Claire Cantuel est secrétaire générale de la Comédie. Elle est entrée en fonction en octobre 2020, lors du deuxième confinement (alors que les établissements culturels étaient fermés), après 13 ans passés dans le domaine de l’action culturelle à l’Opéra de Lille. Elle nous parle de l’année écoulée à la Comédie et du festival “Belle Saison”.
Comment la Comédie a-t-elle traversé la crise, aussi bien financièrement qu’en termes de création ?
Claire Cantuel : Pour le deuxième confinement, comme l’histoire se répétait, il a été très important pour l’équipe de trouver des moyens pour garder du lien avec le public. La comédie a ré-ouvert en septembre mais n’a pu donner que deux spectacles, ce qui est très peu à l’échelle d’une saison qui était très dense. L’idée était de ne pas rester statique, de proposer des choses et très vite, a germé l’idée d’imaginer des créations sonores. Beaucoup de théâtres, d’établissements culturels de manière générale ont travaillé la question de la captation, de la rediffusion de spectacle. Nous avons décidé de faire « un pas de côté », et de ne pas nécessairement être dans quelque chose de visuel, car le théâtre au cinéma ou le théâtre à la télé, c’est quand même très particulier. Si on n’a pas les bonnes conditions matérielles, techniques pour le faire, cela peut être un peu risqué. On a plutôt pris le parti d’être sur de la poésie sonore et nous avons passé commande à tous les artistes qui devaient être présents dans la saison, de réaliser des capsules sonores. Il y avait juste des contraintes de durée, mais c’était vraiment une carte blanche donnée aux artistes. Ça pouvait être une lecture, une poésie imaginaire, ils pouvaient créer ce qu’ils voulaient entre 15 minutes et une heure, dans l’idée de pouvoir le diffuser sur le moment où normalement ils auraient dû être présents à la Comédie. Parfois on a fait en direct ou en différé, pour tester quel était le meilleur moment d’écoute pour le public. On a testé différentes formules, entre novembre et mai, avec au plus haut, un peu plus de 1 000 vues sur une captation, diffusée sur Youtube mais aussi en partenariat avec RJR, qui a pu diffuser nos créations. À la rentrée, ces capsules pourront être retrouvées dans le hall grâce à des bornes interactives.
Comment se sont passés l’annulation et le report des spectacles ?
Autant sur le premier confinement, la question était d’essayer d’éviter à tout prix les annulations et de n’envisager que des reports, autant avec une répétition de confinement, il y a un moment un principe de réalité qui a nécessité des choix. Celui-ci s’est ainsi porté sur le fait de donner de la visibilité à des spectacles qui n’avaient pas ou peu été vus. Ceux qui avaient déjà fait une tournée ou rencontré le public, on s’est dit que c’était peut-être moins prioritaire en terme de report. Quant aux places achetées par le public, on les a remboursées, sauf si certains ont fait des dons, convertis en billets solidaires : chaque euro est cumulé dans une cagnotte et à partir de 6 euros, ça débloque un billet, offert à une personne qui est dans le besoin et en fait la demande.
Financièrement, comment avez-vous tenu le choc ?
On est en statut de SARL, dont a priori une entreprise privée, mais financée par des fonds publics et une mission centrale de service public. Nous sommes donc financés par la Ville, le Département, la Région et l’Etat, nos quatre grandes tutelles. Le dialogue avec elles était clair avec un maintien de subventions. Nous avons essayé de faire des économies mais avons aussi pris le parti de payer tout ce qui était engagé. Donc tous les contrats artistiques et techniques ont été assurés, c’était très important.
Comment la Comédie a-t-elle appréhendé la reprise et comment vous êtes-vous organisés ?
Nous étions tout d’abord très joyeux à l’idée de rouvrir ! Un peu prudents aussi, par rapport au mois de décembre où nous devions rouvrir et finalement non… donc on ne voulait pas se faire de fausse joie non plus, ça avait été douloureux pour les artistes et les équipes. On a pu rouvrir le 26 mai avec un spectacle programmé à cette date : Stallone, en accueil avec Clotilde Hesme, qui nous paraissait idéal pour la reprise. C’est l’histoire d’une jeune fille qui reprend sa vie en main, et découvre Sylvester Stallone, à la fois le comédien et le personnage de Rocky Balboa, qui va avoir une incidence sur sa vie. C’était un feel good spectacle, c’était donc très chouette de retrouver le public avec cette proposition artistique. Les jauges étaient règlementées par les directives gouvernementales, on était donc sur un 35% correspondant à un public de 67 personnes. Depuis le 9 juin on est passé à 65% de jauge et donc le 30 juin, si tout va bien on repassera à 100% ! Tout le monde a envie de reprendre et a répondu présent. Notre fin de saison est d’ailleurs marquée par le festival de “La Belle Saison” qui commence le 17 juin.
Quelle est la particularité de ce festival ?
C’est un festival qui a été réfléchi pendant la période de la pandémie et donc qui est en partie en plein air, hors les murs, avec des partenariats avec la Ville de Reims qui nous met à disposition le square des Cordeliers. Nous serons aussi à la Maison diocésaine Saint-Sixte et dans la cour des Pères de Sciences Po. On a pris le parti de privilégier du plein air, ne sachant pas quelles seraient les conditions dans lesquelles les comédiens pourraient jouer. De l’expérience de l’année dernière où on avait pu faire des lectures-apéros, on s’est dit vraisemblablement l’espace le plus favorable dans un contexte Covid, c’est l’extérieur. On a donc privilégié cela mais pas que. En tous cas, ça a modifié nos pratiques.
Est ce que pour l’instant les spectateurs sont au rendez-vous ?
On sent un engouement des personnes qui avaient leur place pour le spectacle qui devait être diffusé en janvier, Anguille sous roche. Mais aussi de ceux qui découvrent l’envie de voir un spectacle dans un square. En fait c’est un spectacle qui existe sous deux formes : l’une créée pour la salle, l’autre en plein air. Sachant cela, on a demandé aux équipes artistiques de reprendre la forme créée pour Avignon. Le festival de “La Belle Saison” comprend 14 propositions artistiques qui vont des spectacles en grande salle comme Mithridate ou des choses plus légères ou expérimentales comme les cartes blanches, dont l’idée est de proposer à un artiste, une carte blanche. On rassemble deux artistes qui ne se connaissent pas forcement et on leur propose de travailler sur un temps assez court et de produire quelque chose en étant vraiment dans un geste artistique, qui soit proche de l’expérimentation. On en a plusieurs, qui sont des reports, qui auraient dû avoir lieu tout au long de la saison, mais que l’on a rassemblés dans cette Belle Saison. On a aussi des choses pour un public plus jeune, comme Des Monstres, avec des jeunes comédiens rémois, entre 8 et 12 ans, qui ont travaillé depuis juillet dernier.
Plus globalement, qu’est-ce que la pandémie vous a appris, en tant que structure et plus philosophiquement sur le rapport à la culture, au public ?
On a beaucoup entendu l’expression « se réinventer ». Il y avait presque une injonction donnée aux artistes et aux équipes de se réinventer alors qu’on avait l’impression de déjà le faire, d’être créatif ! Mais en même temps, il a fallu transformer nos habitudes de travail, nos processus : que fait-on quand le public n’est pas là ? Ça a été un temps de réflexion nécessaire. Est-ce qu’on passe par le tout numérique ? Mais est ce qu’on n’oublie pas dans ce cas, des personnes en cours de route ?
Or nous sommes une maison ouverte à tous. On ne l’a jamais oublié, même les portes fermées. Car on est sur du spectacle vivant et ça se transforme difficilement en virtuel, c’est pour cela que nous n’avons diffusé qu’une seule captation : parce que ça nous questionne beaucoup et ce qui reste au centre, c’est la rencontre. C’est pour cela que l’on a eu envie de prolonger la saison, pour le plaisir de se retrouver avec le public.