Réinventer le festival

Pierre Garrigues, le président du festival MAP.

Alors que théâtres, salles de spectacles et lieux de culture ont fermé leurs portes du fait du confinement, comment les artistes vivent-ils ce temps suspendu? La Gazette du Midi a posé la question à Pierre Garrigues, le président du festival MAP dédié à la photographie contemporaine.

Créateur du festival de la photographie MAP au cœur de la Ville rose depuis 2008, un événement qui reçoit 30 000 visiteurs par an, Pierre Garrigues a à cœur de soutenir les photographes qui éclosent en jouant le rôle de facilitateur et milite pour le respect des droits d’auteurs.

Directeur et fondateur de l’agence de communication PGO, Pierre Garrigues revient sur son choix de créer l’E-MAP, une version du festival adaptée à cette période de confinement et nous livre les orientations de cette édition toute particulière ainsi que ses inspirations qui le nourrissent au fil du temps.

Alors que l’ensemble des festivals sont annulés, comment avez-vous tenu le pari de réinventer le MAP dans un délai si court ?

Le jour où l’équipe et moi-même devions acter l’annulation, j’ai pris le parti d’annoncer que le festival aurait lieu. L’équipe, ravie, a tout mis en œuvre avec une capacité d’adaptation extraordinaire pour créer cet e-festival, une édition inédite, et relever ce challenge fou. Nous nous sommes réinventés très rapidement et nous avons, en plus, décidé d’avancer ce nouvel événement d’un mois, le festival étant normalement prévu pour fin mai, afin d’apporter de la joie au sein des foyers pendant cette période de confinement et de maintenir nos engagements vis-à-vis des artistes, ce qui me tient à cœur. Nous devions cette année investir le cinéma UGC chargé d’histoire pour les Toulousains, comme tous les ans où nous donnons une dernière âme à un lieu avant sa transformation et dans lequel nous adaptons notre programmation, c’est ce qui fait aussi notre ADN. Cette année, nous avons lancé une chaîne Youtube et appréhendé davantage les outils numériques pour décliner le festival sur notre site et les réseaux sociaux. L’idée était de proposer au public chaque jour un nouveau photographe et son exposition à travers une vidéo, et de maintenir le Marathon Photo, sur le thème du confinement. Nous avons eu 1 116 participants au lieu des 300 annuellement. Et nous ferons bien sûr une soirée de clôture réunissant physiquement tous les artistes de cette édition mais la date n’est pas encore fixée.

Comment les neuf artistes de cette édition inédite ont-ils réagi ?

Ils ont tous accepté de réaliser une vidéo selfie pour expliquer leur démarche et commenter leur propre exposition. Ce qui est plus enrichissant pour le public qui prend ainsi réellement la mesure du travail réalisé et des conditions dans lesquelles l’artiste a porté son regard sur le monde. En effet, lorsqu’on ne connaît pas l’histoire de l’œuvre, on peut vite passer à côté. Alors qu’ici, le spectateur devient acteur face aux photographies. Chaque vidéo fait ressortir une sincérité forte et aussi une sincérité du moment traversée par l’artiste dans cette période difficile. À travers leurs vidéos, les photographes se sont en quelque sorte mis à nu.

Quelle est votre feuille de route et votre parti pris artistique ?

On défend les jeunes talents, car entre vouloir être photographe et en vivre, il existe souvent un fossé. Tous les ans, nous proposons un Grand prix MAP avec le conseil départemental qui représente une bourse de 4 000 € et permet à l’artiste de mener son exposition. Pour cette édition, nous sommes également partenaire du festival Les Rencontres photo de Tanger « Face à la mer » pour lequel l’artiste recevra son prix malgré la situation.

Nous privilégions la diversité et une programmation éclectique à chaque édition. Nous souhaitons de fait toucher autant les amateurs de la photographie que le grand public et cela se ressent à travers le fil conducteur de notre exposition : nous entamons le festival avec un sujet qui fédère pour mener ensuite le public vers une photographie plus intime. Cette année, nous avons ouvert l’E-MAP avec Boby Allin, qui immortalise la vie des rappeurs les plus connus de Toulouse, Bigflo et Oli. Nous avons également mis en avant le travail de Derek Hudson, avec une sélection de photographies du Festival de Cannes commandées par Le Monde à la fin des années 90, des portraits classiques mais parfaitement maîtrisés. Nous avons également mis en lumière le travail de Céline Croze, qui nous plonge sans détour dans l’univers des cartels vénézueliens et leur réalité crue ou encore celui d’une jeune artiste française de plus en plus connue, Lucile Boiron, qui interroge la vérité biologique des corps. L’E-MAP propose aussi une exposition plus engagée, autour du travail mené par Guillaume Binet pour les 40 ans d’Action contre la Faim.

Quel est le photographe qui vous bouleverse le plus en général ?

Saul Leiter. Pour moi, cet immense photographe américain est le maître de la street-photography, un courant que j’affectionne particulièrement. Quand je vois ses photos, cela me ramène aussi à un moment intense de ma vie. Le MAP lui a consacré une exposition en 2014, et il est décédé peu avant l’édition. J’apprécie aussi Richard Dumas, un portraitiste rennais qui a exposé en 2015. C’est un grand artiste, un guitariste qui participe à plusieurs groupes de rock et un bon vivant, ouvert sur le monde. Il sait parfaitement raconter l’histoire de ses portraits iconiques du monde des arts et de la culture, des moments de vie qu’il a partagés avec les artistes. Nous avions d’ailleurs envisagé de faire écouter ses parenthèses de vie au public pour accompagner les photos lors de l’exposition, ce qui n’a pas pu être réalisé mais c’est un élément que j’ai voulu faire ressortir à travers les vidéos de cette année.

Que lisez-vous actuellement ou quel auteur conseillez-vous ?

Paulo Coelho, un romancier que j’apprécie pour les valeurs qu’il défend et sa plume, vraie et intime.

Sinon actuellement, je lis de nombreux articles philosophiques pour comprendre le monde dans lequel nous évoluons et celui qui nous attend demain. À côté, je continue de me nourrir de livres photographiques.

Quelle musique vous détend ?

J’écoute beaucoup la pop française telle que les artistes Clara Luciani et Christine and the queens, le hip-hop comme le groupe américain The Roots ou le jazz, qu’il soit ancien ou récent. Entre autres, Aretha Franklin qui me met de bonne humeur pour la journée ou encore Nina Simone. Mais, en général, je dévore la musique et sa diversité.