Les invités du Club ForumEco ont débattu des enjeux de la réforme des retraites, mercredi 24 avril, en présence de Jean-Claude Barboul, président de l’Agirc-Arcco.
Faudra-t-il travailler plus longtemps demain pour obtenir une retraite décente ? Quels sont les grands enjeux pour assurer la pérennité du système tout en maintenant la solidarité entre les générations ? Alors que le Haut-commissariat à la réforme des retraites mène actuellement une concertation à la demande de l’État, Jean-Claude Barboul, président de l’Agirc-Arcco, régime de retraite complémentaire versant un quart des pensions en France, fait le point sur les perspectives de la réforme. Il insiste sur le besoin de lisibilité et rappelle le rôle important des partenaires sociaux dans l’organisation d’un système compréhensible et accepté par la population.
En versant près de 80 Md€ de pensions par an à quelque 13 millions de bénéficiaires, le régime de retraite complémentaire des salariés du privé Agirc-Arcco est un rouage essentiel du modèle de protection sociale français. L’organisme paritaire est présidé par Jean-Claude Barboul (représentant CFDT des salariés) qui souligne la pertinence de ce modèle piloté par les partenaires sociaux où le régime par répartition permet aux salariés et à leurs employeurs de verser les pensions des retraités actuels, dans une logique de solidarité intergénérationnelle. Dans ce système, les cotisations sont transformées en points de retraite de chaque salarié et la valeur de ces points est régulièrement renégociée par les partenaires.
320 MD€ DE PENSIONS DE RETRAITES EN FRANCE
En tant qu’acteur de la concertation pilotée par Jean-Paul Delevoye, Haut- commissaire à la réforme des retraites, Jean-Claude Barboul est donc bien placé pour définir les enjeux de la prochaine réforme. « 320 Md€ de retraites sont versées en France, il s’agit de la première dépense sociale du pays (14 % du PIB). À l’horizon 2030, le déficit du système français est maîtrisé avec une situation globale équilibrée, les gros déficits étant derrière nous », observe celui qui comprend que le sujet peut être épidermique pour les citoyens. Il se montre toutefois rassurant tant sur la méthode employée que sur les points qui semblent déjà acquis : « La concertation se termine fin mai, avec un rapport qui sera remis au gouvernement le 20 juin en vue d’un projet de loi qui entrera dans le processus législatif à l’automne ».
« REFONDER NOTRE PACTE SOCIAL »
Jean-Claude Barboul précise que « des lignes rouges et des engagements ont été fixés ». Concernant le symbole de l’âge légal de départ à la retraite de 62 ans, alors que l’espérance de vie progresse – « nous vivons en moyenne 26 ans à la retraite » – il estime qu’il faut prendre en compte cette tendance mais rappelle que l’âge de départ moyen effectif est déjà de 63 ans aujourd’hui. « Il faut donner de la souplesse et valoriser le départ plus tardif, mais il faut comprendre que les entreprises doivent aussi s’investir sur le maintien au travail des seniors. Ceux-ci sont aussi souvent des aidants familiaux qui ont besoin de temps pour s’occuper de leurs parents, par exemple ». Lors de son discours post-Grand débat national jeudi 25 avril, le président de la République Emmanuel Macron a de toute façon réaffirmé les 62 ans, tout en ouvrant la voie à une augmentation de la durée de cotisation et en annonçant une hausse des retraites les plus modestes.
Parmi les engagements du Président, Jean-Claude Barboul cite aussi le respect de l’équilibre financier, « le système de répartition réaffirmé », le plafond de revenu couvert (120 000 € annuels), le taux de cotisation de 28 % pour les salariés du privé et du public (part salariale et patronale), les droits familiaux accordés dès le premier enfant, les points accordés pour les aléas de la vie, le maintien des pensions de reversion, la fixation d’un minimum de pension, l’intégration des primes des fonctionnaires, la garantie des droits acquis à 100 %…
Ce qui fait dire au président de l’Agirc-Arrco que « le régime sera unifié mais en préservant certaines spécificités ». Cela ne signifiera donc peut-être pas la fin absolue des régimes spéciaux de certaines professions ou que le public et le privé seront parfaitement alignés. Interrogé par Michel Boulant, président de la Chambre de Métiers et de l’Artisanat de la Marne sur le cas des indépendants et des conjoints collaborateurs, Jean-Claude Barboul relève que « les indépendants ne souhaitent probablement pas avoir un niveau de cotisation de 28 % comme les salariés ».
650 000 nouveaux retraités par an
Selon les derniers chiffres publiés mi-2018 par le gouvernement, la France compte 15,6 millions de retraités. Ce nombre augmente toutefois de 650 000 par an. Actuellement, le pays compte 1,7 cotisant par retraité et dispose de 42 régimes de retraite différents. Le montant des pensions versées chaque année atteint 308 milliards d’euros. Le montant moyen de la pension brute est de 1 532 € par mois (1 392 € en 2010), avec un montant plus élevé pour les hommes (1 760 €) que pour les femmes (1322€). En pratique, 30 % des personnes prennent leur retraite avant 62 ans dans le régime général, 61 % partent entre 62 et 65 ans et 9 % après cet âge. Le minimum vieillesse est de 833 € mensuels pour une personne seule (1 293 € pour un couple). Il est perçu par 553 000 retraités. En 2020, le minimum vieillesse augmentera à 903 € par mois pour une personne seule (1 402 € pour un couple).
Source : www.reforme-retraite.gouv.fr
Face au vieillissement de la population (avec l’arrivée du papy-boom) et au besoin d’augmentation des pensions pour tenir compte du coût de la vie, il indique qu’une hausse de 1 % représenterait un coût annuel de 800 M€ pour l’Agirc-Arcco. « De près de 80 Md€ en 2019, nous devrions être à 122 Md€ en 2033 », estime le président. « L’idée est de refonder notre pacte social, pour apporter plus de lisibilité et de justice, tout en ayant la certitude que la génération qui cotise acceptera la charge des pensions de ceux qui sont à la retraite. Il ne faut pas avoir l’impression d’avoir une génération prédatrice ».
Christian Brethon, président du Medef Marne, apprécie l’idée de « pacte de confiance pour ne pas avoir de conflit de génération », mais il invite aussi à dire la vérité aux Français : « Le régime doit avoir de la solidarité et du contributif. L’indexer par rapport à l’espérance de vie ne paraît pas aberrant ». Le représentant patronal insiste sur la nécessité « de poser l’ensemble des questions, sans agiter de chiffon rouge ». S’il fait référence au souhait du Medef de reporter l’âge de départ à 64 ans, Jean-Claude Barboul ajoute que bien d’autres sujets, comme celui de la pénibilité, pourraient également être discutés…
NE PAS SE FOCALISER SUR L’ÂGE DE DÉPART
Député En Marche de la Marne, Eric Girardin juge en tout cas nécessaire de mettre fin à « un régime injuste ». Selon lui, 1 euro cotisé doit donner à tous le même niveau de retraite : « Avant, cette réforme était abordée uniquement pour atteindre un équilibre financier. Aujourd’hui, nous avons la chance de pouvoir refonder le système, mais il faut faire l’effort de l’expliquer ». Le député se montre dubitatif sur l’opportunité de mettre sur la table un sujet aussi sensible que l’âge de départ à la retraite, d’autant que les économies avancées sont trompeuses : « Augmenter d’un an rapporterait en théorie 7 Md€, mais c’est sans compter sur le report vers d’autres allocations comme le chômage et la maladie. Au final, le gain pour l’État ne serait que de 2 Md€ ».
Sur la lisibilité du système, Jean-Claude Barboul reconnaît qu’il est aujourd’hui difficile de savoir à quelle date on peut partir en retraite et avec quel montant de pension : « Beaucoup de citoyens sont rassurés quand nous leur apportons des réponses, ils craignent souvent de toucher beaucoup moins ». Le projet de réforme ne fait que renforcer les inquiétudes de la population : « Nous avons reçu 96 000 dossiers en janvier 2019, un record ! Certains veulent se précipiter mais risquent d’y perdre ». D’autant plus que la réforme ne sera de toute façon pas mise en œuvre avant 2025. « La génération 1963-64 sera la première concernée », annonce-t-il en évoquant l’enjeu technique colossal de réunir les 42 régimes actuels. Avec également la question du devenir des réserves (150 Md€) de certains régimes qui leur servent à amortir les chocs conjoncturels. Ou encore celle de la gouvernance de la future instance. « Nous avons en tout cas démontré que la gestion paritaire se fait paisiblement, même si les négociations peuvent y être rugueuses », témoigne le président de l’Agirc-Arcco, en reconnaissant que « ce modèle ne sera pas entièrement duplicable ».