Spectacles vivants : une reprise à deux vitesses

À l’aube de la nouvelle saison culturelle, les exploitants de salles avancent encore à
tâtons. Si les théâtres et les cinémas ont pu reprendre leurs activités après le confinement, la situation est plus compliquée pour les salles de concerts. Sans date de reprise encore officielle, ils attendent toujours une réponse du gouvernement qui ne vient pas.

Voilà bientôt cinq mois que les salles de concert ont baissé leurs rideaux. Entre temps, les guitares se sont désaccordées et les flûtes encrassées côtoient désormais les amplis dont la poussière n’a plus été chassée. Malgré le déconfinement, il est toujours impossible d’organiser le moindre concert dans un espace clos. La faute à deux décrets du 31 mai dernier « prescrivant les mesures nécessaires pour faire face à l’épidémie » et qui interdisent la tenue de spectacles avec un public debout. « On nous associe aux établissements de nuit », déplore Hervé Sansonetto, le directeur du Bikini à Ramonville.

Le gérant de la salle indépendante navigue actuellement à vue. « Depuis le déconfinement, on nous fait espérer une reprise, elle n’arrive pas », explique-t-il. Aucune date précise n’a encore été fixée par le gouvernement pour une reprise possible des concerts en intérieur. Si le Premier ministre Jean Castex a annoncé étendre, la semaine dernière, la jauge maximale de 5 000 personnes pour tout rassemblement public jusqu’au 30 octobre, cette dernière ne concerne pas les événements en intérieur. « Essayer de respecter un quota de personnes au mètre carré, c’est impossible pour nous. Soit on ouvre tout, soit on n’ouvre rien », déclare-t-il. Mais au-delà de l’impossibilité de rouvrir, c’est surtout le mutisme du gouvernement sur cette question qui agace Hervé Sansonetto. « On a aucune réponse, c’est silence, rien ! C’est moi qui suis obligé d’appeler la direction régionale des affaires culturelles (Drac), mais eux aussi font les sourds ».

Pourtant tout était prêt pour un redémarrage dès le mois de septembre. Au Bikini, comme dans bien d’autres salles, la programmation était déjà prête. Mais il y a de fortes chances que cette dernière soit caduque dans quelques semaines. « Je ne regarde même pas ma propre programmation », confesse le gérant tandis qu’il est certain qu’elle ne pourra pas être déroulée. Si les craintes d’Hervé Sansonetto venaient à se confirmer, ce serait déjà la deuxième fois que la programmation tomberait à l’eau. « Certains artistes, on a dû reporter cinq fois leurs dates. On ne doit pas faire n’importe quoi parce que cela coûte de l’argent ».

Après cinq mois sans activité, dans les salles, on commence aussi à faire les comptes. Même si les mesures de chômage partiel ont permis aux exploitants de salles de concert de pouvoir temporiser et que ces dernières ont été étendues sine die, les premiers bilans du manque à gagner commencent à tomber. « C’est énorme, explique le directeur du Bikini, on est toujours en train de le calculer, mais on sera sûrement à plus d’1 M€ de chiffre d’affaires perdu ».

UNE LETTRE OUVERTE AU GOUVERNEMENT

Pour tenter d’obtenir une réponse concrète de la part du gouvernement sur une date de reprise des spectacles debout, une lettre ouverte, sous forme de pétition, a été lancée à l’initiative du syndicat des musiques actuelles. Intitulée « concerts debout touchés de plein cœur », elle a déjà été signée par plus de 1 500 structures, artistes ou indépendants de la profession, dont à Toulouse, les salles du Bikini et du Bijou et l’organisateur de spectacles Bleu Citron. Ils alertent notamment sur « une situation économique, sociale et morale plus que délicate » pour les professionnels du secteur. Ils demandent, à l’instar des cafés et restaurants « l’élaboration d’un protocole relatif à de possibles aménagements quant à l’accueil du public, en vue d’aboutir à des scenarii de reprises des activités ». Pour l’instant, la ministre de la Culture, Roselyne Bachelot ne semble pas avoir encore tranché la question. Dans un communiqué du 4 août, le ministère semblait enclin à relancer les concerts au 1er septembre, avant que, deux jours plus tard, la rue de Valois « précise » certaines annonces en indiquant notamment que « la configuration assise du public reste la norme », sans donner plus d’information concernant les spectacles debout.

Mais, même en cas d’autorisation de relancer les concerts, la reprise ne sera pas immédiate. « Faire un concert, ce n’est pas comme aller chercher une pizza en bas de chez soi, souligne Hervé Sansonetto, cela demande de la préparation. On a environ 70 personnes qui travaillent sur un concert ». Lorsque le feu vert viendra, la machine mettra donc un petit peu de temps avant de pouvoir se relancer

DEMI JAUGE POUR LES THÉÂTRES ET CINÉMAS

Les théâtres et les salles de concert assis ont pu, eux, rouvrir le 2 juin dernier à Toulouse. Mais, geste barrières et distanciation sociale obligent, les jauges de remplissage des salles ont dû être revues à la baisse. « Nous sommes obligés de laisser au moins un siège entre chaque groupe de personnes », explique Maryline Vaurs, responsable des partenariats et coordinatrice du comité de programmation du théâtre du Grand Rond. Résultat, « on peut remplir au maximum entre 50 et 60 % de la salle, en fonction du fait que les gens viennent seuls ou accompagnés ». Pour sa programmation 2020-2021, elle l’avoue, « tout s’est fait un peu plus dans l’urgence. Nous avons dû décaler les compagnies prévues cet été pour laisser la place à ceux qui devaient être là début mars ». Alors que traditionnellement, entre trois ou quatre spectacles se jouent sur les planches du théâtre du Grand Rond, ce sont six spectacles tous publics qui ont été programmés cet été. Pour la rentrée, la salle, qui donne des représentations pour les groupes scolaires, reçoit déjà des demandes d’enseignants. « Mais les professeurs, eux aussi, sont dans l’incertitude », explique-t-elle.

Autre secteur à avoir pu rouvrir en juin dernier, les cinémas accusent un été pauvre en sorties majeures. Depuis le mois de mars dernier, plus d’une centaine de longs-métrages ont vu leur date de sortie décalée dont certaines grosses productions hollywoodiennes censées, à cette époque de l’année, remplir les salles obscures. Pour autant, selon Jérémy Breta, le gérant de la salle American Cosmograph, en centre-ville de Toulouse, « cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de films. Il manque simplement les locomotives ». Dans son cinéma, il accuse cet été une perte de 40 % de fréquentation par rapport à l’été dernier. « Sur un été normal on fait entre 8 000 et 9 000 entrées, détaille-t-il. Là, en juillet, on a atteint péniblement les 6 000 entrées ». Pour autant, il note un retour progressif du public dans les salles obscures. En août, on devrait être autour des 6 000 », note-t-il. Mais dans cette période incertaine, son objectif, au-delà des chiffres, est « de donner envie aux gens de revenir au cinéma ».

Mais, en tant que membre du syndicat des cinémas d’art, de répertoire et d’essai, Jérémy Breta soulève également une difficulté à laquelle les exploitants de salle de cinéma pourraient être confrontés dans les prochains mois. « Pendant le confinement, l’État nous a exonérés d’une taxe que nous reversions au Centre national du cinéma (CNC), commente-t-il. À court terme cela fait du bien à la trésorerie, mais cette taxe était ensuite généralement redistribuée aux acteurs du cinéma. C’était un petit peu comme une épargne ». Sans recouvrement pendant le confinement et avec une exemption sur les mois de janvier et de février, il est inquiet pour le cas où il aurait des travaux à faire ou du matériel à changer. « Si un projecteur venait à rendre l’âme, sans cette aide, la trésorerie en prendra un coup ».

Pour ceux qui ont pu reprendre, comme pour ceux encore dans l’attente, la reprise se fait dans un climat d’incertitude. Avec un possible reconfinement en guise d’épée de Damoclès, synonyme de nouvelle fermeture, le secteur de la culture et des spectacles vivant s’apprête à démarrer une saison 2020-2021 extraordinaire, au sens littéral du terme.