Emmanuelle ChoussyUn œil de velours

Après six années palpitantes à Los Angeles et désormais à la tête d’une agence photo à Toulouse, la quadragénaire présente l’ouvrage Women, au profit de la Ligue contre le Cancer, qui sortira le 26 septembre dans l’Hexagone.

Si son œil acéré vous est encore méconnu dans la ville de Nougaro, cette quadra impétueuse a pourtant marqué l’esprit des plus grands dans l’écrin doré (ou presque) de la Californie. Un autre monde pailleté qu’elle a eu plaisir à capturer, selon ses mots : « en un fragment de seconde que seul le professionnel peut voir » : Oliver Stone, Paris Hilton, David Hasselhof, Ian Rizering, Quincy Jones, font entre autres partie de son palmarès photographique. Emmanuelle Choussy a souvent dû se pincer pour y croire. Si elle a embrassé une carrière couronnée de succès outre-Atlantique et qu’elle s’est laissée porter par les opportunités, le 8e art n’était pourtant pas sa vocation première. La photo est venue à elle, et elle lui a bien rendu sous toutes ses formes.

De retour au pays depuis trois ans, la photographe toulousaine, à la tête de l’agence Emmanuelle Choussy Studio, a planché pendant le confinement sur l’ouvrage Women, au profit de la Ligue contre le Cancer — laquelle était déjà partenaire de son exposition PURES en 2019 — qui sortira le 26 septembre à l’occasion de la campagne Octobre rose, aux éditions Yucca et dont la marraine est l’actrice Laëtitia Eïdo. Après avoir fait un carton plein lors de son exposition, la photographe a réactualisé l’ébauche d’une maquette commencée il y a cinq ans pour une association homologue aux États-Unis, tirant le meilleur de ses modèles. Une version masculine devrait aussi voir le jour.

Derrière ses corps et visages magnifiés, s’immisce une cause, celle des cancers féminins, que l’artiste défend depuis plusieurs années. « Le cancer du sein a touché des femmes de mon entourage. Lorsqu’une de mes amies proches a été diagnostiquée en décembre dernier, ce fut un énième coup de massue. C’est une calamité, s’attriste-t-elle. C’est très important pour moi de participer à des actions de prévention, à mon niveau ». À travers les 72 pages, ressortent les fragments de six années de folies américaines qui mettent en scène aussi bien des célébrités que des femmes loin des regards médiatiques dont certains nus poétiques tirés de son exposition. Une quarantaine de portraits de femmes et d’un homme, projetant une histoire singulière, sublimés de citations qui stimulent l’artiste au quotidien. Un parti pris qui détonne avec des campagnes de communication déjà connues. « Je souhaitais faire du beau, un livre artistique regroupant des photos hors-séries qui ont une histoire pour moi, avec une touche particulière pour donner à voir des portraits peu ordinaires ».

Si aujourd’hui, la quadra embarque les modèles dans un élan de spontanéité artistique en N & B ou en couleur, avec un grain de folie, elle fût un temps devant l’objectif. « On est venu me chercher à 18 ans mais à l’époque, comme beaucoup de jeunes femmes, je manquais de confiance en moi. J’ai finalement accepté de participer à des projets artistiques trois ans plus tard et j’y ai pris goût. Étant donné que je suis curieuse et que j’ai toujours besoin de comprendre comment fonctionnent les choses, cette expérience m’a propulsé de l’autre côté, avec le soutien de photographes talentueux », souligne-t-elle. Puis, lors de stage en presse et à la direction de la culture et de l’audiovisuel au Conseil Régional d’Occitanie, son goût pour l’image s’est confirmé.

Entrepreneuse dans l’âme – à l’instar de son père kinésithérapeute à son compte – elle tient à sa liberté. « C’était un homme débordé mais il gérait son agenda à sa guise. Je trouvais ça génial d’être son propre patron. Puis, ayant eu cinq ans d’expérience en tant que salariée en parallèle de mes études, je ne voulais pas poursuivre dans cette voie qui m’était insoutenable », souligne-t-elle. Tandis que cette diplômée d’un master en communication, qui du haut de ses 25 ans, fonde une agence spécialisée en identité visuelle, entourée d’amis freelances, elle se retrouve de plus en plus souvent un appareil photo à la main. « Je collaborais avec un photographe mais au final, on venait me chercher pour ça ! La photo s’est imposée à mon activité alors qu’à l’origine, mon rôle était de conseiller les entreprises , confie-t-elle. Ce qui me plaisait particulièrement, c’était de piloter une équipe, d’être chef de projet. C’est ce que j’ai perpétué plus tard à Los Angeles en constituant un réseau d’accessoiristes, de maquilleurs, etc. ». Le terrain, il n’y a alors pas meilleur apprentissage. Et hors de question pour la jeune femme de revenir sur les bancs de la fac.

C’est d’abord armée d’un appareil de type Bridge qu’elle maîtrise davantage les rouages de cet art, avec notamment l’humain comme sujet de prédilection. Comme beaucoup d’apprentis photographe, elle capture des mariages et progresse en parallèle en photo de mode. « Ce qui me plaisait et me plaît toujours, c’est le fait de regrouper différentes notions, de shooter dans des lieux qui racontent une histoire, de jouer avec l’ombre, la lumière et les formes géométriques qui se dessinent. Mes inspirations, je les trouve dans la nature et les couleurs qui s’y reflètent. D’ailleurs, à L.A., on me soufflait souvent que ce n’était pas une jolie ville, pourtant, il y a des aspects inexistants en France qui m’ont plû. Mais, ma plus grande inspiration, c’est l’humain, bien que ce soit un sujet très complexe à traiter autant au naturel qu’habillé ! », détaille la passionnée. Le choix de la nudité peut amuser ou déranger mais comme s’en défend la photographe, « l’objectif est de créer un univers, et d’en extraire une certaine poésie. Ce qui m’intéresse, c’est la collaboration avec mes modèles. »

Il y a quelques années, Emmanuelle Choussy a entamé l’écriture d’un essai sur le thème de la thérapie par la photo et pas, insiste-t-elle « sur la photo thérapie ». Une subtilité cruciale pour l’artiste. « Beaucoup de modèles que je photographie ne sont pas bien dans leur corps et c’est une vraie thérapie pour ces personnes d’être prises en photo au naturel ou non. Quand j’ai commencé à shooter en 2004, je recevais un panel de gens qui ne venaient pas me voir uniquement pour que je les immortalise à un moment précis de leur vie, mais pour des sujets plus profonds, comme pour annoncer un coming out. Et cela passe aussi par l’art ».

L’art, cette mère de famille l’a toujours eu dans la peau. Petite, elle accumule différentes pratiques et dévore les livres de la bibliothèque de Beaumont-de-Lomagne. Ce qu’elle attend par-dessus tout, c’est de découvrir chaque mois les revues d’art consacrées à des peintres reconnus auxquelles ses parents sont abonnés. Une bouffée créative qu’elle met aujourd’hui en lumière. « Quand j’actionne le bouton, j’ai l’impression de peindre », assure-t-elle.

Des souvenirs mémorables, elle en a plein la tête, notamment à LA, où son âme artistique est restée ancrée. Mais avant de toucher du doigt un certain rêve américain, l’artiste reconnaît avoir « travaillé pour la gloire » durant près d’un an afin de constituer un réseau et se faire une place, seule, sans agence. Ce n’était pas gagné d’avance, dans cette ville de près de 22 millions d’habitants qui fourmille de photographes, où elle s’est installée pour suivre son mari. « À l’époque, mon affaire à Toulouse fonctionnait bien. J’ai tout laissé et il a fallu tout recommencer », avoue-t-elle. Alternant entre moments de solitude et moments d’effervescence qu’apporte l’énergie de la Cité des anges, l’artiste persévère, notamment dans le milieu de la mode et des reportages de presse signant des contrats avec différents médias américains et français. «Le fondateur de l’agence Fusam m’a fait photographier Oliver Stone, c’est ce qui a tout déclenché. Le reportage à Dallas pour les 50ans de la mort de John Fitzgerald Kennedy reste l’un de mes plus beaux souvenirs, autant que les bureaux de la Nasa, et toutes les campagnes de mode que j’ai pu organiser, ce qui est mon dada. » Emmanuelle Choussy n’est alors plus un grain de sable invisible. Si bien qu’elle remporte, en 2015, un prix qu’elle ne pensait jamais recevoir, le Harry Langdon Award for Photography de la cérémonie annuelle Hollywood Beauty Awards. « J’ai été sélectionnée face à trois mastodontes alors que j’étais la seule à L.A. à ne pas avoir d’agence. Ce prix m’est littéralement tombé dessus », s’amuse celle qui depuis est membre du jury.

Si aujourd’hui, l’enthousiasme de l’entrepreneuse – qui a reconstitué à 70 % la même équipe d’avant son départ pour L.A. (maquilleur, web designer, graphiste, accessoiriste, etc.) – est douché par la crise, la photographe espère repartir sur le terrain, son agence accusant une année presque blanche. L’équipe étant spécialisée dans le corporate et les reportages, Emmanuelle Choussy reconnaît qu’elle a besoin de stimuler son imagination avec des projets artistiques et envisage de monter une agence à Paris pour retrouver davantage le monde de la mode. À défaut de suivre les pas de Steve McCurry et couvrir la guerre, sujet qu’elle aurait aimé traiter en devenant mère, elle rêve de suivre ceux de Mario Testino.

Parcours

1977 Naissance à Montauban
2003 Diplômée d’un master 2 en administration et gestion de la communication (AGCOM)
2004 Crée l’agence de communication EG31.com
2011 S’envole pour Los Angeles. Elle photograhie Oliver Stone pour le compte de l’agence SIPA. Elle shoote par la suite des célébrités, réalise des reportages de presse et se fait connaître dans le milieu de la mode
2015 Remporte le prix Harry Langdon Award for Photography du Festival international Hollywood Beauty Awards
2017 Retour dans la Ville rose et fonde l’agence Emmanuelle Choussy Studio
2020 Auteure de l’ouvrage photographique Women, aux éditions Yucca