Un témoignage exceptionnel de l’activité marchande

Enterré avec les pièces dans la boîte, un médaillon de mariage en or émaillé (au premier plan) caractéristique de la fin du Moyen-Âge, arborant les monogrammes V et C réunis par une cordelière en argent.

Une équipe de l’Inrap a mis à jour à Dijon un dépôt de 34 monnaies d’or et d’argent, dont certaines très rares, de la deuxième moitié du XVe siècle. La plupart d’entre-elles, émises hors de Bourgogne et de France, témoignent d’échanges intenses avec le monde du négoce européen.

La découverte mise à jour par l’Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) et dévoilée le 29 mai à Dijon est de premier ordre. Lors d’un diagnostic lié à la construction d’un nouvel édifice près de l’ancienne abbaye Saint-Bénigne, dans le cœur de ville, une équipe a mis à jour un dépôt de 34 pièces de monnaies d’or et d’argent émises dans la deuxième moitié du XVe siècle, ainsi que la boîte en bronze qui servait à les contenir. Le bourg de Saint Bénigne est alors englobé dans l’enceinte médiévale qui ceint la ville et le dépôt est probablement enfoui dans le sol d’un habitat en pierre, «un bâtiment qui appartient peut-être à un petit aristocrate ou un bourgeois enrichi », détaille Stéphane Alix, responsable scientifique de l’Inrap. Il témoigne de la vigueur des échanges commerciaux de la Bourgogne bien au-delà de ses frontières : « Il nous raconte l’histoire d’une bourgeoisie marchande ou d’une petite aristocratie aspirée par les connexions des Ducs de Bourgogne. L’expansion de la Bourgogne dans sa pleine puissance lui permettait d’avoir des connexions marchandes depuis l’Italie et jusqu’au nord de l’Europe ».

UN DÉPÔT INTERDIT

Enfouir son argent est une pratique courante à une époque où le système bancaire n’existe pas encore et chaque habitation peut posséder plusieurs dépôts. Celui découvert par l’Inrap a toutefois une particularité. « On aurait pu penser qu’il s’agissait d’une sorte de fond de poche de monnaies prêtes à resservir sur un marché », précise Pascal Listrat, numismate de l’Inrap, mais la datation formelle de l’enfouissement à l’année 1494, réalisée grâce à la présence de l’une des pièces, vient infirmer cette hypothèse : «Charles VIII est arrivé au pouvoir et a besoin de métaux précieux pour financer ses guerres. Il interdit alors l’utilisation des monnaies étrangères sur les foires françaises, promises à la confiscation et au passage à la cisaille. Ces pièces n’ont donc plus de valeur monétaire en France mais elles ont une forte valeur métallique, chacune étant quasiment en argent pur ou avec un taux d’or très élevé. Le lien entre ces pièces est qu’elles sont toutes frappées d’interdit. C’est donc un choix délibéré de notre enfouisseur ».

Comment comptait-il s’en servir ? Peut-être lors d’un échange rendu possible à la faveur d’un voyage à l’étranger, ou à l’occasion de la levée future de l’interdit.

IMAGE DES PUISSANTS

La boîte ayant été endommagée, les pièces se sont agglomérées entre elles et l’Inrap a dû faire appel à un laboratoire spécialisé, le Cream de Vienne, pour les décoller et les nettoyer. Originaires des États du Saint- Empire du sud et du nord (Brabant, Savoie, Palatinat) et des principautés italiennes (Milan, États Pontificaux, Ferrare, Venise) elles laissent apparaître des pièces rarissimes, parfois inconnues des catalogues comme celle de l’évêché de Lausanne, mais aussi les visages des puissants de l’époque, les Sforza à Milan, le Doge de Venise Nicolo Tron, le Pape Innocent VIII.

« Nous avons là à la fois un échantillon du paysage monétaire de la fin du XVe et un catalogue des grands princes qui se font la guerre à ce moment-là », résume Pascal Listrat. Le trésor, propriété de l’État français, devrait rejoindre le musée archéologique de Dijon.

Lors de la mise à jour des pièces, les archéologues ont découvert, enfouies plus profondément, une importante nécropole du IV e siècle. Peut- être le début d’un nouveau chantier de fouilles.