Le discours d’Emmanuel Macron, prononcé le 14 juin dernier, esquisse une nouvelle ligne économique, post-Covid. « Le pacte productif » appelé de ses vœux annonce une volonté forte de retour à une indépendance de nombreux secteurs de production. De quoi faire réagir les acteurs locaux.
Il y avait des accents gaullistes dans le dernier discours d’Emmanuel Macron… Alors que le Président est régulièrement dépeint par l’aile gauche du Parlement comme un « ultra libéral », les orientations dessinées le 14 juin dernier, à quelques jours de l’anniversaire des 80 ans de l’Appel du 18 juin, appellent un retour à l’État Providence afin de « retrouver une indépendance économique et industrielle ». La crise sanitaire du Covid-19 a en effet mis en lumière les failles de l’État concernant sa dépendance vis-à-vis des entreprises étrangères, notamment en matière de santé, avec comme exemple manifeste celui des masques chirurgicaux. La dernière entreprise nationale de production de masques, l’ex-usine Spérian de Plaintel (Côtes d’Armor), a fermé en 2018. Interrogé par Le Monde, son ancien patron Roland Fangeat parle « d’un gâchis sanitaire et industriel. (…) L’entreprise a agonisé, alors qu’on comptait encore 200 employés en 2017 », confie-t-il. Paradoxalement, au plus fort de la crise, ce sont des dizaines d’entreprises françaises qui ont pris le relais en réorientant une partie de leur production en urgence pour palier ce manque (voir numéros 7863 et 7865).
« Il faut créer de nouveaux emplois en investissant dans notre indépendance technologique, numérique, industrielle et agricole. Par la recherche, la consolidation des filières, l’attractivité et les relocalisations lorsque cela se justifie. Un véritable pacte productif », a ainsi asséné Emmanuel Macron. Ce discours de soutien à l’outil de production national ravit en premier lieu les syndicats, même s’ils attendent des actes forts. « La feuille de route du Président va dans le bon sens si cela va dans celui d’une réindustrialisation du pays que nous appelons de nos vœux depuis de nombreuses années », indique Jean-Pierre Langlet, responsable CGT Grand Est.
CONFÉRENCE SOCIALE
Justement, la semaine dernière, se déroulait la Conférence sociale en Grand Est, à laquelle participaient la plupart des organisations syndicales. Initiée par la Région, l’objectif est de renforcer et promouvoir le dialogue social pour favoriser la relance de l’activité et atténuer les effets de la crise économique et sociale. Objectif d’autant plus important dans cette partie de la France, traditionnellement très industrielle et qui a vu fermer ces dernières années plusieurs fleurons.
« Nous avons déposé deux grands documents dont un qui appelle à la réindustrialisation du territoire. Car par exemple, tout le monde parle de l’électrique. Un plan automobile a même été fait dans ce sens. Sauf qu’en France, il n’y a aucune usine qui produit des batteries ! » insiste Jean-Pierre Langlet. L’élu CGT explique ainsi que « la formation doit désormais faire partie des priorités afin d’éviter un maximum de licenciements. » Concernant l’évocation de « travailler et produire davantage pour ne pas dépendre des autres », le responsable syndical avertit : « Éviter les licenciements ne doit pas non plus dire travailler plus ou baisser son salaire. Il n’y a pas que le coût du travail à prendre en compte mais également celui de tous les coûts externes. » Sur la question de la réindustrialisation, Bruno Arcadipane, président du MEDEF Grand Est, a une analyse bien différente. S’il reconnait un discours « résolument optimiste et tourné vers l’avenir », pour lui, « le retour à la reprise ne pourra se faire que sous certaines conditions : il va falloir travailler et produire davantage, mais cela ne sera pas possible de retrouver une indépendance si l’on reste écrasé par les normes et multiples réglementations. Nous n’avons plus d’agilité et de liberté d’entreprendre. » Pour étayer son propos, Bruno Arcadipane cite en exemple le modèle allemand, qui a réagi de manière très différente à la crise économique induite par la crise sanitaire. « Nous sommes le pays qui a freiné le plus fort et repris le dernier. Nous devons nous mettre à égalité avec les pays frontaliers. Quand en Allemagne on supprime les charges des entreprises, nous, on les étale. On doit absolument s’inspirer de ce qui se passe ailleurs. »
LA RÉGION COMME « BONNE ÉCHELLE »
Depuis le début de la pandémie, l’État a mobilisé 500 milliards d’eu- ros dont 300 milliards de prêts garantis par l’État (PGE). Comme son nom l’indique, le PGE est un « prêt » et l’argent avancé devra être remboursé. Et pour le président du MEDEF Grand Est, c’est là que réside le plus grand risque pour les deux années à venir : « Il y a trois grands rendez-vous qui se profilent : le premier est celui des mois de septembre et octobre, car quand on perd de l’argent au quotidien, est-ce que l’on est capable de survivre plusieurs mois ? Le deuxième est celui de mars / avril avec les échéances de remboursement PGE. Aujourd’hui, les entreprises sont sous morphine, quelles sont celles qui vont pouvoir rembourser ? La troisième échéance est celle de la rentrée 2021, où à mon sens, il risque d’y avoir la vague la plus forte. »
Pour Emmanuel Macron, retrouver une indépendance économique, ne pourra s’effectuer sans obéir à sa célèbre maxime du « en même temps » : celle d’une prise de décision à l’échelle locale, la crise du Covid ayant démontré que la gestion de l’épidémie ne pouvait être appréhendée de la même manière dans le Grand Est ou en Nouvelle Aquitaine, mais aussi grâce à une gestion à l’échelle européenne. « La Région c’est la bonne échelle », note Bruno Arcadipane. « Elle a prouvé, avec les prises de décision du Président de Région mais aussi des corps intermédiaires, qu’elle était en mesure d’apporter des réponses très concrètes. »
PROMOUVOIR L’AGRICULTURE FRANÇAISE
Les Français ont, le temps de la pandémie, retrouvé le chemin de la proximité dans l’achat de leurs denrées alimentaires. Retisser un lien avec le consommateur est d’ailleurs la priorité des agriculteurs aujourd’hui, à grand renfort de campagne de communication. Depuis la semaine dernière, 260 banderoles sont déployées dans les champs sur le territoire marnais, au bord des routes nationales et départementales avec comme slogan « Votre alimentation commence ici ». « Le discours du président de la République répond à nos attentes », indique Hervé Lapie, président de la FDSEA 51 et de la FRSEA Grand Est. « Mais nous attendons plus. Nous avons besoin de moins de contraintes. Entre le prix au kg de la fraise espagnole et française, on passe du simple au double. Il nous faut une harmonisation européenne, au niveau des normes sanitaires et du coût du travail. Ce n’est pas normal de pouvoir retrouver à Rungis un poireau français non traité car l’insecticide est interdit en France et un autre belge traité car c’est autorisé. »
C’est pourquoi l’Europe, que cela soit au niveau du coût du travail, des normes environnementales ou des importations est une question centrale. « Pour créer de l’emploi, il faut produire et relocaliser la production chez nous. Ça fait des années que l’on se bat pour cela. En 10 ans, la France a augmenté les importations de légumes de 50 % et de fruits de 60 %. » Tout comme les syndicats d’entreprises, la FDSEA attend « des actes forts ». Là encore, le plan automobile revient dans les discours. « On nous parle de l’électrique, mais on peut aussi axer sur le végétal, le bioéthanol, et nous, agriculteurs pouvons participer au rebond écologique. » L’alimentation, l’énergie, mais aussi la santé. « Avec le pavot, on peut produire de la morphine », révèle Hervé Lapie. L’agriculture française a donc de grandes capacités pour fournir la matière première à de nombreux secteurs.