Maire d’Epernay et vice-président du Conseil régional du Grand Est, Franck Leroy présente les enjeux du déploiement du très haut débit dans les territoires ruraux. Entretien.
En votre qualité de vice-Président de la Région Grand-Est, vous êtes en charge notamment de la cohésion territoriale. À ce titre vous êtes fortement impliqué dans le déploiement de la fibre optique. Que peut-on en dire aujourd’hui ?
Franck Leroy : « Il faut rappeler que les opérateurs privés sont en charge du déploiement de la fibre optique dans les territoires urbains qu’on appelle « zones AMII » ; que pour les autres territoires, essentiellement ruraux, il appartenait aux départements de construire des Réseaux d’Initiative Publique (RIP), financés sur fonds publics et européens.
La création de la Région Grand Est a tout changé. Sous l’impulsion de Philippe Richert, elle a pris le dossier du Très Haut Débit « à bras le corps » dès sa création, proposant aux départements de prendre la main sur le sujet afin de construire le plus grand RIP de France. Les résultats ont dépassé nos espérances parce que ce Réseau d’Initiative Publique XXL a attiré les convoitises du secteur privé qui a proposé d’en financer l’essentiel du déploiement dans le cadre d’une Délégation de Service Public. Celle-ci a été attribuée à la société LOSANGE à des coûts très avantageux. De ce fait, la fibre optique est devenue accessible à tous les territoires, y compris les plus modestes, et ce, à un tarif imbattable pour les collectivités publiques.
Par exemple, la Communauté de commune de l’Argonne Champenoise qui avait été contrainte, dans un premier temps, de renoncer à la fibre optique compte tenu de son coût, a pu « revenir dans le jeu ». Comble de l’histoire, elle est aujourd’hui le premier territoire à bénéficier de la fibre optique ! ».
La fibre optique est-elle pour la Région un outil d’aménagement du territoire ?
« Bien sûr ! C’est la raison pour laquelle la majorité régionale a voulu la fibre optique partout et pour tous! Il était impensable, pour le Grand Est qu’une partie de ses territoires bénéficient du Très Haut Débit fixe et que les autres se contentent de simples montées en débit internet.
Ce choix ambitieux et novateur est aujourd’hui un marqueur de notre ambition pour les territoires. Le Grand Est est, en effet, la seule région de France à s’être fixé un tel niveau d’équipement, à savoir assurer le déploiement de la fibre au bénéfice de tous les foyers de la région (F.T.T.H. ou Fiber to the home) en commençant par les territoires qui disposent des débits les plus faibles en la matière.
C’est d’abord parce que nous considérons le numérique comme une évolution majeure de notre société. C’est ensuite au nom d’une politique d’aménagement du territoire qui refuse que se creuse un nouveau fossé entre les territoires. Nous prenons par conséquent le contrepied des décennies précédentes qui ont vu l’État abandonner progressivement les territoires ruraux ».
Prioriser le développement de la fibre optique dans les territoires ruraux, ce n’est effectivement pas banal. Est-ce à dire que vous croyez au développement de la ruralité ?
« On a coutume de dépeindre un monde rural condamné au déclin après des décennies marquées par la baisse du nombre d’actifs, la fermeture des commerces, la disparition des services publics, des services de télé- phonie mobile défaillants, des solutions de mobilité absentes, une démographie médicale inquiétante… Tout cela est malheureusement vrai. Ces évolutions expliquent largement le sentiment d’abandon que ressentent aujourd’hui les acteurs du monde rural. Mais le monde rural est toujours vivant et peut à nouveau nourrir des espoirs du fait des évolutions de la société.
La transition énergétique est une chance pour le monde rural qui, de plus en plus, produira les énergies renouvelables dont nous avons besoin. Ce sont les énergies de demain ! De même, les consommateurs se tournent aujourd’hui vers les filières courtes et vers le bio. Autant dire qu’ils voient différemment leur rapport à la nature environnante. C’est une chance pour les agriculteurs et pour de nouveaux entrepreneurs de la ruralité.
Grâce à l’arrivée de la fibre optique dans les campagnes, on peut également changer le cours des choses. La fibre optique garantit à chacun un débit internet illimité qui peut être une source d’opportunités dans une société qui se numérise de jour en jour. Or, beaucoup de solutions passeront demain par internet. Il est clair qu’on ne reconstruira pas le monde d’autrefois. Mais demain, le monde rural peut tirer profit de ces opportunités ».
Pouvez-vous illustrer votre propos ?
« Bien des problèmes auxquels se heurte le monde rural pourront demain être résolus grâce à la fibre optique. Le Président de la région Grand Est, Jean Rottner, en est totalement convaincu et sa vision de l’avenir intègre la révolution numérique. C’est ainsi que les actes de télémédecine ou médecine à distance sont désormais remboursés comme les autres. C’est un outil qui permet d’améliorer l’accès aux soins dans les zones fragilisées par une démographie médicale menaçante. On peut ainsi consulter des professionnels sans être contraint de faire de grandes distances. Dans le secteur d’Epernay et du sud-ouest marnais, les visites de la médecine du travail se font à distance depuis plusieurs années. Tout le monde y gagne : employeurs comme salariés.
Avec la fibre optique, on pourra accéder à l’université via internet. La fibre optique vous permet déjà d’accéder à des campus à l’autre bout du monde, d’y suivre des cours ou des MOOC, voire de valider des apprentissages. Autant dire qu’un jeune pour lequel l’éloignement de l’université est un obstacle pourra demain suivre l’essentiel de ses cours depuis son domicile. Il ne se déplacera que pour les partiels ou les examens. Reconnaissez que ça change tout pour des territoires qui souffrent de l’éloignement des établissements d’enseignement supérieur !
En matière de mobilité, l’avenir passe par le covoiturage et l’auto-partage qui seront demain accessibles à tous. Ces solutions impliquent l’existence d’applications internet nationales ou locales permettant de connaître les offres de mobilité « à l’instant t » sur le territoire.
Enfin – dernier exemple – la fibre optique va accélérer l’évolution vers le télétravail. Les salariés y gagneront en qualité de vie et en pouvoir d’achat. Les employeurs s’y retrouvent également ».
Pensez vous pour autant que les territoires ruraux peuvent retrouver une attractivité grâce à la fibre ?
« La fibre ne fera pas tout mais elle peut être un outil puissant pour y parvenir. Pensez aux acteurs touristiques du monde rural qui, aujourd’hui, galèrent du fait d’un débit internet insuffisant ! Pour eux, le Très Haut Débit est un soulagement. L’arrivée de la fibre peut également permettre à des entreprises de s’installer en milieu rural où le foncier est bien moins cher que dans les grandes agglomérations et où la qualité de vie est une réalité. Pas de bouchons, pas de pollution mais un contact direct avec la nature ».
Est-ce le message que vous avez voulu transmettre au Président de la République mardi dernier ?
« Exactement. Je lui ai décrit ces opportunités et lui ai indiqué que le monde rural avait de la ressource ; que ses acteurs étaient prêts à se mobiliser mais qu’on attendait un geste fort de sa part en faisant enfin de la ruralité une priorité nationale ».
Que vous a-t-il répondu ?
« Qu’il partageait totalement ma vision du monde rural et qu’il y aurait – pour reprendre ses termes – un « Pacte Rural » au sortir du grand débat. Il est trop tôt pour se réjouir. Il faut demeurer vigilant, mais je crois que des mesures significatives sont envisageables. Il est temps de sortir d’une vision passéiste de la ruralité et de construire les territoires ruraux connectés du XXIe siècle ! ».