Rigueur et transparence pour le nouveau bâtonnier de Châlons

Me Jean-Baptiste Denis a été élu bâtonnier du Tribunal de Châlons-en Champagne par 45 voix sur 46.

Me Jean-Baptiste Denis a été élu bâtonnier du barreau de Châlons-en-Champagne en novembre 2020 pour une prise de fonction au 1er janvier 2021. Il détaille pour Matot Braine les objectifs de son mandat et réagit à l’actualité judicaire.

Né à Reims, Jean-Baptiste Denis a toujours souhaité faire carrière dans le droit.

Il prête serment en janvier 2000 et est inscrit au barreau de Châlons-en-Champagne depuis 2002. Associé à la SCP Badré Hyonne Sens-Salis Denis Roger Daillencourt, cabinet inter-barreau entre Reims et Châlons, il intervient essentiellement en droit bancaire et commercial mais également en droit pénal et dans le contentieux civil classique. « J’aime bien le caractère technique au niveau juridique de ces matières-là », assume-t-il.

Qu’est-ce qui vous a poussé à vous présenter comme bâtonnier ?

J’ai été membre du Conseil de l’Ordre à Châlons à de multiples reprises car j’ai toujours souhaité m’impliquer dans la vie du barreau. C’est le conseil de l’Ordre qui prend les décisions que ce soit en matière de fixation de cotisations, de discipline ou de règlement de litiges avec les juridictions. Et pour représenter l’Ordre, il y a un organe exécutif qui est le bâtonnier, qui a un rôle disciplinaire plus particulier par rapport aux confrères du barreau mais aussi un rôle d’arbitrage.

Y-a-t-il un sens particulier que vos souhaitez donner à votre mandat ?

Mon objectif de mandat c’est de faire appliquer les règles déontologiques de manière à la fois stricte et transparente. Le barreau de Châlons-en-Champagne est constitué de 56 avocats plus six honoraires, c’est donc un petit barreau, soumis à des contraintes de permanences. Car si on regarde la carte judicaire, il couvre une population équivalente à celle du barreau de Reims, sauf qu’ils sont presque 300 avocats ! Nous devons donc nous débrouiller avec un nombre très restreint d’avocats pour assurer beaucoup de permanence et sur un territoire très vaste. En termes d’organisation, cela peut se révéler compliqué.

De quelle manière votre rôle de bâtonnier agit-il sur votre propre pratique professionnelle ?

On change de perspective. Pas sur les clients ou les dossiers, mais sur les rapports avec les juridictions, les confrères. Quand on est avocat, on défend les intérêts de son client, envers et contre tout, quand on est bâtonnier, on est contraint aussi de vérifier la pratique professionnelle des autres avocats et donc de se questionner soi-même, en ayant un devoir d’exemplarité.

Il y a eu tout un combat contre la réforme des retraites des avocats (faire passer les cotisations des avocats de 14 à 28 % et puiser dans la réserve de leur caisse dont la somme s’élève à 2 milliards d’euros, ndlr), avant que cela soit interrompu par le Covid. Votre prédécesseur, Me Gérard Thiébaut, avec le bâtonnier du barreau de Reims Me Éric Raffin, sont montés au créneau lors de la grève des avocats en 2019, quelle est votre position aujourd’hui ?

Au niveau du barreau de Châlons-en-Champagne on est toujours très vigilant. Si ce projet de réforme revenait tel quel, il serait vivement combattu. Il n’y a aucune raison pour que la profession accepte de nouveau ce projet de réforme. Jusqu’au moment de la suspension, il n’y a eu aucune avancée concrète.

Le Garde des Sceaux, Éric Dupond Moretti, avocat de profession, vient de dévoiler un certain nombre de contours du projet de loi de réforme de la Justice, la mise en place d’audiences filmées par exemple… Qu’en pensez-vous ?

Si le Garde des Sceaux dispose de financements pour filmer des audiences, il ferait mieux d’investir ces financements dans le recrutement de juges, de greffiers, pour vraiment débloquer les problèmes dans le fonctionnement de la justice. Ça ne parait pas être des mesures urgentes à prendre au regard de la situation actuelle. Il y a un vrai manque de moyens. C’est le cas à Châlons et de toutes les juridictions régionales d’ailleurs. Même en moyens matériels. Le greffe nous le dit régulièrement, il est en manque de matériel de base. Après, filmer les audiences ne suscite aucune crainte de la part de la profession, on s’étonne juste d’une telle mesure et de son effet sur la perception que la population pourrait avoir de la justice.

Y aurait-il une méconnaissance du monde de la justice par le citoyen lambda ? Y a-t-il quelque chose à réparer…

Peut-être… À chaque fois qu’un justiciable franchit le pas du cabinet, nous commençons par lui expliquer comment va se passer tout le processus d’accompagnement, de conseils, le procès, les délais. Nous avons ce rôle pédagogique là, d’expliquer à la population au travers des clients que l’on est amené à défendre.

La suppression des remises automatiques de peines, chantier également abordé, aura-elle une implication dans votre travail de conseil ?

Cela va surtout avoir des conséquences sur la manière dont les directeurs de maisons d’arrêt et de centres pénitentiaires vont gérer leurs détenus, car les remises de peine au sein de la maison d’arrêt c’est un levier pour faire régner la paix sociale en prison. Si on change les règles de base en cours de route, cela a une incidence indirecte pour nous en tant qu’avocats, mais en matière de politique pénale je ne suis pas convaincu des effets de cette réforme.

Y a-t-il d’autres points qui mériteraient d’être abordés dans cette réforme de la Justice, selon vous ?

Faire une loi, cela ne coûte rien. Le gros problème de la Justice est un problème de financements. La France, à ce niveau, est dans les derniers pays d’Europe. À titre de comparaison, le budget du système judicaire en euro par habitant, en 2018, était en Allemagne de 131,20 euros, tandis qu’en France il était de 69,5 euros. Sur des pays tout à fait comparables, on a un sous- financement chronique de la Justice. Ce n’est pourtant pas faute, et pour les syndicats de magistrats et pour les avocats ou les greffiers, de le rappeler très régulièrement.

Au regard de tous ces éléments, est-ce un atout d’avoir un avocat comme Garde des Sceaux ?

On a tout d’abord été très surpris quand sa nomination a été annoncée, une bonne surprise. Dans la pratique, on attend d’en ressentir les effets. Il y a par exemple un volet dans la réforme de la Justice qui concerne la procédure disciplinaire, pas seulement pour les avocats d’ailleurs, mais aussi les huissiers, les greffiers, les notaires… Ce projet prévoit d’instaurer dans la composition disciplinaire, qui a vocation à se pencher sur les errements des avocats, des magistrats. Alors que jusqu’à maintenant, c’était une matière exclusivement jugée par les avocats, au niveau régional. Il n’est pas impossible qu’il y ait une mobilisation sur ce sujet. D’où l’utilité des conseils de l’ordre qui se prononcent sur des projets de loi, en adoptant une position commune.

On a souvent l’impression qu’il y a une querelle entre les magistrats et les avocats…

C’est une question d’indépendance en réalité. On ne peut pas vouloir se prévaloir, à juste titre, d’une indépendance de notre profession et aller à l’encontre de celle-ci.

D’autres sujets ont-ils suscité des inquiétudes ?

Il y a eu la question du statut salarié des avocats d’entreprise. Si on accepte les avocats en entreprise qui sont soumis au pouvoir de leur employeur, personne privée, ce ne sont plus vraiment des avocats. C’est un peu du passé maintenant, car la profession est montée au créneau, mais en début d’année, le Garde des Sceaux avait remis sur la table le fait de créer un statut d’avocat salarié en entreprise. Cela devait être des juristes avec le statut d’avocat mais qui en fait n’auraient eu qu’un seul client, leur employeur duquel ils auraient été salariés, avec un lien de subordination. Ils n’auraient eu d’avocat que le titre. Cela a été combattu vivement par tous les ordres de France, sauf celui de Paris. Le Garde des Sceaux a, au final, renoncé à présenter ce projet.

Parlons actualité. Comment le Covid a-t-il impacté la pratique de votre profession ?

Comme dans beaucoup de métiers, il y a eu un usage élargi de la visio-conférence, avec les clients notamment. Ça a été une conséquence du confinement avec un coup d’accélérateur sur ces pratiques. Mais selon les clients concernés, il faut s’adapter et puis cela ne remplace pas le lien direct avec le client. Pour autant, il faut aller vers le numérique. On a déjà beaucoup numérisé la manière d’aller vers les procédures. Dans une grande majorité des juridictions, tribunaux judiciaires, cours d’appel, on ne peut faire falloir ses actes de procédure, communiquer ses pièces que par ce que l’on appelle le RPVA (Réseau privé virtuel des avocats) qui est connecté au RPVJ (Réseau virtuel privé des juridictions). Les notifications se font déjà de manière numérique.

En 2021, y a-t-il des travaux particuliers que vous allez mener ?

La juridiction de Châlons est très attachée à la défense des femmes victimes de violence. L’ordre de Châlons s’inscrit complétement dans cette politique et on y participe, que cela soit au travers des consultations ou des ordonnances de protection. On peut saluer le travail mené par Madame Picoury, présidente du tribunal judiciaire et Madame Mahuzier, Procureure qui ont œuvré de manière très active sur le sujet.