Rentrée chargée pour l’intérim

(Pixabay)

Taxation des contrats courts, mise en place des opérateurs de compétences, nouveaux organismes pivot en matière de formation professionnelle, réforme de l’assurance-chômage, ubérisation du travail… Après un été déjà très occupé, les agences d’intérim et leurs représentants ne manquent pas de travail pour les prochains mois.

Dans un monde du travail en pleine mutation, l’intérim serait-il en passe de représenter une forme de stabilité, voire de sécurité ? C’est au moins le discours de Prism’Emploi, principale organisation représentative de la profession (plus de 600 entreprises adhérentes représentant plus de 6 000 agences d’emploi) qui, sur plusieurs dossiers, défend les avantages d’une forme d’emploi « impeccable au plan juridique », selon l’expression de la déléguée générale Isabelle Eynaud-Chevalier, au micro de nos confrères de France bleu Gironde le 21 juin dernier.
Le président de Prism’Emploi, Gilles Lafon, s’est exprimé début juillet dans Les Échos sur le premier sujet. La réforme de l’assurance-chômage met en place un dispositif de bonus-malus sur la cotisation patronale d’assurance-chômage, dans les secteurs qui concluent le plus de contrats courts, résume-t-il. Si le but est de lutter contre les contrats à durée déterminée d’usage (CDDU), pourquoi pas, assume-t-il, tant à ces yeux ce type de contrat, « renouvelable sans limite et qui ne donne pas droit à une indemnité de fin de mission », présente de nombreux travers. Mais l’utilisation du dispositif de bonus-malus « est bien plus contestable ». Et de détailler comment « la notion de contrats courts, c’est-à-dire de moins d’un mois, reflète des réalités très diverses, englobant tout à la fois CDD « classique », CDD d’usage et contrats d’intérim. Considérer ces différents contrats comme un ensemble homogène constitue une erreur de diagnostic majeure ! » Et de dénoncer la croissance exponentielle des CDD de moins d’un mois (+ 140 % depuis 2003) comparée à celle du nombre des contrats d’intérim (+ 39 %). Les CDDU représentaient en 2015, selon les chiffres de l’agence centrale des organismes de sécurité sociale (Acoss), une embauche sur cinq, tandis que c’est trois à quatre sur cent pour l’intérim.

Selon le syndicat professionnel, le régime de bonus-malus devrait « accroître le coût du recours aux contrats courts et à l’intérim pour les employeurs », ce qui « pourrait également favoriser des formes d’emplois beaucoup moins protectrices, voire se situant hors du salariat ». Gilles Lafon cible ici « certaines plateformes numériques », qui « détournent le statut de micro-entrepreneur », précise Isabelle Eynaud-Chevalier. Un statut initialement conçu pour représenter « le nouveau visage du travailleur indépendant, autonome, fixant le prix de ses prestations, libre de piloter son activité », mais aujourd’hui utilisé par des sites qui, de fait, déterminent les prix des prestations, assure la déléguée générale. « Les étudiants sont les premières victimes de ce phénomène. Digital natives, ils adorent ces interfaces ludiques qui leur promettent monts et merveilles, et sont trop peu informés sur les questions de protection sociale et d’accidents du travail ».

« Gare au faux travail indépendant », résume Gilles Lafon. À ses yeux, la priorité législative devrait plutôt être « de lever tous les obstacles juridiques qui subsistent encore, afin de favoriser la transformation des contrats de travail temporaire en CDI intérimaire (CDII) chaque fois que c’est possible ». Un plaidoyer pro domo compréhensible, mais qui n’est pas partagé par la plupart des syndicats de salariés, vent debout contre ce CDII. À Force Ouvrière, on estime qu’il « place les intérimaires dans une totale précarité, sans aucune protection inhérente au CDI traditionnel : pas d’indemnité de fin de mission, période d’intermission où le salarié doit se tenir à la disposition de l’agence, obligation d’accepter des missions, même bien moins rémunérées et/ou plus loin du domicile de l’intérimaire, etc. ». Prism’Emploi n’en maintient pas moins que la stratégie est bien de tirer la profession vers le haut. En témoigne l’importance accordée ces derniers mois à la mise en place de l’Opérateur de compétence (Opco) des services à forte intensité de main-d’œuvre, dans le cadre de la réforme de la formation professionnelle. Créé en mars dernier, il réunit 32 branches, 220 000 entreprises employant 3,5 millions de salariés. Il réalise 1,17 Md€ de collecte, ce qui en fait l’un des deux Opco les plus importants.

Les négociations ont été serrées pour refondre la carte des 20 organismes paritaires collecteurs agréés (Opca) en 11 Opco pour en faire, selon le ministère, « l’instrument d’une simplification profonde du fonctionnement et du financement de la formation professionnelle ». Une simplification qui ne sautait pourtant pas aux yeux des délégués de Prism’Emploi : les négociations s’étaient au départ engagées autour des branches rassemblant le travail temporaire, la propreté et la sécurité, aux problématiques d’emplois plutôt comparables. Le gouvernement a souhaité agréger 29 autres branches, aux cultures parfois assez éloignées (commerce, assurance, santé, presse, artisanat, industrie, construction, transport…), ce qui a compliqué les négociations. Alain Huninik, délégué CFE-CGC Intérim, trésorier du bureau de l’Opco et président du Fonds d’assurance formation du travail temporaire (Faf TT), voit dans ces empoignades préliminaires les germes d’un fonctionnement apaisé. Valérie Sort, directrice de l’Opco, confirme : « lorsque nous sommes arrivés à l’assemblée constitutive du 1er avril, toutes les discordances politiques avaient pu s’exprimer et ne restaient devant nous que de sujets opérationnels et stratégiques ». Le premier d’entre eux étant la continuité des services, qu’il s’agit de garantir malgré les bouleversements apportés par la loi. Le second est l’immense chantier de la fusion progressive des 32 cultures en un seul Opco. L’été a permis de réaliser une série d’audits financier, social, organisationnel de chaque branche, afin de pouvoir les fondre dans une même organisation. Des groupes de travail thématiques sont lancés. Au final, chacun espère apprendre des autres. « Nous savons travailler sur le développement des compétences de bas niveau, explique Alain Huninik, mais nous n’avons jamais travaillé à la création d’un titre professionnel, d’un certificat de qualification professionnelle ou d’un diplôme ». L’intérim, une profession comme une autre ?

Philippe Claret pour Réso Hebdo Eco
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L’INTERIM MARQUE LE PAS
Seuls les services et le BTP ont vu leurs effectifs progresser


Au premier semestre 2019, l’emploi intérimaire a diminué de près de 4 % en France (-3,9 % précisément). Par rapport à la même période de 2018, cela se traduit par une baisse d’environ 30 000 emplois en équivalent temps plein. Cette baisse intervient à la suite de quatre années consécutives de développement, au cours desquelles 280 000 emplois intérimaires ont été créés. S’agit-il d’un renversement de tendance ou d’une conséquence de la montée en puissance du « nouveau » – il date tout de même de 2014 – contrat à durée indéterminée intérimaire (CDII) ? Il s’en est en effet signé plus de 25 000 au cours de ce même premier semestre 2019, ce qui pour le moins relativise la baisse affichée. À fin juin 2019, on en comptait 66 100, alors qu’en janvier Pôle emploi comptabilisait 847 200 travailleurs intérimaires. Un chiffre alors en hausse de 3,1 % sur un an.
Plus que de baisse, il faudrait parler de stabilité. Qu’en déduire sur la conjoncture globale ? Même si les spécialistes ont coutume de dire que l’intérim constitue un indicateur avancé de l’emploi, il n’est jamais simple de prédire les infléchissements qu’il annonce. Seuls les secteurs des services (+4,2%) et du BTP (+8%) voient leur nombre d’intérimaires progresser sur le semestre. L’industrie est en repli de 7,8 %, le transport et la logistique de 11,6 %. La situation est plus contrastée pour le commerce, en très léger repli de 0,2 %, sans doute à cause de comportements de consommation impactés par la crise des Gilets jaunes. Seuls les cadres et professions intermédiaires tirent leur épingle du jeu. Leur nombre progresse de 2,1 % sur le semestre, tandis que les populations d’employés, d’ouvriers qualifiés et non qualifiés sont en repli (respectivement de 4,8 %, 5 % et 4,8 %). Sur la carte de France, seuls la Bretagne et Provence-Alpes-Côte d’Azur enregistrent un développement (+1,1 %, +0,7 %) du recours à l’intérim. Des dix autres régions en repli, Auvergne Rhône-Alpes est celle qui se défend le mieux, (-1,5 %) devant l’Ile-de-France (-2,1 %), et loin devant Centre Val-de-Loire (-10 %) ou Bourgogne-Franche-Comté (-8,6 %).