Comment améliorer les déplacements dans la région ? Où faut-il investir en priorité : dans le réseau ferroviaire ou routier ? Les politiques publiques sont-elles à la hauteur des enjeux ? Telles sont quelques-unes des questions qui se sont posées à l’occasion des Rencontres régionales de l’ingénierie fin février.
Le 20 février dernier, il y avait foule au centre Diagora de Labège à l’occasion des Rencontres régionales de l’ingénierie. L’occasion, ce jour-là, de discuter des « grands chantiers d’aménagement en région Occitanie nécessaires au développement économique ». Mais surtout, pour les intervenants présents, de mesurer les faiblesses et les défis des réseaux de transports régionaux, et de parler des politiques publiques qui y sont liées. En particulier de la Loi d’orientation des mobilités (Lom), qui sera étudiée à partir de ce mois par le Sénat, puis devant l’Assemblée nationale en juin. Un projet de loi qui, explique Christian Godillon, directeur du transport à la Direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) d’Occitanie, obéit à quatre objectifs : « répondre à l’urgence environnementale et climatique, aux besoins de déplacement d’une population qui souvent n’a le choix que de se déplacer en véhicule individuel », surtout en milieu rural; « répondre aux besoins urgents en maintenance des infrastructures, apporter une solution aux problèmes de congestion et enfin, désenclaver les territoires ». Sans oublier, comme si cela ne suffisait pas, de s’adapter « à tous les bouleversements liés au numérique comme le véhicule autonome et connecté, mais aussi le développement des services d’aide à la mobilité, de nouvelles motorisations avec les voitures électriques, et des nouvelles pratiques avec l’autopartage et le covoiturage, ainsi que le développement accru du vélo ». Vaste programme pour le moins, que « la loi Lom veut traiter en termes de gouvernance, d’innovation et de programmation des infrastructures ».
Or, « la Région alerte sur l’insuffisance de la loi Lom car force est de constater qu’elle n’amène aucune simplification alors qu’elle devait constituer un nouveau socle après la loi Loti de 1982 [loi d’orientation des transports intérieurs], qu’elle devait reconstruire le paysage de la mobilité », regrette Jean-Michel Lattes, le président de Tisséo Collectivités. Or, « selon le document qui a été remis au Sénat, celui-ci pourrait au contraire rajouter des difficultés, et surtout, il ne répond pas à la question de la programmation et du financement des infrastructures ». Un silence d’autant plus gênant pour Jean-Michel Lattes qu’aujourd’hui, « la situation actuelle est devenue intenable en termes de déplacements ». Un problème à Toulouse même, mais aussi « de plus en plus pour les gens qui habitent dans la zone péri-urbaine, où Tisséo n’a pas compétence pour intervenir. Donc il y a un travail aujourd’hui qui s’engage pour repenser la gouvernance, car elle ne permet plus de répondre aux déplacements tels qu’on les constate. Aussi, on espérait que la loi Lom permette de repenser cela, mais pour l’instant, cela ne semble pas être le cas, et même elle ne permet pas grand-chose », juge le président de Tisséo.
La question de la gouvernance était également au cœur d’une autre thématique difficile du transport en région: le train. En effet, souligne Christophe Bazzo – directeur infrastructures, transport et mobilités au sein de la Région Occitanie – la présidente « Carole Delga a repris le même volontarisme [des anciennes régions Midi-Pyrénées et Languedoc-Roussillon] de développer le service ferroviaire, mais nous devons faire face à une grande difficulté : on veut rajouter des trains, mais l’infrastructure ne sait plus les recevoir, soit qu’elle n’en ait plus la capacité d’absorption, soit qu’elle soit dans un état tel que non seulement on ne peut pas rajouter de train, mais qu’il faudra même en supprimer ». Ce qui pose la question « de la maîtrise d’ouvrage et de la gouvernance, car la grande difficulté pour la Région, c’est d’avoir la volonté d’investir dans le réseau sans avoir la capacité de le décider, puisqu’elle n’est maître d’ouvrage d’aucune infrastructure. L’État et le législateur ont en effet défini la Région comme une autorité organisatrice, mais contrairement à d’autres, elle n’a aucun levier sur le réseau » ; Christophe Bazzo espérant qu’à la faveur de la loi Lom, la gouvernance puisse donner plus de pouvoir en la matière. D’autant que, comme il le rappelle, « c’est la Région qui, lors du Plan Rail (2007-2014), a refait l’essentiel du réseau ferroviaire ; et encore aujourd’hui, la Région serait prête à y aller, mais le montage des projets s’appuyant sur une logique de financements croisés, cela fait que quand bien même elle voudrait réaliser les opérations, si ses partenaires ne sont pas au rendez-vous, elles ne se réaliseront pas ».
Pour autant, Christophe Bazzo « ne conteste pas ce qui est fait aujourd’hui sur le réseau structurant » : 2 Mds€ investis sur 10 ans, dont 390 M€ pour la seule année 2019 pour rénover le rail, les ouvrages d’art, les ballasts, les bâtiments, les installations électriques, la signalisation… « Mais ce qu’il faut avoir en tête, c’est que ces travaux représentent 50 % du réseau », comme la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse, la transversale sud qui relie Bordeaux à Marseille, «et qui est la colonne vertébrale de la région Occitanie », souligne Jean-Christophe Chauvignat de la SNCF, « pour laquelle il y a un grand plan de régénération de la ligne ». Mais « sur l’autre partie, dans le cadre du contrat de performance que l’État a signé avec SNCF Réseaux, celui-ci a décidé d’abandonner ce réseau, car il limite la participation de SNCF Réseaux à 8,5 % », accuse Christophe Bazzo. « Les 91,5 % nécessaires pour refaire les infrastructures sont donc à la charge de la Région. Autrement dit, quand on voit ce magnifique maillage ferroviaire en forme d’étoile, d’ici 10 ans, il n’y aura plus que le tronc, car à moins d’investir massivement, les branches qui irriguent tous les territoires seront tombées. Et c’est sur quoi la Région fait le forcing, car si la loi Lom ou les ordonnances sur la réforme du service public ferroviaire de 2018 ne changent rien à la donne, la Région, malgré toute sa volonté, ne pourra pas sauver ce réseau, en particulier les trains du quotidien », estime le directeur infrastructures, transport et mobilités de la Région Occitanie.
UN TRAIN DE SÉNATEUR
Et ce n’est pas tout. Christophe Bazzo prend aussi exemple des infrastructures prévues au Contrat de plan État-région (CPER)… de 2007, et qui depuis « ont été réalisées pour moitié. On est en 2019, et on n’a toujours pas doublé la N124 » qui devait permettre d’accélérer la liaison entre Auch et Toulouse grâce à une 2×2 voies. Pour sa part, Christian Godillon de la Dreal rappelle qu’en 2015, un autre CPER a été signé, qui se montait environ à « 1,3 Md€ pour le volet consacré aux mobilités multimodales, avec un peu plus de 650 M€ pour la modernisation du réseau routier national et autour de 640 M€ pour le ferroviaire », auxquels il faut ajouter « quelques millions d’euros pour le développement des véloroutes et voies vertes ». Une somme donc importante qui, « à ce jour a été consommée à 40 % pour le volet routier et de l’ordre de 26 % pour le ferroviaire. Alors, on peut se poser la question : pourquoi un tel taux d’avancement » alors que cela fait déjà quatre ans que le CPER a été signé… Pour Christian Godillon, cela tient « aux capacités de financement de l’Afitf (Agence de financement des infrastructures de transport de France) puisque c’est elle qui alimente le budget et les crédits que l’État consacre au CPER ». Seulement voilà, petit problème: selon la lettre d’information spécialisée Ville, rail & transport, l’Afitf n’a plus de président – ce dernier étant arrivé au terme de son mandat – ni de représentants d’élus, ceux-ci n’ayant pas été remplacés après la fin de leur mandat en juillet. Résultat : l’agence ne peut plus engager la moindre dépense… D’autant plus gênant que, toujours selon la lettre spécialisée, l’Afitf est censée régler la modique somme de 83 M€ pour la commande de « trains d’équilibre du territoire (TET)»; ce qui, à défaut de paiement, ne remettra pas en cause leur livraison, mais pourrait valoir à l’Afitf de sérieuses pénalités financières…
Quant aux infrastructures routières, elles posent aussi problème, puisque l’attractivité de la métropole toulousaine entraîne bouchons, pollution, énervement des automobilistes et des riverains… « C’est un véritable casse-tête », reconnaît Jean-Michel Lattes. « À Toulouse, nous avons des problèmes de riches avec 15 000 personnes qui viennent s’installer ici chaque année, cela fait 1 000 voitures de plus dans le département. Ça veut dire qu’il faut inventer pour l’année suivante, 50 000 déplacements journaliers de plus, et 500 000 dans 10 ans ! Une équation incroyable, qui impose que la part la plus importante de ces 500 000 déplacements se fasse en transport en commun ».