Soredis, des projets ambitieux malgré la crise

François Guy a racheté l’entreprise familiale en 2010.

Symbole d’une profession victime collatérale de la fermeture des cafés, hôtels restaurants (CHR) l’entreprise rémoise Soredis (200 M€ de chiffres d’affaires) se transforme : elle se digitalise, lance un cola fabriqué dans la région et prépare sa “révolution verte”.

Ils ne sont pas fermés administrativement mais en supportent les conséquences directes. C’est bien d’ailleurs ce qui met en colère les professionnels de la distribution puisque plus de 95% de leurs clients (hôteliers et restaurateurs notamment) ont été ou sont encore fermés. « Nous avons perdu 99,7% de notre activité : les 0,3% restants sont les hôpitaux et les Ehpad, que nous continuons à livrer bien évidemment. Or, ils mobilisent près de 10% de mes effectifs », souligne François Guy, dirigeant de Soredis, entreprise rémoise membre de la Fédération nationale des boissons. « Nous sommes plus touchés que nos clients car nous sommes exclus de toutes les aides, à l’exception du PGE et du chômage partiel, puisque nous ne sommes pas fermés administrativement ».

Après la création d’un premier consortium des professionnels de la distribution en Bretagne, un autre consortium a été créé dans le Grand Est à l’initiative de François Guy, réunissant amis, confrères et concurrents autour d’un combat commun : la défense des intérêts de leur profession qui pèse un chiffre d’affaires de 550 M€ et une masse salariale de plus de 1400 salariés dans la région. Composé de 14 entreprises début décembre, il en comptait 25 deux semaines plus tard, preuve de l’inquiétude et de la mobilisation de la profession et de ses partenaires. « Nous sommes un métier de l’invisible parce que notre clientèle est professionnelle. Mais grâce à ces consortiums nous agitons le drapeau rouge pour montrer que nous existions et nous devenons enfin audibles », souligne le Rémois, qui est parvenu à décrocher un entretien avec Alain Griset, ministre délégué aux PME, le 16 décembre, pour avoir accès, au moins dans un premier temps, au fonds de solidarité mis en place par le gouvernement.

6 M€ INJECTÉS DANS LA FILIÈRE CHAQUE ANNÉE

« Il en va de la survie de nos entreprises, qui sont des boîtes familiales, implantées dans les territoires depuis trois ou quatre générations parfois. Mais au-delà de notre cas, il peut aussi y avoir une réaction en chaîne, notamment au niveau des financements que nous apportons à nos clients. Sans cet argent qui leur sert à financer leur installation, leurs travaux ou leur matériel, le nombre de création d’affaires risque de chuter, entraînant avec lui une baisse des fonds de commerce et donc une désaffection pour les commerces de centre-ville », alerte François Guy. Pour rappel, il existe une pratique dite de « contrats brasseurs » qui consiste à établir une exclusivité entre un distributeur et son client (bar, restaurant…). En échange de cette exclusivité commerciale pour des marques, pour un nombre de produits et une durée bien déterminés à l’avance, le distributeur apporte une subvention à son client. « Plutôt qu’une remise sous forme de pourcentage annuel, nous versons une somme d’argent bien définie, que le professionnel utilise à sa guise : apport auprès de sa banque, achat de matériel, financement de travaux de rénovation… ». Un système co-financé par des marques et des brasseurs, identique à celui pratiqué par les meuniers en boulangerie ou par les pétroliers envers des professionnels du transport.

François Guy, qui consacre pas moins de 6 millions d’euros par an à ces contrats, veut donc sensibiliser les autorités sur l’impact d’une éventuelle défaillance de sa part auprès de sa clientèle. « Si demain je ne verse plus ces sommes, il y aura un effet domino sur toute une filière. Nous sommes un maillon de la chaîne, sans doute un des plus fragiles et qui souffre le plus actuellement. On accepte les fermetures pour que la santé passe en priorité mais il faut venir au secours de nos entreprises ».

Le dirigeant ne demande pas un alignement complet sur les CHR, qu’il jugerait « inadapté » mais plutôt une prise en charge des charges fixes incompressibles des entreprises pendant la période de fermeture de leurs clients. « Nous voyons arriver la fin d’année avec beaucoup de stress », explique celui qui a décidé de conserver auprès de lui ses cadres dirigeants à 50% d’activité pour préparer la reprise et surtout mettre en place des projets. Et ils ne manquent pas.

« On met à profit cette période pour faire ce que nous n’avions pas eu le temps de faire, notamment au niveau numérique ». Soredis a donc enclenché un programme de digitalisation complète, du site web aux réseaux sociaux en passant par la force de vente. « Notre portail client a été mis en place en juin et le lancement de notre place de marché est prévu au début de l’année 2021. Nous n’étions pas digitalisé il y a un an et nous le serons totalement dans un mois ».

UN COLA MADE IN GRAND EST À L’EAU DE SOURCE

« Nous allons lancer un cola régional », annonce-t-il. Loin de baisser les bras, le chef d’entreprise rémois s’est rapproché d’un fournisseur alsacien pour créer des boissons estampillées Grand Est au cours de l’été 2020. Un cola, un cola light, un thé glacé et un soda orange vont être distribués sous la marque « Fine cola » fin février 2021, à la réouverture des CHR. Des boissons fabriquées à base d’eau de source et qui comptent bien surfer sur le retour du consommateur vers les valeurs locales. Avec un petit côté vintage aussi puisque la marque est accompagnée d’une signature « Sodatier depuis 1925 ». Un mot inventé par les équipes de Soredis mais qui fait très clairement allusion à l’histoire familiale, Roger Guy, le fondateur de l’entreprise ayant été limonadier et embouteilleur de vin.

« Point important de ce projet : nous allons distribuer ces boissons dans des bouteilles en verre, consignées. Aujourd’hui, notre métier est étonnamment en avance sur le tri et la consigne, nous organisons déjà le ramassage des bouteilles en verre chez nos clients pour les apporter sur notre site où un opérateur vient les récupérer. Avec notre marque, nous allons livrer à nos clients des bouteilles consignées avec lesquelles on pourra faire jusqu’à 12 rotations ». Une révolution verte qui a commencé avec la labellisation de l’entreprise en 2019, mais qui vise plus loin puisque François Guy a commandé, au cours du confinement, un audit auprès de consultants pour connaître son empreinte carbone. « Notre point négatif c’est le transport », reconnaît-il. « Nous avons demandé aux consultants de nous faire des propositions pour réduire notre empreinte carbone. Et ce qui ne pourra plus être réduit sera compensé. Comment ? Nous y réfléchissons ».

95 ans de distribution

Créée en 1925 par son grand-père Roger, puis reprise par son père Jean-Pierre, Soredis compte aujourd’hui une quarantaine d’entrepôts sur la moitié Est de la France et emploie 600 personnes. Entré dans l’entreprise en 1996, quelques jours avant son rachat par le groupe Danone, François Guy la rachètera au groupe Carlsberg en 2010 avec le concours de ses collaborateurs. Depuis, la société familiale a quadruplé son chiffre d’affaires pour atteindre les 200 millions d’euros annuels. En croissance constante depuis dix ans, Soredis a vécu la crise sanitaire comme un frein brutal à son développement. « Pour la première fois cette année dans son histoire, notre entreprise va perdre de l’argent », regrette le plus gros indépendant français de son secteur d’activités, qui dispose toujours de 80% des parts de la société.