Hubert de FaletansUne recette du bonheur

À la tête du restaurant L’Esprit du Sud-Ouest, de la brasserie Les Frères Brasseurs et du château de Pontié, un site d’événementiel, le jeune quinquagénaire doit aujourd’hui se battre sur tous les fronts pour faire vivre ses entreprises.

«À chaque fois, c’est un cauchemar », expliquait récemment Hubert de Faletans à un jouraliste de France Bleu, décrivant, au bout de ses nuits d’insomnie, des réveils « en sueur, le cœur qui bat fort ». Preuve que la crise qui frappe bon nombre de secteurs de l’économie et plus particulièrement l’hôtellerie-restauration, va laisser des traces, et pas seulement dans les comptes des entreprises : elle va aussi profondément marquer les corps et les esprits.

Pour le patron du bistro de pays L’Esprit du Sud-Ouest à Blagnac, de la brasserie Les Frères Brasseurs, à Aucamville, et du château de Pontié, à Cornebarrieu, un lieu dédié à l’événementiel, c’est même la triple peine. Le 14 mars, à la veille d’un week-end, « en quatre heures », explique-t-il, il a dû fermer son restaurant. Dans le même temps, la brasserie qui l’alimentait, ainsi que les bonnes tables alentours, a perdu tous ses clients – même si elle a, depuis, repris un semblant d’activité grâce à la livraison à domicile et à la solidarité de certains d’entre eux ; et que dire du château, la demeure familiale, où l’on a déjà compris que la reprise de l’activité de séminaires n’était pas pour demain.

Le responsable de la branche restauration de l’UMIH 31 dont il est vice-président depuis trois ans, sait donc de quoi il parle lorsque, dans le cadre de la cellule de crise que le syndicat a mise en place, il a au bout du fil des patrons de TPE. Des restaurateurs, qui après avoir vu fondre leur chiffre d’affaires impacté par un an de manifestations de Gilets jaunes puis des opposants à la réforme des retraites, ont dû encaisser ce nouveau choc, « très violent » et se posent désormais la question de leur propre survie. « On estime à 30 ou 40 % la part des entreprises du CHR (café hôtellerie-restauration) qui ne s’en relèveront pas », confirme-t- il. Car, au-delà des mesures d’urgence mises en place par le gouvernement – « elles existent, c’est déjà bien. Mais, non, elles ne sont pas suffisantes » –, « il faudra des mois pour retrouver des niveaux d’activité qui nous permettront de passer le seuil de rentabilité, c’est-à-dire de ne plus perdre d’argent. Mais pendant tous ces mois, aurons-nous encore des aides ? », s’interroge le patron de PME qui comme ses confrères, a fait ses calculs. « Nous sommes dans un brouillard total. ».

On imagine le crève-cœur pour ce Gascon pur jus, aujourd’hui obligé de soigner son jardin plutôt que ses clients, alors qu’il a fait de la convivialité une cinquième valeur cardinale. Hubert de Faletans n’avait pourtant pas cette vocation qu’ont certains, chevillée au corps, d’être restaurateur. Il l’est devenu au fil d’un parcours sinueux et d’ailleurs assure-t-il, c’est un abus de langage, il est avant tout « un chef d’entreprise », qui plus est, multirécidiviste. Amateur de rugby et de bonne chère, le verbe haut, Hubert de Faletans a fait l’école buissonnière plutôt que les grandes écoles. « Je n’étais pas du tout motivé par l’école. Mes parents m’ont amené coûte que coûte jusqu’au Bac, que j’ai esquissé ! J’aspirais en fait à beaucoup d’autres choses, explique-t-il. Mon père a été major de promo de l’école d’ingénieur de Purpan. Son mariage lui a amené une belle propriété, un gros élevage de moutons et de chèvres. Et j’ai vu mes parents souffrir toute leur vie. C’est peut-être cela qui, inconsciemment, a fait que je n’ai pas accroché avec l’école. » Le Bac définitivement loupé, les parents du jeune homme lui donnent six mois pour trouver « un sens à ma vie ». En janvier 1990, il s’engage dans la Marine nationale, fait ses classes près de Cherbourg puis une spécialité à l’école des détecteurs à Saint-Mandrier. Il prend part à la Guerre du Golfe et fait d’autres campagnes sous le commandant d’Yves de Kersauson, « un homme exceptionnel ».

Trois ans plus tard, il quitte la Royale. « À l’époque, il fallait faire les choses sans savoir, sans réfléchir, sans comprendre. Cela me dérangeait. Obéir pour obéir, ce n’est pas mon truc. »

Entre-temps, Hubert de Faletans a rencontré sa future épouse. L’envie grandit alors de reprendre une formation. De nouveau sur le plancher des vaches, il intègre à Toulouse l’Institut de perfectionnement consulaire et obtient l’équivalent d’un Bac force de vente. « Comme tous les jeunes commerciaux qui démarrent », il vend des alarmes, des vérandas, puis du matériel informatique chez un grossiste, Banque Magnétique devenue Exertis, où, à la tête d’une zone qui couvre 18 départements, il passera huit ans.

En novembre 2006, alors que la nouvelle boîte qui l’emploie fait faillite, il réfléchit sérieusement à se mettre à son compte. Mais plutôt que de continuer dans la vente de hardware, il se lance, sur un coup de tête, dans la restauration en rachetant un fonds de commerce. « À ce moment-là de ma vie, je me cherchais. J’avais connu deux licenciements économiques et cela me dérangeait d’être à la merci des choix d’autres personnes. Au fond, j’ai toujours dû avoir une âme de chef d’entreprise ou de travailleur indépendant parce que j’ai basculé dans ce mode de fonctionnement très facilement. C’était une évidence pour moi », explique-t- il. Habitué chez Exertis à travailler de façon autonome, « cela m’a amené à me dire que j’étais fait pour choisir mon chemin. J’aime faire mes propres essais, mes propres erreurs. L’expérience est le nom que donnent les hommes à leurs erreurs », cite-t- il. Le voilà associé, à la tête d’un établissement installé rue des Filatiers, qui exploite en franchise un restaurant de cuisine basque. Mais l’expérience tourne court. « Au bout d’un an, rentrer chez moi à 7 heures du matin, ça ne me plaisait plus du tout, se souvient Hubert de Faletans. J’avais deux enfants en bas âge et donc j’ai fait des choix. »

Il signe ainsi quelques mois plus tard, en février 2009, l’acquisition d’un autre restaurant dans Blagnac qui fonctionne cinq jours par semaine et qui, comble du luxe, se trouve tout près de chez lui, « ce qui permettait de reprendre une vie familiale un peu plus normale. » Le nouveau patron fait évoluer la carte : de l’auberge « Tricatel », l’établissement, rebaptisé L’esprit du Sud-Ouest, devient un vrai bistro de pays. Un restaurant « où l’on peut parler fort, où l’on mange de la viande, des frites à la graisse de canard… Amener ce genre d’ambiance dans une zone aéroportuaire industrielle était un pari, mais ça marche plutôt bien », reconnaît le chef d’entreprise. Et de fait, les cadres de l’aéronautique et des SS2I semblent apprécier cette cuisine 100 % maison, ses bières artisanales et ses vins du Sud-Ouest puisque, ajoute-t-il, « nous arrivions à faire trois jours par semaine jusqu’à 120 couverts à midi ». Des produits simples, de la chaleur dans le contact… Cela pourrait bien être, pour ce « fils de paysans », la recette du bonheur : « je considère que la restauration, du moins la mienne, est une récréation entre deux demi-journées de travail. Mon restaurant est récréatif ! »

Autre coup tête ou plutôt vrai coup de cœur : en 2017, Hubert de Faletans rachète à Alain Cayuela sa brasserie Les Frères Brasseurs, créée en 2001, jusque-là son fournisseur attitré. « En moins de dix minutes », il prend sa décision, s’engage pour 190 K€ à reprendre l’affaire, « sans avoir appelé ma banque, sans savoir comment j’allais la financer »… Un achat impulsif ? « Ça me semblait logique, s’amuse Hubert de Faletans. Il y avait aussi ce côté créatif. Une fois de plus, j’allais pouvoir décider de tout : le financement, le marketing, les lignes de produits, le packaging, les étiquettes, etc., et ça, j’aime bien ! »

Il plonge aussi avec délice dans l’histoire brassicole toulousaine. La recette de la bière Tolosa, Alain Cayuela l’a reçue il y a 20 ans d’un des derniers grands brasseurs de la Ville rose, Jean Haffner. « C’est un pan du patrimoine brassicole toulousain que je prends immensément plaisir à sauvegarder ! » Le quinqua voit ainsi d’un très bon œil l’apparition de « cette nouvelle culture de la bière » et l’essor des microbrasseries. Loin de « l’embourgeoisement du vin », « la bière n’est pas aussi vulgaire qu’on le pense, affirme-t-il. Avec des recettes spécifiques, des bières différentes, elle redevient une boisson noble ».

Comme si cela ne suffisait pas à son bonheur, Hubert de Faletans a ajouté dans le programme de ses journées déjà très chargées la gestion du château familial de Pontié, un patrimoine qui lui vient du côté de sa mère et que ses parents, après avoir essuyé plusieurs crises successives dans le domaine de l’élevage et décidé de jeter l’éponge, ont modernisé pour en faire un lieu de réception pour les entreprises. « En 1993, des châteaux comme le nôtre qui recevaient des clients chez eux n’étaient pas très nombreux. Nous avons dû être dans les deux ou trois premiers ! »

Pendant 25 ans, ses parents font fructifier l’affaire, reçoivent en séminaire les cadres supérieurs des grands groupes régionaux, servent « une cuisine familiale, bourgeoise et généreuse », à telle enseigne que « dans les livres de cuisine de ma mère, on vous expliquait que pour faire une crème anglaise il faut 15 œufs au litre, parce qu’en dessous, ce n’est pas bon ! » Une époque « où on ne se posait pas de question et pas de problème de régime »… À 75 ans, sa mère a enfin pris sa retraite, laissant la gestion de l’activité réception à Hubert de Faletans et son épouse. Sauf que depuis le début des années 90, le paysage a bien changé. « Une nombreuse concurrence s’est installée dans un rayon de 30 kilomètres et puis là, depuis mars, c’est la catastrophe, tout est reporté ou annulé… » Nichée au cœur d’un vaste domaine, la maison qui paraît immense n’est pourtant « pas assez grande, reconnaît le chef d’entreprise parce que les enjeux sont totalement différents. Il faudrait investir lourdement pour rendre à la propriété des capacités réceptives plus adaptées aux besoins du marché. » Des perspectives qui semblent encore un peu plus lointaines depuis le 14 mars.

Parcours

1969 Naissance à Toulouse
1994 BT Force de vente à l’institut de perfectionnement consulaire
1998-2006 Diverses expériences dans la vente notamment de matériel informatique
2007 Création d’un restaurant en franchise
2009 Rachat du Goulu, rebaptisé L’esprit du Sud-Ouest à Blagnac
2017 Reprise du Château de Pontié, activité de lieu de réception. Et rachat de la brasserie Les Frères Brasseurs