le code numérique ne doit pas devenir un code de substitution au code juridique. Les démocraties doivent établir les limites. Nous avons un cocktail explosif : homme, technique et machine. Citoyens et entreprises laissent sur la toile des données qu’ils n’ont pas toujours choisi de livrer. Plus on se connecte, plus on donne des datas qui prennent de nous plus que nous ne le savons et qui sont recrachées sous forme de prédictions. Cet outil qui peut se révéler formidable est en train de nous échapper. Google, par exemple, sait tout avant même que nous en ayons envie. Nous sommes confrontés à une fabrique de consentement et à un choc du numérique. […] Nous capitalisons sur ces consentements et puis nous assistons à une plateformisation de l’économie. Les compagnies savent tout de nous mais où est la boussole ? » Retrouver une respiration dans une société gangrenée par le « faux » et une servilité consumériste volontaire, une société d’autant plus bousculée par les effets de la pandémie qui n’ont fait que renforcer la dépendance numérique et la capitalisation boursière des mastodontes du net, est le message que distille cette professionnelle du droit. « Je me bats pour les libertés numériques. C’est un enjeu majeur. En 2022, les populations des pays avancés consommeront plus d’informations falsifiées ou d’intox que d’informations vérifiées », pointe-t-elle.
Cette hyperactive, qui prend toujours goût à parfaire son apprentissage, collectionne les diplômes (DESS de droit des affaires, DU en droit de l’art, Executive MBA management des risques, sûreté internationale & cybersécurité, etc.) et les étiquettes. Sa vie ressemble à un inventaire à la Prévert. Elle est, entre autres, enseignante à l’université Paris Dauphine et au sein d’écoles toulousaines, déléguée à l’innovation et au numérique de l’Ordre des avocats du Barreau de Toulouse et active sur le terrain économique local.
France Charruyer s’illustre également au sein de l’association Data Ring qu’elle a créée, qui, depuis quatre ans, regroupe des professionnels du droit et des chefs d’entreprise qui baignent dans l’écosystème du numérique. À travers des colloques, la proposition de labels et de codes de conduite, ou encore l’édition d’ouvrages, l’association a à cœur de promouvoir la protection des données personnelles et les libertés publiques, le partage des savoirs et de la culture numérique. Encourager la Privacy, la lutte contre l’illectronisme et le droit à l’autodétermination informationnelle, ces trois formules résument bien le cheval de bataille de cette grande amatrice du numérique… et d’équitation. « Mon combat d’avocat est la défense de la liberté individuelle dans le numérique d’autant plus avec la crise sanitaire. Et sur le réseau, c’est une vraie guerre qui se livre avec une augmentation des cyberattaques ».
L’une des missions de l’association est de sensibiliser les acteurs publics et privés sur cette mise en données du monde et de les aider à « monter dans le train de la data » afin de garantir un niveau de sécurité informatique et une transparence de l’information vis-à-vis de leurs partenaires, clients et salariés. Et cette demande s’accroît autant du côté des acteurs privés et publics. Quid des besoins des entreprises qui se bousculent au portillon ? « Les entreprises viennent nous voir pour essayer de retrouver de la valeur sur la toile qui peut être vecteur d’accélération de croissance. Aujourd’hui, elles ne sont pas à armes égales face aux Gafa et doivent devenir souveraines sur leurs données. Nous leur délivrons des clés pratiques et nous sensibilisons aussi d’autres acteurs à ce sujet ». La professionnelle a d’ailleurs écrit un ouvrage à quatre mains avec Jean-Luc Sauron La protection et la valorisation des données par les collectivités, 2020, aux éditions Berger Levrault afin que le RGPD ne soit pas perçu comme un frein mais bien comme un outil concurrentiel et d’en faire un levier de gouvernance des territoires. Quid d’ailleurs de l’avancement du RGPD ? « Cette réglementation nous a permis d’avoir des lois à portée extra-territoriale. Mais, il reste encore beaucoup à faire. Les PME n’ont pas forcément les moyens financiers et humains pour appréhender cette transition numérique. Nous sommes donc là pour les aider. C’est aux entreprises de prouver qu’elles sont conformes, au-delà de la transparence. Elles ont une carte à jouer et les PME n’ont pas encore suffisamment conscience de leur patrimoine informationnel et de l’opportunité de monétiser leurs datas ». L’autre mission de la structure associative est d’aider les étudiants à s’insérer dans le milieu professionnel et de jouer un rôle de mentor.
En marge, France Charruyer milite dans le cadre de l’association pour un pass data. « Il est à destination des PME afin d’implémenter une législation complexe (la documentation juridique de la compliance). C’est une sorte de permis de conduire Data afin que nos PME puissent valoriser leur actif immatériel. Le droit n’est pas une contrainte mais un outil de compréhension d’organisation et de changement. Ce pass s’adressera également aux jeunes évoluant notamment sur les métiers émergents. » France Charruyer a également été mandatée par l’association de droit américain à vocation internationale, Information Security Operations Center (Isoc) créée en 1992 par les pionniers de l’Internet-, en vue de rejoindre un combat mené par son confrère Olivier Iteanu pour contraindre Facebook à mettre en place un niveau de sécurité supérieur. Le travail à mener est encore long selon la professionnelle qui toutefois manie les réseaux sociaux, en connaissance de cause.
Loin de l’image de la vahiné, France Charruyer, a forgé sa capacité d’adaptation à travers les pérégrinations de ses parents. Nourrissant une imagination prolifique à travers la littérature, passion que lui inculque son père, élevée à la débrouillardise et au dépassement de soi, elle apprend aussi différentes disciplines sportives, une nécessité sous les îles du vent et sous les ordres paternels. « Je n’ai pas toujours eu une éducation facile mais elle a été riche. Je devais savoir monter à cheval, me battre, etc. J’ai fait beaucoup de plongée sous marine, et aujourd’hui encore, je m’évade parfois le week-end sur ma planche à voile. J’ai conservé ce rapport très fort à la nature », livre-t-elle. Passée d’une école par correspondance à un collège de jésuites, elle obtient un bac scientifique en Nouvelle Calédonie. « Ramener de mauvaises notes n’était pas une option pour moi », se souvient celle qui a évolué parmi des cultures différentes. Une diversité d’esprit qu’elle retrouve lors de sa maîtrise de droit anglais – droit et éthique médicale, droit privé à l’université de Kent, après l’obtention d’une bourse. « J’ai retrouvé un melting-pot qui me manquait à Toulouse. J’ai adoré cette porte ouverte sur le monde qu’offrait cette université. Je voulais d’ailleurs rester en Angleterre. J’ai été acceptée au King’s College de Londres mais j’ai dû rentrer en France. Aujourd’hui, c’est mon fils qui va profiter de cette expérience universitaire », sourit-elle. D’ailleurs le droit était-il une vocation ? « Ça l’est devenu. À la base, mon père m’a mis dans un avion à 18 ans direction la France et m’a conseillé de suivre cette voie. Je ne regrette pas de l’avoir écouté ».
De retour dans l’écrin de briques rouges toulousain, elle ne le quittera plus. Son diplôme de droit en poche, la jeune femme, qui bûche ardemment pour laisser tomber le masque de la timidité, remporte notamment un concours d’éloquence, le Prix Maurice Garçon en 1994, sur un thème pour le moins surprenant « Faut-il brûler les sorcières ? », ce qui lui permettra d’étoffer sa liste de clients.
De 1994 à 2002, assistante de Jean-Pierre Marty pour le droit des affaires, puis de Philippe Lamouroux, pénaliste et personnalité du barreau toulousain, elle appréhende les rouages du milieu. « Ma première plaidoirie fut un dossier contre le Bâtonnier Matheu en social ». Elle trace en parallèle son propre chemin, portant un regard particulier sur le numérique, encore confidentiel à l’époque, avant de créer son cabinet. « Ma carrière aurait été plus facile dans le Pacifique mais je n’aime pas la facilité », relève-t-elle. Ses faits d’armes ? « Un de mes plus beaux souvenirs résulte de la défense du peintre Juan Jordà, aujourd’hui décédé, qui m’a profondément marqué. Il a orienté mon exercice professionnel, à savoir exercer librement en structure indépendante », conclut la passionnée qui a créé récemment la Fondation de Kader Belarbi sur la promotion du spectacle vivant et la volonté d’être hors les murs.