Toulouse Territoire d’Avenir : alerte au risque de décrochage

Les auteurs du rapport Tirole-Guillou craignent pour Toulouse une « perte d’attractivité par rapport aux autres grandes métropoles françaises. »

La commission de prospective présidée par Marion Guillou, ex-patronne de l’Inrae, sous le parrainage de Jean Tirole, prix Nobel d’économie, a rendu son rapport. Si la métropole a des atouts, elle fait face à des enjeux économiques, sociaux et environnementaux majeurs.

Lancée en juillet par le président de Toulouse Métropole, Jean-Luc Moudenc, avec le soutien de la présidente de région Carole Delga, cette commission indépendante, composée de 16 personnalités de haut niveau, avait pour mission de faire l’inventaire des forces et faiblesses du territoire de la métropole et de réfléchir à son avenir, avec en arrière-plan les effets dévastateurs de la crise sanitaire. De fait, c’est un portrait sans concession que brosse de l’économie métropolitaine la commission Tirole-Guillou. Certes la métropole bénéficie de sérieux atouts, telle la jeunesse de sa population, l’excellence de son pôle scientifique, la présence de grands donneurs d’ordre de rang mondial, un riche patrimoine culturel. Mais fortement fragilisée par la crise du Covid, l’économie toulousaine a également à redouter à plus long terme les effets pareillement dévastateurs du changement climatique, expliquent en substance les membres de la commission dans un rapport rendu public le 29 septembre. Ainsi, ajoutent-ils, le territoire toulousain « va faire face à d’énormes difficultés économiques, sociales et environnementales, à court terme mais aussi à l’horizon 2030 si les acteurs ne réagissent pas ».

« PLANTER LÀ OÙ LE TERREAU EST FERTILE »

Les 11 propositions formulées par la commission visant « à faire de la capitale occitane un territoire plus durable, plus inclusif et plus innovant dans l’avenir », les auteurs du rapport pressent dès lors les responsables publics, de Toulouse Métropole à la Région, d’agir de concert.

« La crise est globale, mais notre point de vue, c’est que la réponse est vraiment locale. C’est important d’insister là-dessus, explique de son côté, Jean Tirole. La bonne nouvelle, c’est que la région et la métropole ont tous les atouts pour réagir à cette crise et reprendre une trajectoire beaucoup plus vertueuse. Mais pour cela, il y a un certain nombre de conditions. D’abord faire un effort collectif – et symboliquement, cette coopération entre la Métropole et la Région est très importante –, entre les collectivités mais aussi avec le privé. On doit tous travailler ensemble pour essayer de redresser la barre. Cela nécessite aussi d’adopter de nouveaux processus, d’identifier nos forces et nos faiblesses pour pouvoir focaliser nos actions sur les opérations à fort impact et respectueuses des deniers publics. Cela signifie notamment bien préparer les appels à projet liés aux plans de relance français et européen. Il va falloir planter là où le terreau est fertile. Et puis il va falloir aussi être très dynamique dans un contexte où la concurrence française et internationale va devenir de plus en plus difficile. La capacité de rebond de notre territoire va décider de son avenir. »

REMETTRE TOULOUSE SUR LA CARTE

En tête des 11 propositions, la commission a placé la nécessité d’accroître le rayonnement scientifique de Toulouse. Faute d’avoir su conserver son label Idex, laVille rose ne figure pas sur la carte des 18 pôles scientifiques français de rang mondial, déplore la commission. Un écueil qui nuit grandement à sa visibilité et à son attractivité. « Nous proposons, détaille Marion Guillou, que le président de Toulouse Métropole nomme quelqu’un de l’extérieur pour retisser, reconstruire un projet qui ait la capacité à rentrer dans cette carte de l’excellence nationale. C’est le projet qui prime. Depuis les échecs que Toulouse a connus, les textes ont changé. L’ordonnance de 2018 permet de faire des choses beaucoup plus librement. C’est le moment de nommer une personnalité extérieure qui pourra accompagner ce mouvement. »

Sur le plan scientifique, la commission appelle également de ses vœux l’émergence d’un « projet ambitieux » qui capitaliserait sur « le potentiel spatial et de calcul numérique pour faire de Toulouse une ville à la pointe des questions climatiques. » Incidemment, elle encourage également les collectivités à soutenir financièrement les projets scientifiques les plus prometteurs plutôt que de pratiquer le « saupoudrage ». Il est important, ajoutent les rédacteurs du rapport « de ne pas disperser les ressources et de construire prioritairement sur les points forts identifiés ».

AMÉNAGEMENT DURABLE

La commission fait des enjeux climatiques un sujet central. Elle prêche pour « un aménagement et un développement plus durables du territoire » et encourage l’adoption à l’échelle de la région, d’un « plan climat territoire » qui aurait pour vocation de définir des priorités d’actions structurantes telles que les réorientations agricoles, la révision de la stratégie de gestion de l’eau, la prévention des risques ou encore l’aménagement urbain. Elle propose très concrètement d’agir sur deux secteurs qui contribuent fortement à l’émission de gaz à effet de serre : les transports et le logement. Elle soutient indistinctement la 3e ligne de métro, la LGV, et le développement des dessertes en TER, en même temps que le lancement d’un grand plan de rénovation des logements qui s’appuierait sur les fonds débloqués dans le cadre du plan de relance national. Parallèlement, l’ancienne présidente de l’Inrae encourage la Région à s’engager dans la voie d’une « agriculture climatique écoresponsable » et notamment à se positionner comme « territoire pilote du plan national de développement des protéines végétales », un objectif inclus lui aussi dans le programme de relance. Pourquoi, interroge Marion Guillou, ne pas « créer un marché de compensation carbone local pour promouvoir ces conversions agricoles » ?

DIVERSIFICATIONS INDUSTRIELLES

Tirant les conséquences des effets délétères de la crise du Covid sur l’aéronautique, la commission Tirole-Guillou pointe trois atouts stratégiques insuffisamment mis en valeur : le New Space et les applications climat-espace, les mobilités vertes et décarbonées (hydrogène, batterie, véhicule autonome) et enfin les biotechnologies et la médecine du futur. Pour structurer ces trois filières, la commission suggère également la création dans chacune d’elles de campus regroupant les différents acteurs qui favoriseraient à la fois « leurs dynamiques économiques » et leur attractivité.

La commission, qui plaide pour plus de simplification et encourage la création d’un guichet unique d’aides aux entreprises déjà présentes sur le territoire, veut aussi favoriser l’arrivée de nouvelles entreprises et de projets européens. Ce grâce à la mise en place d’une stratégie foncière plus offensive et la création « d’une foncière sur la ville de Toulouse qui collecterait les gains tirés de la rente foncière », écrivent les auteurs du rapport. « Chaque fois qu’on investit dans ce genre de chose, c’est en général le privé qui en tire les bénéfices, relève en effet Jean Tirole. Il est important que le public aussi touche les fruits de ses actions notamment à un moment où les deniers publics vont devenir de plus en plus rares. »

Sur le front de l’emploi, la commission encourage la création de campus de formation pour l’industrie. « Il y a de très nombreuses offres d’emploi non pourvues et 85 000 personnes qui cherchent du travail sur Toulouse Métropole. C’est absurde, détaille Marion Guillou. Il faut identifier les besoins des entreprises et les formations qui permettent, quel que soit le niveau, de mieux faire matcher l’offre et la demande ». Ces campus industriels permettraient d’accompagner les montées en compétences et les reconversions vers les trois domaines identifiés comme des secteurs en croissance, sur le modèle du campus des industries navales, fondé il y a trois ans à Brest. La commission vise à travers ses propositions tout particulièrement les jeunes « dont les difficultés structurelles d’insertion sur le marché du travail vont être aggravées par la crise du Covid. »

Si l’ouverture du Meett doit améliorer l’attractivité business de la Ville rose, la commission Tirole-Guillou invite en parallèle la métropole toulousaine à renforcer son positionnement sur la scène internationale, notamment dans le domaine du tourisme de loisirs encore sous-exploité et à « capitaliser davantage sur le patrimoine naturel et culturel occitan ». « Une des suggestions de la commission est d’utiliser la présence des 130 000 étudiants à Toulouse pour promouvoir le tourisme, notamment à travers les cérémonies de remise des diplômes qui attirent les familles », détaille ainsi Jean Tirole. Une pratique très répandue à l’étranger mais peu usitée en France. « Avec 130 000 étudiants, on peut attirer beaucoup de familles qui resteront quelques jours grâce à des packages touristiques qui permettraient d’irriguer le territoire. »

« Toulouse a de quoi devenir une ville touristique majeure », renchérit Marion Guillou. Elle pourrait ainsi s’appuyer sur les atouts culturels du territoire métropolitain et alentour tel le street art, la musique, avec l’Orchestre du Capitole, ou encore le sport pour asseoir « le lancement d’événements emblématiques, ou de nouvelles infrastructures comme un musée du rugby… Des projets phares qui attirent ».