« Seule la découverte d’un vaccin offrirait une certitude de reprise massive »

Bruno Duchesne, directeur général de la Banque Populaire Bourgogne Franche-Comté.

Alors que l’État pronostique une baisse du PIB national de 8 % pour 2020, nous avons demandé à Bruno Duchesne, directeur général de la Banque Populaire Bourgogne Franche-Comté son éclairage sur cette crise au combien inédite.

Le Journal du palais. Comment analysez-vous la crise qui nous secoue actuellement ?

Bruno Duchesne, directeur général de la Banque Populaire Bourgogne Franche-Comté (BPBFC). Ce qu’il faut garder à l’esprit, c’est qu’il s’agit d’abord d’une crise sanitaire. Et c’est bien le recours au confinement qui nous fait entrer dans une crise économique. Cette crise est très différente de tout ce que l’on a connu jusqu’ici. Il n’existe pas de point de comparaison. Ce que nous vivons est deux à trois fois plus fort que 2008, où nous avions connu une baisse de 2,5 à 2,9% du PIB. Le seul rapprochement qu’il serait possible de faire en termes d’impact chiffré, c’est avec la crise financière de 1929. Cette dernière a engendré sur trois ans une perte de 19 % du PIB, soit environ 6 % par an. S’il y a 15 jours nous affichions une chute de 6 % du PIB sur un rythme trimestriel, avec un confinement de huit semaines, l’État table aujourd’hui sur une perte de 8 % du PIB. Toutefois, ce qu’il faut bien comprendre, c’est qu’en 1929, nous avions affaire à une crise de la demande. Celle-ci a appauvri les acteurs économiques, entrainant ensuite la hausse du chômage et la baisse de la consommation des ménages. Ce à quoi nous sommes confrontés actuellement est tout à fait différent : ce n’est nullement une crise financière. Ici les entreprises sont contraintes de fermer en raison du confinement, ce qui conduit à un arrêt de la production et au chômage. En Bourgogne Franche-Comté, c’est ainsi 3 % du PIB qui est à l’arrêt, soit un tiers de l’activité. Pour certains secteurs d’activité la situation est encore plus prégnante. Pour la restauration et le tourisme, cette stagnation de l’activité est ainsi proche de 100 %, dans la construction la chute est de 88 % et dans l’industrie c’est -43 %… Au total, 35 % de la richesse produite a ainsi disparu.

Enfin, c’est bien cette mise à l’arrêt de l’économie qui provoque la crise (le confinement a induit une baisse de 86 % des déplacements vers les commerces, selon les chiffres du gouvernement). C’est ici une crise de l’offre et non de la demande, dont la régulation et l’issue sont indépendantes de l’économie elle-même. Elle n’est corrélée qu’à la crise sanitaire.

Chaque semaine c’est en moyenne près de 20 milliards de PIB qui disparaissent en France, en BFC cela représente un demi-milliard de la richesse produite. Au bout d’un mois, nous atteignons le chiffre de 80 milliards et d’ici deux mois ce seront environ 160 milliards d’euros de PIB qui se seront volatilisés sur l’ensemble du territoire.

D’un point de vue économique, les mesures prises par le gouvernement ont-elles été les bonnes ?

C’est même l’un des rares points positifs : les États et les banques centrales dans le monde ont réagi de façon correcte. En France, ont été déployés, l’élargissement du recours au chômage partiel et le Prêt garanti par l’État. Ce dernier peut représenter jusqu’à trois mois de chiffre d’affaires, pour 85 % des entreprises, quelles que soient leur taille et leur forme juridique. Il peut également représenter deux années de masse salariale pour les entreprises innovantes ou créées depuis le 1er janvier 2019. Garanti à 90 % via la BPI, il est bénéfique au plan de la trésorerie. Il bénéficie d’un différé d’amortissement total (intérêts + capital) pour la première année, seule la garantie est remboursée avec un taux compris entre 0,25 et 0,5 %. Le remboursement s’effectue ensuite sur cinq ans, aux conditions du marché.

Par ailleurs, partout dans le monde, les banques centrales mettent à disposition des liquidités sans limites, pour garantir l’approvisionnement des grandes banques nationales, afin de leur permettre ensuite d’accorder les prêts. En Europe, la BCE prévoit de débloquer 720 milliards d’euros.

Enfin en local, nous, les banques, sommes la courroie de transmission de cette liquidité transmise.

Quelle conséquence pour les finances de l’État et l’équilibre budgétaire ?

La crise va induire une baisse des recettes de l’État, qu’elles soient fiscales (au titre de l’impôt sur les sociétés, de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) et de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE), liée à une chute comprise entre 70 et 85 % de la consommation des carburants…) ou non fiscales, le gouvernement demandant aux entreprises dans lesquelles il a des participations de ne pas verser de dividendes cette année. Cette baisse pourrait représenter un manque à gagner de l’ordre de 40 milliards d’euros.

L’État va donc s’endetter pour couvrir la perte de recettes mais également pour aider et soutenir les entreprises. Aujourd’hui 10,2 millions de salariés sont concernés par le chômage partiel, pour un budget provisoire de plus de 25,8 milliards d’euros. Les Prêts garantis par l’État (PGE) concernent déjà 130.000 entreprises bénéficiaires, pour une enveloppe de 300 milliards d’euros. Enfin, le Fonds de solidarité enregistre un million de demandes, pour un budget de sept milliards d’euros. L’État prévoit aussi 20 milliards d’euros pour recapitaliser des entreprises stratégiques en difficulté, comme Air France, et intègre une aide aux ménages les plus modestes (allocataires des minima sociaux) de 150 euros, plus 100 euros par enfant, ainsi qu’une prime pouvant aller jusqu’à 1.000 euros pour les fonctionnaires qui font face à un surcroît d’activité. Dès lors, le déficit public devrait passer à 9,1 % du PIB et le ratio de dette publique au sens de Maastricht pourrait atteindre 115 % du PIB.

Comment, en région, la Banque Populaire Bourgogne Franche-Comté s’est-elle mobilisée ?

Face à cette crise, en tant que première banque des entre- prises, mais aussi de plus de 600.000 clients particuliers, la BPBFC s’est fixée trois objectifs.

– Garantir la sécurité sanitaire des collaborateurs. Nos agences restent accessibles au public à 85 % en Bourgogne Franche- Comté (liste disponible sur le site internet de la banque populaire). Nous avons fermé les plus petites.

– Une action spécifique auprès des clients en schéma de précarité bancaire. Cela représente dans notre région 10.000 personnes sans carte bancaire (soit interdits bancaires, soit bénéficiaires des minima sociaux, qui viennent chercher leur argent en espèces). L’objectif est de maintenir un service de base aux plus démunis.

– Accompagner les entreprises via le report jusqu’à six mois de toutes les échéances de crédit à court et moyen termes. Cela représente pour la BPBFC 250 millions d’euros. Mais aussi par la mise à disposition de PGE le plus rapidement possible. Entre le moment de la création du prêt et sa mise à disposition, il ne s’est écoulé que 24 heures. En date du 6 avril, nous avions déjà accordé plus de 1.000 PGE, pour 100 millions d’euros d’encours. Globalement, nous pourrions être amenés à accorder jusqu’à un milliard d’euros en dispositif d’accompagnement au profit des entreprises.

Cela donne la mesure des besoins des entreprises et de la mobilisation de l’État et des banques.

Dans sa première allocution le Président de la République affirmait ne vouloir laisser aucune entreprise sur le bord de la route. Pensez-vous qu’une telle déclaration est réaliste ? Toutes les sociétés pourront-elles être sauvées ?

Les entreprises fragiles avant la crise seront plus durement touchées, mais ce sera aussi le cas d’entreprises parfaitement saines. Dans certains secteurs comme l’évènementiel, la restauration et le tourisme, le risque de casse est réel.

Quelle reprise pouvons-nous espérer avec la fin du confinement ? Massive ou timide ?

Avec le déconfinement, une reprise forte est possible, s’il n’y a pas trop d’appauvrissement des ménages. Aujourd’hui 10,2 millions de Français sont concernés par le chômage partiel, indemnisé au minimum à hauteur de 70 % de la rémunération antérieure brute.

La sortie du confinement, si elle est rapide, pourra être ressentie comme une bouffée d’oxygène avec un vrai effet positif sur la consommation. À l’inverse, un déconfinement lent pourrait mettre en berne durablement la relance de l’économie. Sans compter que l’envie de consommer des ménages pourrait être battue en brèche, si la peur du virus demeure. In fine, seule la découverte d’un vaccin offrirait une certitude de reprise massive.

Qu’en est-il des voix qui s’élèvent, affirmant que rien ne sera plus comme avant au niveau de la production en Chine des entreprises françaises ?

La crise prouve que la délocalisation rend les choses très compliquées et limite notre réactivité face aux crises. Le cas des masques en est une parfaite illustration. Avec le Covid-19, nous nous sommes aperçus qu’entre les années 2000 et 2020, nous étions devenus très dépendants de la Chine. C’est une chose dont nous n’avions pas vraiment pris conscience lors de la crise de 2011. Je pense que les entreprises vont faire ce constat. Il devrait ainsi y avoir un effet de relocalisation assez massif au moins au niveau européen.