Suez (Engie) Veolia une affaire française mais également européenne

Par François Charles Économiste, conseil en stratégie, management et affaires européennes. Président de l’Institut de recherche et de communication sur l’Europe.

Le dossier Suez-Veolia est particulier sur ses objectifs, réalités et options de solutions qui transformeraient cette opération en intelligence et prise de conscience européenne sur les domaines stratégiques de l’eau et de l’environnement, en plein pacte vert et accélération du recyclage et surtout d’indépendance de souveraineté nationale revenue. Il semble important de penser avec discernement, en profitant de valoriser les forces motrices françaises dans une politique industrielle voire de segmentation européenne où les états et institutions, parties prenantes des réalités de concurrence, peuvent et doivent être présentes pour définir le cadre d’intervention dans un certain intérêt général l’emportant sur des recherches de profits particuliers ou nationaux ainsi que sur de simples affaires de personnes.

Suez et Veolia sont à peu près identiques sur leurs capacités eau et environnement et rayonnent en leaders en Europe et dans le monde avec parfois des opportunités d’alliance. Elles ont été développées à partir du même décret napoléonien et possèdent des identités fortes avec des clients plutôt fidèles.

Il ne s’agit pas d’une problématique financière et d’une OPA liée au Covid car des rumeurs de volonté de rachats de Suez circulaient déjà en 2018, mais d’une opportunité liée à la volonté de désengagement d’Engie, actionnaire de Suez et en actuelle recherche de repositionnement et de consolidation. Veolia misera certainement sur l’effet de levier de reprise des parts d’Engie pour acquérir son concurrent historique, voire héréditaire, dont le conseil d’administration a refusé l’opération comprenant qu’une fusion est avant tout in fine une acquisition. Nul n’est pourtant tenu de rester en indivision avec la problématique de choix de l’acquéreur de ces parts.

Certains s’interrogeront aussi sur l’absence de rachat des parts d’Engie par Suez elle-même avec ou sans l’appui de partenaires. Notons l’absence de propositions du fonds suédois AQT qui a racheté Saur et l’apparition potentielle de Meridiam, fonds français en Europe, et non fonds européen, pour ce type d’opération. Il s’agirait pour lui de reprendre les activités, donc rentables sauf incitation particulière, de distribution et traitement de l’eau de Suez afin sans doute que la nouvelle Commission européenne puisse apprécier la notion de bonne concurrence pour les citoyens, dans le cadre de son domaine exclusif de compétence. Même en conservant un lien fort et historique de sous-traitance avec l’ancienne maison mère, subsistera le problème des marchés à identifier avec sans doute une offre différente peut être intéressante pour les usagers mais risquée comme cela est le cas dans l’électricité. Mais État et Commission devront aussi se souvenir que les fonds, qui se disent désormais durables et qui sont parfois de véritables acteurs de politique industrielle, revendront un jour leurs acquisitions et que le sujet n’est donc pas clos.

Notons que l’État dispose d’une juste minorité de blocage avec droits de vote théorique dans Engie, elle-même propriétaire de 32 % des parts de Suez et qu’il suggère de prendre son temps avec une certaine ou relative bienveillance de tutelle. Peut-être aura-t-il aussi promis ce rachat en toute puissance voire douce violence, comme pour certaines autres affaires dans d’autres secteurs stratégiques notamment dans la défense.

Pour autant certaines options et propositions restent ouvertes nécessitant à la fois une nouvelle pensée de gouvernance ainsi qu’une analyse fine de concurrence avec une possible imbrication d’éléments communs et spécifiques.

D’autres acteurs ne pourraient-ils pas être intéressés notamment au niveau européen considérant le rayonnement de leadership en Europe et dans le monde sauf à penser que le dossier est devenu urgent, notamment pour Engie, et qu’il n’est pas utile d’y travailler pour créer facilement un champion et en finir avec cette concurrence sur ce sujet très politique touchant les territoires avec toutes leurs réalités ?

L’administration de tutelle française peut agir en donnant l’exemple en évitant une OPA hostile sans forcer les acteurs, dans la recherche d’un possible et unique champion européen, en les guidant vers une dynamique de sens, en travaillant en concertation avec l’Allemagne et les autres pays, voire en invitant d’autres acteurs tiers européens à s’y impliquer pour valider et renforcer ce positionnement structurel et de segmentation.

En plus de son rôle protecteur du consommateur sur le marché et l’accès à l’eau trop peu encore considéré à l’échelle européenne qui se considère à l’abri, et considérant ses actions de politique industrielle et la cohérence avec les divers plans de relance, la Commission européenne peut aussi analyser et faciliter ce projet sans exiger d’autre concurrence interne tout en veillant à certaines orientations de politique générale sur la stratégie, la structure, l’identité et la prise de décision. Certes désormais plus attentive et ouverte aux dossiers lourds, cette dernière pourra apprécier l’avantage compétitif européen et pourra aussi se rappeler qu’Airbus n’a pas de concurrent en Europe tout comme imaginer certaines autres recommandations. De plus. Elle devra comprendre que la cession d’actif réduira de fait le poids du futur champion voire risquera de voir apparaître d’autres acteurs non européens tant que certaines mesures ne sont pas actées. Il s’agirait aussi de profiter du pacte vert pour faciliter une offre réellement européenne, en Europe et pour l’Europe sur la base de forces motrices françaises. L’opportunité d’un vrai fonds européen sur l’eau et l’environnement avec gouvernance répartie est également à étudier.

Ce champion européen peut aussi avoir une identité particulière pour réussir à fonctionner dans ses luttes internes. Suez comme Veolia ont déjà l’expérience de regroupement de marques et les fusions progressives existent dans beaucoup de domaines. Pour autant, cette concurrence salvatrice pourra aussi s’exercer de façon interne entre ces deux entités avec identités différentes comme l’exemple de Peugeot et Citroën ayant conservé leurs marques et leurs spécificités de produits. Il en découlerait un « système PSA de l’eau et de l’environnement » avec gestion des déchets et production d’énergie, misant sur les synergies et transformations communes ou différenciées à partir de l’innovation et de l’optimisation des processus avec désormais des équipes plus soudées. Il en est de même du modèle de KNDS entre le français Nexter et l’allemand KMW dans l’armement terrestre, et de celui de Safran avec la difficile et peu à peu constructive synergie entre Snecam et Sagem. Peut-être existeront d’autres futures initiatives dans l’aéronautique et le naval où les notions de moteur à deux parties complémentaires ou de label européen englobant à concepts différents doivent être conçus avec soin.

François Charles.