Sémantique du Covid 19 au quotidien

En communication, il est prévisible et même attendu qu’à l’occasion d’une situation inédite, un vocabulaire peu usuel s’impose et parfois subsiste. Ce phénomène linguistique s’illustre avec la pandémie que nous traversons et le coronavirus devient viral aussi dans notre lexique.

La sémantique est le reflet des situations rencontrées et cela prouve que loin d’être une science difficile, c’est un excellent moyen de coller au réel et à l’immédiateté, souvenons-nous que l’étymologie est « la science du Vrai ».

Certes la situation est grave, mais a-t-on cependant l’obligation d’en parler de façon triste alors que nous savons que pour être sérieux il ne faut surtout pas être lugubre?

Je me propose d’aborder un certain nombre de points sémantiques actualisés en les raccrochant à l’émetteur ou au récepteur. Je débute avec le lecteur un itinéraire sémantique de cette pandémie en gardant l’esprit de Raymond Queneau dans « Exercices de style ».

Écoutons les personnages de cette « tragédie« : J’emploie très volontairement le terme de tragédie car nous vivons en direct la règle des trois unités de nos études classiques

– Unité de temps : la durée du confinement.

– Unité de lieu : le domicile « Restez chez vous ».

– Unité d’action : combattre et vaincre le Coronavirus.

Écoutons certains acteurs qui s’expriment sur la situation et leur vécu :

L’EXPERT

« Dans un foyer d’infection que les spécialistes appellent un cluster, il suffit pour éviter une propagation virale de procéder à un confinement drastique malgré la pénurie de masques et de gants et de dépister autant que faire se peut par test PCR en applaudissant le personnel de première ligne dont l’abnégation confine à l’héroïsme, mais écoutons maintenant ce qu’en pense le ministre… ». (On reconnaît un expert qui n’a rien à dire à son flux de parole ininterrompu incompréhensible pour le commun des mortels, en attendant l’intervention d’un politique qui lui ne peut pas dire).

LA PERSONNE ÂGÉE (MAINTENANT DÉNOMMÉE « AINÉ »)

« Moi qui aime tant mes petits enfants, j’ai actuellement la totale interdiction de les embrasser, de m’occuper d’eux pour soulager mes enfants qui doivent repartir au travail ou continuer le télétravail avec “un isolement familial” plus que relatif. Bien sûr je suis fragile mais c’est difficile à accepter ».

LE COUPLE CONFINÉ

Elle : « Mon chéri et si on profitait de ce confinement pour ranger le grenier, nettoyer la cave..? ».

Lui : « Et vlan!, tu es atteinte de ménagite aiguë ! Même si tu ne partages pas avec Donald Trump le goût pour les désinfectants , tu ne vas pas tout nettoyer avec tes recettes écolo… Pour autant vivre H 24 en couple est déjà une situation peu aisée, là c’est notre ménage qui est en jeu ! ».

L’ADOLESCENT BOUTONNEUX ET BOUGON

« Je ne comprends absolument pas pourquoi mon père peut faire du télétravail en jouant toute la journée avec sa bécane et qu’il m’est interdit de m’en servir. Voir mes potes sur mon smart c’est pas top. C’est plus que chelou ! Décidément il y en a que pour eux ! Si ma mère est atteinte de ménagite aigüe pas de risque que mon père attrape lui une méningite, faut être intelligent pour cela ! ».

LA PETITE FILLE À SON PAPA

Elle : « Il va pas enfin partir Le méchant Coco, je veux retourner à l’école. »

Lui : « Quand j’avais ton âge il y avait plein de cocos… Il faut attendre un peu. »

LA VIEILLE VOISINE AIGRIE, NOSTALGIQUE DE LA DÉLATION DEPUIS LA GUERRE

« On voit bien que les voisins ne prennent pas la mesure de la crise sanitaire, ils sont sortis souvent peut-être même sans autorisation dérogatoire, sans masque, sans gants, Ils ont même reçu leurs petits-enfants, il faut appeler la police, c’est un devoir civique d’informer ! ».

LE « SPORTIF SUR CANAPÉ » SIROTANT UNE CORONA OU UNE MORT SUBITE

« L’OMS a dit… mais ils sont nuls à la télé. Un jogging d’accord, on peut plus aller au club même l’Office Municipal des Sports est fermé, c’est comme l’ARS, les églises sont fermées, pourquoi invoquer toujours le curé d’Ars ? ».

L’ENSEIGNANT DE LETTRES

« Enfin ! cette pandémie va faire comprendre l’importance d’étudier les racines grecques et latines pour comprendre les médias : antibactérien, antiviral, hydroalcoolique, bronchoalvéolaire et même hydroxychloroquine, je vais demander au proviseur de rétablir les cours de grec ancien ! ».

LE SPÉCIALISTE PEU À L’AISE AVEC LA COMMUNICATION

« Pas de stress face au COVID-19, à peine plus grave que le Sras ou le H5 N1, si vous pensez avoir contracté le coronavirus appelez le 15 qui vous orientera au CHU en VSL, là une IDE fera un scan ou utilisera un écouvillon pour un PCR et décidera ou non de mettre en quatorzaine les cas suspects ou les cas positifs confirmés. »

L’HYPER SPÉCIALISTE REVENU DES STATES JUSTE AVANT LE CONFINEMENT

« Afin de flatten the curve mettons les confirmed case en self isolation pour limiter la viral spead de l’infection disease, gown, gloves et lockdown devraient contenir la contagionness. »

Profitons de ces scènes pour réaliser que si nous trouvons régulièrement de la sciure sous nos téléviseurs, cela est du à l’abus de la « langue de bois » !

LES HOMMES POLITIQUES

D’abord, honneur à notre président, dont on connaît la culture comme secrétaire du grand Paul Ricœur, il se présente souvent comme le “premier de cordée”. Mais là il se trompe, car le premier de cordée ce n’est pas lui, ni même l’auteur Frison Roche, non le premier de Corday, c’est Marat dans sa baignoire qui lui (contrairement à nous) pouvait se baigner !

Le premier ministre ensuite, même si le déconfinement semble faire augmenter sa pigmentation originale. Et tous les soirs à 19 heures, un « Avis à la population ! : nombre de décès, nombre de personnes en réanimation » toujours avec un ton régulier qui sait faire la part des choses sans émettre un jugement, fusse-t-il de Salomon !

Dans cette période, les mots peuvent involontairement prendre un sens tout à fait différent et peut-être influer sur notre regard sur le monde :

– Il est une racine latine toujours associée à la mort et au crime : « cide » issue de « caedere » = « tuer » via « cidum »… Il est légitime de punir les homicides, infanticides, féminicides mais je m’oppose formellement à la tenue d’un Grenelle du virucide.

– Malgré le sens habituel ce qui est considéré comme « positif » Il faut réaliser qu’être « testé positif » c’est avoir récupéré un virus dangereux, je ne vois rien de très « positif » dans cette infection.

– Il est important de suivre le champ sémantique de « confinement » : « rester confiné » (injonction télévisuelle « Restez chez vous ») nous interdit de nous rendre aux « confins » de notre département, Le « déconfinement » est une nouvelle difficulté qui au lieu de nous soulager nous laisse tout « déconfit ».

– La « distanciation sociale » évite certes la propagation du virus mais elle a aussi son contraire : accentuer la solitude et briser bien des avantages qui sont liés aux interactions humaines.

Après un temps d’incubation de ce vocabulaire que nous utilisions peu avant le mois de mars, gardons le en soins intensifs dans notre cœur car cette crise aura permis une relative immunité collective , un souci écologique légitimé et un vaste projet de relocalisations économiques et sanitaires. Merci aux personnels soignants et que vive l‘État providence, la prise en charge du chômage partiel comme le développement de solidarités nouvelles pour les plus fragiles ou les plus démunis

Le grec krisis « κρισις » dont est issu le mot « crise » a comme sens initial celui de « moment périlleux et décisif » et comporte, à l’instar de l’idéogramme chinois une face de « risque » et une face « d’opportunité », nous vivons la première, plongeons résolument dans la deuxième face.

Par Olivier Bernard, conseil en sémantique relationnelle et professionnelle.