Tonnellerie de Champagne : l’avenir dans l’authenticité

Jérôme Viard, artisan-tonnelier, Denis Saint-Arroman, Meilleur Ouvrier de France 2007 et Jérôme Fournaise, artisan merrandier et foudrier, trois associés à la tête de la Tonnellerie de Champagne. (Droits réservés)

En une vingtaine d’années, la Tonnellerie de Champagne a réalisé des centaines de fûts et de foudres pour les vignerons et Maisons de Champagne. Depuis sa création, la petite entreprise de Cauroy-lès-Hermonville (9 personnes) n’en finit pas de se développer, entre tradition et innovation.

Fondée en 1998 par l’artisan-tonnelier Jérôme Viard et Denis Saint-Arroman, la Tonnellerie de Champagne n’a jamais cessé de progresser ni de se renouveler. Elle a ainsi été labellisée Entreprise du Patrimoine Vivant en 2006 et Denis Saint-Arroman a décroché le titre de Meilleur Ouvrier de France l’année suivante (voir article). Côté business, l’entreprise de Cauroy-lès-Hermonville enregistre une augmentation croissante de ses commandes depuis plusieurs années, d’où une progression de son chiffre d’affaires « de l’ordre de 10% par an depuis 3 ou 4 ans », explique Jérôme Viard. « Nous réalisions 700 000 euros de chiffre d’affaires en 2015 et nous atteindrons plus d’1,2 million d’euros cette année ».

Pour faire face à cette croissance, l’entreprise a d’ailleurs engagé des travaux de construction d’un nouveau site de production, à quelques centaines de mètres de ses ateliers historiques. Un investissement d’un million d’euros (bâtiment et machines), destiné à la fabrication des foudres et des merrains (pièces de bois de chêne utilisées pour la fabrication des tonneaux, NDLR). De cinq à six foudres (tonneau de très grande capacité de contenance principalement utilisé pour les vins de réserve, NDLR) par an il y a quelques années, la Tonnellerie est en effet passée à une production de plus de 20 pièces aujourd’hui. L’atelier mis en service en début d’année 2019, permet de répondre à de nombreuses commandes, même si Jérôme Viard admet qu’il est aujourd’hui quasiment impossible de contenter tous ses clients dans les délais souhaités et préfère décliner certaines commandes. « À deux personnes, il faut compter environ deux semaines pour fabriquer un foudre. Et nous en avons encore une dizaine à préparer avant la prochaine vendange ».

DES CHÊNES DE 250 ANS

Passionné de vin, il s’appuie tant sur sa connaissance du bois que sur ses études en œnologie pour apporter du conseil à ses clients vignerons. « En Champagne, je conseille de réaliser la fermentation alcoolique en fûts. Cela donne des vins plus fins et plus élégants. Il faut savoir que le bois n’est pas là pour modifier le vin mais pour le révéler : il est le support qui magnifie le vin. Or, en Champagne, si on perd cette finesse et cette élégance, on perd notre âme ». Jérôme Viard insiste également sur la notion de traçabilité, indispensable dans le travail d’une telle matière. « Je préconise aux vignerons d’acheter des fûts neufs. Ils boisent davantage le vin lors des premières utilisations mais sont primordiaux dans un souci de traçabilité, en comparaison avec les fûts d’occasion dont on ne connait pas toujours la provenance exacte ». Quand on sait qu’un fût peut vivre jusqu’à une centaine d’années par la grâce des réparations, la notion de traçabilité prend alors tout son sens. Toujours dans un souci de promouvoir cette filière vertueuse, il a d’ailleurs signé une convention tripartite avec l’ONF et l’Agéen Claude Giraud, patron de la Maison Henri Giraud, pour estampiller chaque pièce de bois.

Si le tonneau rencontre aujourd’hui un tel succès, l’artisan l’explique essentiellement pour ses vertus œnologiques : « Il y a un besoin d’authenticité qui répond aussi à l’envie des vignerons d’apporter une valeur ajoutée à leur produit, dans leur démarche de valorisation du champagne. Le fût donne une image gastronomique au champagne. Il représente certes davantage de travail et d’attention qu’une cuve inox mais si on veut conserver notre envergure, la Champagne doit aller dans cette direction. L’avenir est dans l’authenticité », assure-t-il.

« Entre le moment où l’on fend un chêne pour faire un merrain et le moment où la bouteille sort, il se passe pas moins de dix ans, rappelle le dirigeant. C’est cela que nous devons mettre en valeur avec les vignerons, ce temps qui donne une véritable valeur ajoutée aux cuvées en fûts de chêne ». D’autant que les chênes utilisés ont entre 250 et 300 ans d’âge. « Les arbres ne sont pas abattus, ils sont prélevés lorsqu’ils sont arrivés à maturité », nuance Jérôme Viard qui s’approvisionne dans les forêts de Champagne-Ardenne (Argonne, Montagne de Reims, Vallée de la Marne) ou à Fontainebleau. « Il n’y a pas plus écologique qu’un fût : sa conception nécessite ni produit de synthèse ni colle », précise-t-il.

CHAMPAGNE, BOURGOGNE, ALLEMAGNE ET OREGON

Un tel savoir-faire ne pouvant rester longtemps confidentiel, la Tonnellerie de Champagne voit son portefeuille clients s’étoffer chaque jour. Ils sont près de 1000, vignerons ou grandes Maisons à venir chercher l’excellence dans ces ateliers de Cauroy-lès Hermonville, auprès de ces orfèvres du travail du bois. Essentiellement champenois (70% de la clientèle), les acheteurs de tonneaux proviennent aussi de Bourgogne (10%) et également de l’international (20%). « Nous avons quelques clients en Oregon (Etats-Unis), en Angleterre, en Belgique ou au Luxembourg. Récemment nous avons vendu une quinzaine de fûts neufs à un producteur allemand de Sekt (vin mousseux, NDLR)», souligne Jérôme Viard.

Accompagnée par la Région Grand Est dans la construction de son nouvel atelier dans le cadre de la stratégie Artisanat du Futur, la Tonnellerie de Champagne a également fait le pari de la modernisation de son parc de matériel. « Nous avons acquis de nouvelles machines adaptées à notre activité, plus modernes, plus précises. Dans notre métier, on peut mécaniser le travail du bois mais les réparations des tonneaux se font toujours à la main ». Un travail manuel qui n’exclut pas les innovations, à l’image de ces amphores, spécialement créées à la demande de clients pour des tests et qui ne rendront leur verdict œnologique que dans quelques mois. « J’attends le résultat avec impatience », avoue Jérôme Viard, dont les projets, en cours ou à venir, ne manquent pas. À commencer par le développement d’un espace de visite plus moderne et plus grand. « En 2018, nous avons reçu plus de 800 visites dont 70% de Belges. Nous sommes situés sur la route touristique du champagne, dans le vignoble de Saint-Thierry qui est le plus septentrional de Champagne. Nos visiteurs veulent en savoir davantage sur le champagne et ses producteurs. C’est pourquoi nous allons créer un espace de visite axé sur le développement des sens autour du bois, avec une dimension interactive », explique l’artisan-tonnelier qui lance un financement participatif sur la plateforme Kisskissbankbank pour accélérer la mise en service de cette innovation intitulée « Les sens du fût ». Pour y parvenir il ambitionne de lever 10 000 euros de fonds, avec une mise de départ individuelle de 10 euros minimum. Formateur en CFA dans une autre vie, cet adepte de la transmission, accueille d’ailleurs régulièrement des apprentis ou des Compagnons du devoir dans le cadre de leur Tour de France. Une évidence selon lui : « Je n’envisage pas ce métier sans transmission. Si l’on veut pérenniser notre travail, nous avons un devoir de partage et de transmission ».

(Droits réservés)

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