Clémentine RenaudTop cheffe

(Photo : Agnès Bergon)

Cette femme bienveillante et passionnée a cofondé Cap’Eco, une coopérative de salariés qui réunit un groupement d’achat, un service de traiteur et un tiers lieu culinaire pour accompagner les porteurs de projet.

Six mois plus tard, Clémentine Renaud n’est revient toujours pas. En janvier dernier à Tournefeuille, des dizaines de personnes avaient bravé le froid mordant pour assister à l’inauguration des Cuisines de Cap’Eco, premier tiers lieu culinaire de la région toulousaine, un laboratoire de cuisine flambant neuf de 280 m2 tout équipé. Preuve que les trois cofondatrices – Clémentine Renaud, Valérie Madeleine et Chaya Mercado – avaient su très largement fédérer autour de leur projet : de nombreuses structures d’accompagnement, la Région et Toulouse Métropole, ainsi que des partenaires bancaires. Ce nouvel espace de coworking culinaire doit permettre aux futurs cuisiniers de tester ou de valider leur concept mais veut aussi répondre aux besoins de ceux qui font face à un surplus d’activité ou ont besoin ponctuellement d’une cuisine professionnelle. Un concept qui selon Clémentine Renaud, la directrice de la structure, doit avant tout « permettre aux porteurs de projet d’aller au bout de leur rêve ». Un peu comme elle l’a fait elle-même en intégrant l’école hôtelière de Toulouse.

« Contrairement à beaucoup de jeunes qui ne savent pas trop dans quelle voie se diriger, en quatrième je savais déjà que je voulais faire l’école hôtelière, se remémore-t-elle. J’ai passé les tests – pour moi c’était comme passer le Bac, j’étais en transe ! – et je suis rentrée en seconde au lycée hôtelier qui était à l’époque rue Labeda, jusqu’au BTS ».

Une vocation, que la jeune femme née en Côte d’Ivoire où elle a grandi jusqu’à l’âge de neuf ans entre un père coopérant, originaire de la Nièvre – photographe, « il formait les Ivoiriens aux métiers de l’audiovisuel » – et une mère martiniquaise, éducatrice spécialisée auprès d’enfants handicapés, a hérité de son grand-père cuisinier. « Il a été un des premiers à fournir les plateaux-repas d’Air France et a possédé plusieurs restaurants, détaille Clémentine Renaud. Il était passionné de cuisine et depuis toute petite il m’a mis devant les chaudrons ! Chaque fois qu’on rentrait en Côte d’Ivoire après les vacances on repartait toujours avec des cantines pleines de confitures, de pâtés, de confits ! C’est vraiment lui qui m’a donné envie de travailler dans la restauration ».

Dans cette école sélective mais « bienveillante », elle apprend les gestes techniques, la gestion d’un restaurant.
« Il n’y a pas que Top Chef, pointe-t-elle, il y a une réalité derrière, et on s’y confronte tous à un moment ou à un autre. Il faut donc être motivé ». Elle a du reste gardé de très bons contacts avec ses éducateurs. « Notre promotion a été formée par des professeurs de métier, qui ont passé des années dans des restaurants, des gens qui nous disaient : « Attention ! La restauration est un métier dur, ça va écrémer ! ». D’ailleurs dans ma promotion, mis à part ceux qui étaient « enfants de », qui avaient un établissement, sur la vingtaine d’élèves, il ne doit en rester que deux ou trois dans le métier… Moi j’ai essayé de quitter la restauration, mais elle me rappelle toujours ! »

De fait, l’entrée dans la vie active est compliquée. « Malgré les compétences acquises, il faut accepter d’être payé en dessous du niveau que vous avez atteint. Les salaires progressent très difficilement, sauf si vous avez la chance de rentrer dans une chaîne où les choses sont plus réglo. Du coup, c’est la douche froide. C’est difficile de trouver un poste intéressant. Ma chance, c’est d’avoir appris l’anglais en Côte d’Ivoire, quasiment dès la maternelle ». La toute nouvelle diplômée bouge beaucoup et s’expatrie quelques mois aux États-Unis, à Philadelphie, où son grand-père, qui a des amis sur place, l’a emmenée souvent en vacances – « mais quand vous n’avez pas la carte verte, vous ne vous amusez pas très long temps à ça » – puis en Espagne, dans la région de Valence. Responsable d’un restaurant, elle travaille pour un patron très bienveillant, « qui m’a donné beaucoup de responsabilités tout de suite ». Son décès prématuré met fin à l’expérience, « sinon je pense que je serais restée en Espagne », affirme Clémentine Renaud. Après un court passage à Paris, elle entre pendant trois ans en qualité de cuisinière au service de familles très fortunées qui résident entre Cannes et la Suisse. Un poste « très bien payé, mais où il faut être aussi très disponible », qui lui donne notamment l’occasion de prendre un jet privé pour aller acheter des macarons Ladurée afin de satisfaire les désirs de madame…

Elle revient enfin à Toulouse, pour ne plus la quitter. Mais, envie de changer d’air, elle devient assistante administrative et comptable dans une société du bâtiment. « Au bout d’un an, a commencé à trotter l’idée de créer avec des amies le groupement Cap’Eco. J’avais gardé des contacts avec des fournisseurs alimentaires auxquels je continuais à acheter des produits. Pourquoi ne pas dès lors partager ça à plusieurs ? », détaille-t-elle.

L’association Cap’Eco voit le jour en 2012, transformée en fin d’année dernier en société coopérative. Le groupement, qui est de plus en plus souvent sollicité pour des prestations de traiteur, va d’ailleurs en septembre prochain, faire évoluer sa gamme de produits pour se recentrer sur les plus demandés tandis que de nouvelles offres devraient voir le jour comme la livraison de paniers repas, de légumes prêts à consommer.

C’est le développement de cette activité de traiteur qui est à l’origine de la création des Cuisines de Cap’Eco, qui ont ouvert en novembre 2018. « Nous avions besoin d’une cuisine de façon ponctuelle, explique Clémentine Renaud. J’ai commencé par faire appel à mon réseau, mais très vite, en discutant avec les structures qui accompagnent les porteurs de projet, nous avons pris la mesure du problème : comment accéder à un laboratoire de cuisine à la demande, sans avoir à faire des investissements faramineux, parce que la restauration est un secteur d’activité très normatif. Les personnes qui font des prestations de traiteur non régulières, ou celle qui travaillent avec un site internet sans avoir de boutique, vont, grâce à ce tiers lieu, pouvoir se lancer sans contracter des crédits infernaux ».

Les trois coopératrices – « trois femmes déterminées et obstinées qui aiment les risques ! », commente la première – investissent près de 500 K€ dans ce laboratoire aux normes professionnelles, financés par un emprunt, des apports personnels, quelques subventions et une levée de fonds de 50 K€ via l’émission de titres participatifs. Relayée par Philippe Bertrand dans son émission Carnets de campagne sur France Inter, elle a très bien marché. « On l’a bouclée en un mois et demi », se souvient Clémentine Renaud, grâce notamment à la contribution d’une Lotoise qui a mis sur la table 30 K€ « sans nous connaître », s’enthousiasme-t-elle.

Mais pourquoi avoir vu si grand? « Nous avons été vraiment touchés par les demandes : des gens souvent en reconversion qui faute de disposer d’un local adapté se retrouvaient bloqués. Tellement de gens exprimaient ce besoin. Et puis la Région et Toulouse Métropole nous ont soutenues. Elles accompagnent elles aussi des porteurs projet dans le secteur de la restauration qui ne peuvent même pas tester leur activité faute de laboratoire. C’est pour tout ça qu’on s’est lancé ».

Le tiers lieu a déjà des abonnés, utilisateurs récurrents ou ponctuels. Il accueille aussi restaurateurs et traiteurs qui font face à de grosses commandes, des événements comme des master classes, et reçoit aussi bien les professionnels que les particuliers. Des partenariats ont été noués avec plusieurs structures comme la Maison de l’initiative, Première Brique, le Parcours Adress, Catalis… « Nous ne prenons la place de personne, nous sommes complémentaires par rapport à ce qui existe déjà », assure Clémentine Renaud.

Une offre d’accompagnement à la gestion devrait compléter le dispositif cet automne. « Beaucoup de chefs sont d’excellents cuisiniers, mais pas toujours de bons comptables. L’idée est de permettre à ces entrepreneurs de passer le cap des cinq ans, de leur donner un maximum d’informations de façon bienveillante pour qu’ils puissent aller au bout de leur projet », conclut Clémentine Renaud qui rêve de développer l’emploi. Trois personnes pourraient être recrutées d’ici trois ans au sein de la coopérative.

Parcours

1974 Naissance en Côte d'Ivoire.
1983 Arrive à Toulouse.
1992 Obtient un BTS option restauration au sein de l'école hôtelière de Toulouse.
2012 Crée l'association Cap'Eco avec deux amies Valérie Madeleine et Chaya Mercado.
2018 Transformée en société coopérative, Cap'Eco ouvre un tiers lieu culinaire à Tournefeuille, Les Cuisines de Cap'Eco, inauguré en janvier.