Thierry BoschRêver demain

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Passionné de science-fiction, cet enseignant-chercheur en électronique de l’INP-Enseeiht a dirigé une anthologie de nouvelles consacrées à ce genre, commandée – et appréciée – par son laboratoire, le Laas, pour fêter ses 50 ans.

«À 10 ans, sur mon carnet de notes, il était écrit que je voulais être chercheur », se souvient Thierry Bosch en souriant. Alors certes, plus tard, vers 16 ou 17 ans, l’adolescent s’est rêvé comme tant d’autres « rockstar ou footballeur ; mais très vite, je suis revenu à ma ligne conductrice ». Ce sera la science – la dure, la vraie, même si cet enseignant-chercheur en optoélectronique confesse avoir eu, pourtant après un bac scientifique, une aventure avec la science… politique. « Une erreur de parcours, se défend-il aujourd’hui. Ça a très mal marché ! ». Retour donc quelques jours plus tard sur sa terre de naissance, à Pau, pour une licence et un master 1 en sciences physiques, qu’il complétera d’un master 2, puis d’une thèse à Toulouse.
Rien d’étonnant, d’ailleurs, venant du fils d’un technicien supérieur en électronique, et du petit-fils d’un professeur de mathématiques. Néanmoins, plus que l’élégance des équations, il semble que ce soit la science-fiction, et en particulier Star Wars, qui ait décidé de sa future carrière. « J’ai toujours été attiré par l’espace, et je pense que l’épée laser du film a fortement influencé ma spécialisation ultérieure », explique Thierry Bosch – et ce, malgré les incohérences qui le heurtent encore aujourd’hui aussi bien en tant que scientifique que comme passionné de science-fiction.

Spécialiste du genre depuis des dizaines d’années, lui-même auteur de quelques nouvelles, ami d’écrivains et éditeurs de cette « littérature de l’imaginaire » – dont le célèbre Pierre Bordage, qui fut récompensé à plusieurs reprises pour son cycle de romans Les Guerriers du silence – Thierry Bosch déteste par-dessus tout « les bourdes énormes, comme quand des gens se parlent à travers le vide. Je peux admettre qu’on fasse des hypothèses farfelues à partir d’une base sérieuse, mais quand tout le monde sait que le son ne se propage pas dans le vide… là, ça me dérange ». Autre bête noire : l’ennui. « Pour moi, la science-fiction est une lecture de distraction. Du coup, même si j’accepte que le rythme d’un roman puisse être lent, il n’y a rien de pire qu’un space opera ennuyeux ! » C’est pourquoi il déteste « l’absence de sidération, ce que les Américains appellent “the sense of wonder”. La SF est une littérature d’idées ; et s’il n’y a pas une idée originale dans le texte, ma foi, cela perd une bonne partie de son intérêt… ». Lui-même confesse d’ailleurs préférer « les récits en 100 ou 200 pages, avec une idée centrale et percutante et des personnages qui tiennent bien la route, plutôt que les cycles de romans en 15 volumes de 500 pages », façon Le trône de Fer de George R.R. Martin, qu’il n’a pas réussi à lire.

Quant à ce qu’il aime, Thierry Bosch se dit avant tout un fan « du merveilleux scientifique » qui imprègne les romans « de Jules Verne et de ses “clones”». Même si dans ces livres, tempère aussitôt le scientifique, « les auteurs partaient d’un postulat totalement farfelu. Aujourd’hui, plus personne n’oserait écrire un truc pareil, car ça n’a ni queue ni tête sur le plan scientifique ! Mais pour l’époque, c’était plausible ». Ce qui explique peut-être, au XIXe siècle, le premier âge d’or de la science-fiction ; qui plongea après, à partir des années 1920, dans une ère de moque- ries et de mépris, « la SF étant considérée dès lors comme une littérature pour adolescents prépubères ou attardés. Une étiquette qui s’est créée aux États-Unis, à cause des livres de poche – les fameux pulps – et des magazines » sensationnalistes aux récits écrits à la va-vite, peuplés de pin-ups en détresse que d’éternels bodybuilders venaient sauver de l’avidité d’extraterrestres forcément envahisseurs et/ou libidineux. Résultat : à ce moment-là, « la SF a beaucoup perdu en crédibilité… et beaucoup gagné en lectorat ! », reconnaît en riant Thierry Bosch. « Donc pendant longtemps, ça a été compliqué de se déclarer à la fois scientifique et amateur de science-fiction ! ».

Heureusement, les temps ont changé ; au point que même des institutions publiques comme l’Agence spatiale européenne (Esa) ou l’armée française font maintenant appel aux écrivains pour, comme dirait Thierry Bosch,
« rêver demain ». C’est pourquoi, quand la direction de son laboratoire toulousain du CNRS, le Laas (Laboratoire d’analyse et d’architecture des systèmes, spécialisé dans l’informatique, la robotique, l’automatique, ainsi que dans les micro et nanosystèmes) a lancé en 2017 un appel à idées pour fêter son cinquantenaire l’année suivante, « je me suis dit que je proposerais une anthologie de science-fiction… et que je verrais bien comment les gens réagiraient ! Et j’ai été très agréablement surpris, car l’accueil a vraiment été enthousiaste ». L’idée est simple : demander à des auteurs de science-fiction de rencontrer des chercheurs du Laas et de s’inspirer de leurs travaux pour écrire une nouvelle. Chacune, dans l’ouvrage, étant suivie « par un article écrit par l’un des chercheurs, ce qui permettait d’avoir le rêve et la réalité, la prospective et l’état actuel des recherches », explique Thierry Bosch, qui a reçu pour l’occasion l’aide de son ami, l’ingénieur aéronautique et auteur de science-fiction Jean-Claude Dunyach.

15 mois plus tard, le livre de 328 pages, intitulé Dimension Technosciences @venir et comprenant neuf nouvelles – dont une de Pierre Bordage – paraît en octobre 2018, publiée par la maison d’édition Rivière Blanche (basée à Pamiers), juste à temps pour le jubilé du Laas. Pourtant, lorsque le projet a démarrée en juillet 2017, « nous avions le temps ; mais dès le départ, nous savions pertinemment que les auteurs et les scientifiques seraient en retard… et nous n’avons pas été déçus ! Il a fallu faire des relectures de nuit, et on a bouclé l’anthologie en urgence ». À l’arrivée, un laboratoire ravi, des auteurs qui demandent déjà à remettre cela, et même « un collègue scientifique qui m’a demandé de lui envoyer un exemplaire de l’anthologie, car il voudrait convaincre sa direction de faire la même chose ! », sourit Thierry Bosch. Pour lui, « cela reste une expérience très riche. Les ventes sont plutôt bonnes : déjà plusieurs centaines d’exemplaires, ce qui, pour un livre de ce type, avec un éditeur qui n’a pas de réseau de distribution sauf en librairie spécialisé, est plutôt un bon résultat ! »

Quant aux auteurs, ils ont apparemment apprécié la manière dont ils ont été accueillis, et tous ont été payés. Une rétribution des écrivains moins anecdotique qu’il n’y paraît, car « aujourd’hui, c’est très dur de vivre de sa plume, surtout en science-fiction. Mieux vaut faire du roman policier ! » Thierry Bosch, lui-même, n’imagine pas abandonner un jour sa carrière d’enseignant-chercheur à l’Enseeiht pour celle d’auteur de science-fiction. Quant à savoir si ses lectures lui ont déjà donné des idées de recherche, il est catégorique : « la science-fiction ne m’a jamais inspiré d’idée dans mon travail ; elle me donne plutôt un état d’esprit. Même s’il y a bien des idées que j’aimerais lancer, mais je me suis rendu compte que ce serait à très, très long terme, parce qu’on n’est pas forcément prêts techniquement. C’est tellement prospectif, certains problèmes sont tellement complexes, que je ne me sens pas prêt intellectuellement à m’y attaquer ! »

Pour autant, « mon métier, c’est de la science-fiction car il faut rêver demain. Le fait d’être amateur de SF, ce dont je ne me suis jamais caché, m’aide probablement à garder l’esprit ouvert » dans son domaine, qui est l’interférométrie laser. Plus précisément, Thierry Bosch travaille depuis bientôt 30 ans à développer des capteurs laser de plus en plus petits et simples, afin que l’industrie, et en particulier les PME, puissent faire du contrôle de qualité des pièces mécaniques – qui vibrent ou tournent – à moindre coût, et grâce à des capteurs toujours plus nombreux. Des systèmes pour lesquels il n’imaginait pas qu’un jour, dans une conférence, des chercheurs venus d’autres disciplines viendraient le voir pour les appliquer à la détection de séismes, de cancers de la peau ou pour comprendre le très simple, très performant, mais pourtant encore mystérieux système auditif du criquet… pour en faire demain, qui sait, des prothèses auditives encore plus performantes. Preuve, pour Thierry Bosch,
« qu’il faut garder l’esprit ouvert, et écouter les gens », même si leurs propos paraissent au départ farfelus ; et ce, qu’ils soient chercheurs ou écrivains de science-fiction.

Parcours

1965 Naissance à Pau.
1983 Bac scientifique.
1992 Passe sa thèse en électronique à l'université de Toulouse 3 Paul-Sabatier.
1993 Enseigne à l'École des Mines de Nantes, où il créé le groupe Instrumentation et Capteurs Optoélectroniques.
2000 Revient à Toulouse pour enseigner à l'Institut national polytechnique (INP) de Toulouse.
2018 Publication de l'anthologie de nouvelles de science-fiction qu'il a dirigée pour le Laas.