Rugby professionnel et coronavirus

Par Jean-Michel Lattes, maître de conférences en droit privé, chercheur à l’Institut de droit privé (IDP – EA 1920) à l’université Toulouse 1 Capitole

I l peut sembler étrange d’associer les conséquences sociales du coronavirus et le rugby professionnel. Pourtant, le 26 août 1995, l’International Rugby Board (IRB) mettait un terme à l’obligation d’amateurisme en transformant ce sport en métier. Les joueurs deviennent alors des salariés comme les autres… ou presque (Cf. J-M Lattes, Rugby et droit du travail : une rencontre improbable ? Dt. Soc., n° 9/10, Sept. 2005, p. 873).

Y compris au plus haut niveau, les normes sociales récentes destinées à prendre en compte la situation sanitaire liée au coronavirus ont vocation à s’appliquer dans le monde de l’Ovalie. De fait, le confinement lié à la crise du Covid-19 a amené les clubs à utiliser, comme la plupart des entreprises, les ressources des dispositifs sociaux.

La mise au chômage partiel des joueurs et des staffs, comme la baisse des salaires, illustre cette similitude entre les clubs de rugby et les entreprises.

RUGBY ET CHÔMAGE PARTIEL

En droit du travail, l’activité dite « partielle » constitue un outil au service de la politique publique de prévention des licenciements économiques permettant à l’employeur en difficulté de faire prendre en charge tout ou partie du coût de la rémunération de ses salariés (articles L. 5 122-1 et suivants et R. 5 122-1 et suivants du code du travail).

La mise en œuvre du décret n° 2020-325 du 25 mars 2020 est liée à l’ampleur de la crise sanitaire due au Covid-19, le gouvernement décidant de transformer structurellement le dispositif d’activité partielle. L’entreprise (ou le club…) est entièrement remboursée par l’État pour les salaires allant jusqu’à 4,5 fois le Smic, et ce dans un délai moyen de 12 jours. Le reste à charge pour l’entreprise est donc nul pour les salariés dont la rémunération ne dépasse pas ce plafond, partiel au-delà. Les entreprises disposent d’un délai de 30 jours pour déclarer leur activité partielle, avec effet rétroactif. L’indemnité d’activité partielle versée au salarié est exonérée des cotisations salariales et patronales de sécurité sociale. Le dispositif évolue cependant à partir du 1er juin, les entreprises assumant désormais 15 % de la charge des salaires versés.

Le staff de l’équipe de France, comme la quasi-totalité des clubs d’élite, a basculé dans ce dispositif dès le 16 mars afin de tenter de réduire quelque peu les conséquences financières du confinement. Les joueurs perçoivent 84 % de leur salaire net mais le niveau des salaires dans le Top 14 – en moyenne 20 000€ par mois – amène à relativiser l’efficacité du dispositif. Si les charges sociales sont exonérées, les clubs doivent continuer à assumer le différentiel entre ces hauts niveaux de rémunération et le plafond de 4,5 fois le Smic.

Cette mesure aura, sans nul doute, constitué un outil fondamental dans le retour espéré à l’équilibre de nos clubs professionnels.

RUGBY ET BAISSE DES RÉMUNÉRATIONS

La phase de confinement terminée, les difficultés des clubs demeurent avec la nécessité de préparer l’avenir. L’absence de recettes oblige les clubs à réduire leurs charges… la plus importante étant la charge salariale (70 % en moyenne des coûts d’exploitation).

La question de la baisse des rémunérations des joueurs et des staffs est alors posée. Les clubs de Castres, Toulon, Toulouse et Montpellier ont annoncé avoir signé des accords de baisse des rémunérations allant de 10 à 30 % et tenant compte des fonctions et des situations individuelles. Le staff du XV de France en a fait de même alors que d’autres clubs devraient suivre ce mouvement.

En droit du travail, la rémunération est considérée comme un élément essentiel de la relation de travail. De fait, elle ne peut être modifiée unilatéralement par une des parties au contrat, ni dans son montant, ni dans sa structure. Les clubs doivent donc obtenir l’accord de chaque salarié concerné et formaliser cette baisse sous la forme d’un avenant au contrat d’origine signé par les deux parties.

Dans la situation sanitaire que nous connaissons, la modification du salaire pour motif économique constitue la base de la négociation. Les difficultés actuelles des clubs et les conséquences qu’elles génèrent pour leur avenir justifient pleinement ce processus. Le risque pour le salarié qui refuse la négociation demeure la possibilité pour l’employeur d’engager une procédure de licenciement pour motif économique. Certes, le salarié peut tenter de négocier des avantages ou des conditions sociales particulières mais il convient de mesurer les limites que l’employeur est susceptible de ne pas franchir.

La difficile négociation du Montpellier Hérault Rugby et les remarques désabusées de son président Mohed Altrad témoignent de la complexité de la démarche, d’autres clubs comme le Stade Français ou le Racing 92 n’ayant pas encore abouti dans la baisse contractuelle de leurs rémunérations.

Le joueur de rugby n’est décidément pas un salarié comme les autres. Attaché à son club, dans une relation souvent très personnelle avec son président, inscrit dans un collectif souvent très solidaire… il ne bénéficie pas des effets du code du travail de la même manière que dans une entreprise ordinaire. Les effets du coronavirus témoignent cependant de l’intérêt pour les clubs de bien mesurer les apports possibles de textes sociaux pour accompagner le parcours professionnel de salariés de type particulier surinvestis dans leur sport au détriment parfois de leur parcours professionnel.