Infirmière depuis huit ans au CHU de Purpan, cette toulousaine pure souche, tendre et déjantée, soigne le quotidien avec l’humour. Elle en a tiré des sketchs et s’apprête (enfin) à faire pleurer de rire son public à travers son spectacle Infirmière sa mère soit plus de 50 dates à l’affiche dans tout l’Hexagone, jusqu’en 2022.
Simple, enjouée, Caroline Estremo est une femme à l’image de son rire : solaire. Cheveux courts, allure soignée, tatouage discrètement camouflé par une veste à carreaux, des yeux bruns francs et pétillants, elle se révèle avec une spontanéité désarmante et l’humeur joyeuse face à une flopée de questions… et un café trop vite avalé. « Je suis ici avec vous comme je suis avec ma famille, c’est mon défaut », lâche-t-elle en souriant. Ça tombe bien, le franc-parler – les petits jurons toutefois en moins, contrairement à ceux qui s’immiscent dans ses sketchs – c’est ce qui nous plaît, tout autant qu’aux foules qu’elle fait désormais déplacer. Si lors de son premier one woman show Quand tu es infirmière aux Urgences, joué en 2017, elle se considérait comme une « infirmière qui faisait des blagues », aujourd’hui, celle qui affectionne notamment la technique, la folie et le côté osé de Romane Frayssinet, Baptiste Lecaplain ou encore Paul Mirabel, se sent « humoriste », à travers son spectacle Infirmière sa mère. Mais comme elle l’explique, « tout en restant infirmière. C’est mon fil rouge, et puis, on le reste toute sa vie. Je vois le quotidien à travers cette identité qui m’a forgée », précise la trentenaire. Bien que cette mère d’une fillette de trois ans, a rendu sa bouse blanche depuis juin 2020, pour se consacrer à son rêve d’enfant et parvenir à concilier vie de famille et vie d’artiste, rien ne dit que ce chapitre soit définitivement tourné.
À la question, « vous n’en seriez pas arrivée là si… », elle répond sans hésiter : « Si je n’avais pas eu ma femme. Dans mon ancienne vie, on ne me tirait pas forcément vers le haut. Elle m’a vraiment appris à m’assumer, à donner le meilleur de moi-même, à lâcher prise, et faire ce que j’aime. Elle m’a relevé le menton, m’a dit « regarde qui tu es et ce que tu sais faire ». C’est un peu kitch mais c’est la vérité ». Il aura fallu 10 ans à ces deux amies pour se voir autrement.
Si depuis son enfance, Caroline Estremo, garde toujours le rire à portée de main – elle a pratiqué l’art théâtral durant cinq années –, tout a véritablement commencé le 18 septembre 2016. Pour évacuer le trop-plein de souffrances auquel elle assiste quotidiennement et les injustices de la vie, elle réalise une vidéo, laquelle génère un million de vues sur Youtube. « Le sketch radio d’Anne Roumanoff qui rendait hommage aux infirmières m’a donné l’idée de faire la même chose mais avec mon regard direct de professionnelle de la santé ». La préparation d’un sketch plus tard, cette célébrité naissante a failli pourtant retomber comme un soufflé lors d’un premier essai devant un directeur de théâtre toulousain réputé. « En 30 secondes, il m’a dit « ça ne va pas ». Prenant compte de ses conseils, je me lance une deuxième fois et il me lâche « quand je t’ai vu dans le bureau, tu avais de la prestance et sur scène, il n’y a plus rien »». Mais c’est sans compter sur l’opiniâtreté de la comédienne en herbe. « Sur le moment, ma fierté en a pris un coup, j’avais envie de pleurer, mais j’encaisse avec ce que j’appelle le reset de la nuit, et puis, j’en fais un moteur, une force. Je veux arriver à mes 85 ans, me retourner sur ma vie et me dire que j’ai vécu un maximum d’expériences, et même si ça échoue, ne pas rester dans le regret ». La suite donne raison à celle qui voit toujours le verre à moitié plein, malgré les épreuves.
Dans son bureau, armée de café noir et emmurée dans un silence assourdissant, la jeune femme épanche sur le papier de l’humour médical tiré de son quotidien, sans langue de bois. Pas de private joke, les anectodes sont destinées au final à tout le monde. « Je relate du 100 % vécu, sinon j’aurais l’impression de mentir, de ne pas coller à la réalité du terrain. J’ai besoin d’une matière réelle pour exprimer une vraie émotion. Et puis, je suis un peu toquée, lâche-t-elle. Il faut que ça me ressemble. Je ne veux pas emprunter les histoires des autres ! » Le message qu’elle souhaite distiller est à la fois un hommage à la profession et un tacle, mais toujours avec dérision. « Je savais que je m’embarquais dans un métier difficile et j’étais quasiment préparée à tout sauf à la violence verbale des patients. J’ai découvert aux Urgences, le trop-plein d’égoïsme de l’humanité et ça a été une véritable claque. Je plante ainsi véritablement le décor, ce qui ne transparaît pas toujours à travers les séries américaines », confie pourtant cette fan de la série Grey’s anatomy, série qui lui a donné envie de devenir infirmière… comme sa matriarche. « Ma mère était une passionnée et n’a jamais laissé transparaître les facettes sombres du métier. » À travers ses mots, Caroline Estremo milite également pour un meilleur système de soins, pour le bien-être des patients, mais aussi pour une meilleure gestion de la souffrance des soignants. Quid des détails qu’elle n’exprime pourtant pas sur les planches? « J’ai évoqué en pointillé la problématique du burn-out, mais cela n’a pas été apprécié. C’est un sujet qui me tient à cœur d’autant que ma mère en a vécu un à cause de sa hiérarchie, malheureusement les infirmières sont plutôt du genre à fermer les yeux là-dessus et à dire : « on s’accroche, on sait que ça nous arrive mais on ne le dit pas, on s’accroche ». La pandémie, je n’y fais également qu’une allusion, elle ne mérite pas sa place dans un spectacle. Également, j’évoque rapidement les toilettes mortuaires que nous pratiquons au CHU, mais il s’agit simplement d’un clin d’œil avec une touche d’humour noir ».
Depuis quatre ans, son jeu a évolué. « J’atteins une certaine maturité, mais je travaille encore sur moi et mon interaction avec le public. Auparavant, j’étais vraiment concentrée sur mon texte. Maintenant c’est différent, je m’adapte davantage à la réaction des spectateurs. Je fais de l’improvisation malgré moi. »
Ajoutant une ligne de plus à son CV d’artiste, cette pure littéraire a également écrit trois ouvrages dont #Infirmière et Tu sais que tu es infirmière quand… parus en 2017. Suite au buzz généré par sa vidéo, les éditions First l’ont contactée pour écrire un livre sur ses expériences, d’autres ont suivi dans la même maison. Une opportunité qu’elle saisit alors à pleines mains.
Dans son dernier ouvrage Salle de Pause — Les infirmières ont aussi de l’humour !, présent en librairie depuis juin, elle revient sur sa double vocation, sur son passage de l’hôpital à la scène et sur son retour « au front », au printemps 2020, lors de la première vague. « J’avais fait la maligne, saluer les copains en leur disant « je vais essayer de plaire aux foules ». Finalement j’ai improvisé comme tout le monde et je retiens l’image des urgences étrangement vides, pas saturées par la bobologie qui nous prenait un temps fou ». Elle dévoile beaucoup, et surtout parce que c’est un sujet sensible : cette pression relâchée dans la salle de pause, « Nous sommes obligés, souffle-t-elle. Dans ce métier, il y a des choses difficiles à vivre. On doit dédramatiser et plaisanter ». Elle déballe son perfectionnement de la technique du « forage nasal », sa peur bleue de contaminer ses proches, sa façon de garder le masque « tranquille » devant ses patients alors qu’elle panique, etc. Une mise à nue qu’elle affiche avec aisance. « Je n’ai pas de mal à raconter, malheureusement ! Des lecteurs m’ont rapporté qu’ils avaient même l’impression d’entendre ma voix au fil des pages. Tandis que mon premier livre était plus scolaire et que je m’attachais à faire de belles phrases, ici, j’ai totalement lâché prise », lance-t-elle. Quel rapport l’artiste a-t-elle avec les mots ? « C’est un exutoire. J’ai toujours aimé écrire… Ma mère nous a toujours éduqués dans l’idée de sortir ce qu’on avait à dire, donc d’instinct, je parle et j’écris », explique celle qui garde dans ses tiroirs « à faire » déjà l’idée d’un autre livre, cette fois sur sa vie d’adulte.
Lorsqu’elle est enfant, ses car- nets de notes mentionnent déjà « élève bavarde et peut mieux faire ». « La seule année où j’ai vraiment travaillé, c’était en 4e car je visais les félicitations que j’ai eues ! Plancher dur ne me fait pas peur, surtout dans le domaine créatif », se souvient celle, qui aujourd’hui, est très exigeante envers elle-même et court après le temps.
Au côté d’un frère aîné qui l’éduque comme un garçon manqué, elle est joueuse, frondeuse et déborde d’imagination, ce qui parfois inquiète ses proches. De son propre aveu, elle est restée la même, « mais je pleure plus souvent et je suis moins courageuse. Et quand j’ai mal, on le sait ! », sourit-elle.
Née d’un père cadre administratif et d’une mère infirmière, elle s’imagine d’abord avocate puis comédienne. Ses parents veulent, eux, un « vrai » métier pour leur fille. « Ils ont ri quand j’ai parlé de passer des castings. » La jeune étudiante commence alors des études de droit à l’Arsenal de Toulouse, une aventure qui tournera court « Ce n’était pas fait pour moi. Je ne suis pas assez sérieuse. Quand j’y repense, je me dis qu’on m’aurait congédiée du tribunal ! Pendant un cours, j’ai réfléchi à mon avenir en inscrivant sur une feuille : métier dynamique, où on ne s’ennuie pas et utile. Au final, j’ai été doublement servie ! » C’est là que le métier d’infirmière fait tilt. Elle se souvient pourtant avoir, un jour, répondu à sa mère, laquelle n’a pas réussi à lui inoculer le virus : « « Non merci pour faire des piqûres et voir des fesses toute la journée ! Jamais! ». Comme quoi il ne faut jamais dire jamais. D’ailleurs, jamais je n’irai à Hollywood ! Si quelqu’un m’entend… », s’esclaffe-t-elle. S’ensuit une carrière d’infirmière diplômée d’État aux Urgences de Purpan à Toulouse, huit années où elle apprend à maîtriser les imprévus et à voir la vie autrement.
Aujourd’hui, la jeune femme qui laisse tomber le masque de la timidité face à son public, mais « n’ose pas demander conseil dans une boutique », se prépare pour cinquante dates prévues jusqu’en 2022, dont le Casino Barrière de Toulouse en octobre. Les éclats de rire dans les salles sont ainsi devenus son carburant. « C’est un frisson qui traverse le corps et parfois, j’en ai la larme à l’œil. Je continue d’avoir la peur du trou de mémoire, mais je n’ai plus envie de faire un malaise ou de mourir comme à mes débuts. Il suffit d’entendre le premier rire et mon ego est flatté ». Avant de monter sur scène, Caroline Estremo a pour habitude de la toucher et de lui parler, une façon de communier avec elle. « Je visualise mon père, qui a rejoint les étoiles quand j’avais 26 ans, et qui me dit « tu vas assurer ! »».
Redoute-t-elle la critique? Oui. Craint-elle la notoriété ? « Non, je la veux ! J’ai trop d’ego pour ça ! C’est agréable qu’on me demande des selfies dans la rue. Je n’ai pas encore vu l’envers du décor. Pour l’instant, je suis dans l’innocence, loin des invectives. Je suis comme une enfant ! », conclut-elle. On l’avait à peine remarqué…