Taxes américaines : le champagne peut souffler

Champagne

Les destins des Gafa et du champagne intimement liés ? En suspendant sa taxe Gafa, le gouvernement français a permis au champagne d'échapper aux rétorsions économiques américaines.

Après avoir été épargné par la taxe liée au conflit Airbus-Boeing, le champagne vient d’échapper de justesse aux représailles américaines sur la taxe Gafa envisagée par le gouvernement français.

Prise en otage dans le bras de fer entre le gouvernement français et Donald Trump au sujet de la taxe Gafa, la filière Champagne peut souffler : elle a échappé de justesse à une taxe de représailles qu’avait brandi le président américain ces dernières semaines.

Il faut dire que depuis la fin 2019, les relations commerciales entre la France et les Etats-Unis se sont considérablement tendues, sur la base de deux dossiers distincts : Airbus/Boeing et les Gafa (Google, Apple, Facebook,Amazon).

« Les Etats-Unis ont été fondés par l’OMC à prendre des mesures de rétorsion à l’encontre de l’Union européenne en raison des subventions versées par les pays du consortium Airbus. Ils ne s’en sont pas privés et un certain nombre de pays ont été touchés par une batterie de taxes », rappelle David Chatillon, Directeur général de l’Union des Maisons de Champagne (UMC). Depuis octobre 2019, la France, par exemple fait l’objet d’une taxe de 25% sur les vins tranquilles inférieur dont le degré d’alcool est inférieur à 14 degrés, dont les conséquences se font déjà ressentir (voir encadré).

En décembre 2019, face à la volonté française guidée par le ministre de l’Economie Bruno Le Maire de mettre en place une taxe Gafa à hauteur de 3% du chiffre d’affaires des grandes entreprises du numérique, l’administration américaine a immédiatement riposté. Elle a ainsi fait savoir que la taxe Gafa votée par la France était préjudiciable aux intérêts américains, elle a établi une liste de produits pouvant faire l’objet d’une taxe supplémentaire pouvant aller jusqu’à 100% ! Vins effervescents, arts de la table, cosmétiques, produits laitiers et maroquinerie français étaient concernés.

PREMIER MARCHÉ À L’EXPORT EN VALEUR

Après avoir reçu en audition les représentants des filières concernées mais aussi les distributeurs et les importateurs, l’administration américaine avait jusqu’au 14 janvier 2020 pour recevoir les contributions de ces derniers. La semaine dernière, à l’issue d’une rencontre entre Donald Trump et Emmanuel Macron puis entre leurs ministres respectifs, les deux Etats se sont finalement entendus pour : du côté français, suspendre l’application de la taxe Gafa jusqu’en 2021 et du côté américain de ne pas mettre en place de surtaxe sur les produits concernés. Une trêve qui devrait durer jusqu’à ce que les pays de l’OCDE se mettent d’accord sur une fiscalité numérique à l’échelle internationale.

Si la suspension de cette menace d’une taxation sur le champagne est forcément de nature à satisfaire les Champenois, elle n’écarte pas la possibilité de voir le champagne au cœur d’un autre conflit franco-américain. « Nous sommes rassurés mais nous avons aussi appris à nous méfier », avance le Directeur général de l’UMC. La loi américaine prévoyant une possible modification de la liste des produits surtaxés ou des taux de taxe appliqués pendant quatre mois, il n’est pas impossible que les vins effervescents y soient ajoutés d’ici au 14 février. Une éventualité que les Champenois n’écartent pas totalement même si l’administration américaine a semble-t-il compris que ses intérêts commerciaux locaux pouvaient eux aussi être menacés par une taxation excessive. D’autant que le marché américain présente quelques spécificités avec trois niveaux de distributeurs (importateur, distributeur et détaillant), Etat par Etat, soit un nombre d’intermédiaires potentiellement impactés par la baisse des ventes liées à la surtaxation du champagne.

« Nous sommes soulagés que cette menace se soit envolée au moins pour un temps, souligne David Chatillon. Dans un contexte où le marché français est compliqué, si le deuxième marché en valeur devient lui aussi compliqué, nous aurions des difficultés à rattraper cette valeur sur les autres marchés.»

Du côté des professionnels du champagne, on ne manque pas de rappeler au gouvernement français qu’une taxe sur les Gafa pourrait rapporter 500 M€ mais en coûter le triple à l’économie hexagonale.

En 2018, le marché américain représentait 23,7 millions de bouteilles de champagne expédiées (deuxième marché à l’export après la Grande-Bretagne en volume) pour un chiffre d’affaires de 577,1 millions d’euros (premier marché à l’export en valeur). Un marché dominé par les Maisons de Champagne- qui représentent plus de 85% des exportations aux Etats-Unis – et surtout en progression sur les trois premiers trimestres 2019. Le champagne devrait selon les estimations boucler l’exercice en hausse par rapport à l’année précédente, autour de 24 millions de bouteilles.

STATU QUO SUR LE BREXIT

L’annonce officielle du Brexit n’a pour l’heure pas eu de conséquences sur le marché du Champagne au Royaume-Uni (premier marché à l’export avec 26,8 millions de bouteilles expédiées en 2018). Alors que la Grande-Bretagne doit sortir de l’Union européenne le 31 janvier 2020, elle reste présente au sein de l’Union douanière au moins jusqu’à la fin 2020. Une stabilité attendue cette année au moins en terme de flux et de droits de douanes, dans l’attente de la conclusion d’un possible accord de libre échange entre l’Union européenne et la Grande-Bretagne.


TAXE AIRBUS, LES VINS TRANQUILLES
EN SOUFFRANCE

Si le champagne a pu échapper à cette mesure de rétorsion – succès que l’on attribue en partie au lobbying de la profession, Bernard Arnault en tête, le patron du groupe LVMH étant un proche de Donald Trump – il n’en est pas de même pour les vins tranquilles français, taxés à hauteur de 25% sur le territoire américain depuis novembre 2019. Ainsi, le Conseil interprofessionnel du vin de Bordeaux (CIVB) estime ses pertes sur le sol américain à 24% des volumes de ventes et à 46% du chiffre d’affaires en novembre 2019 par rapport au même mois de l’année précédente.

De quoi faire frémir l’ensemble des Champenois.