La Saline royale d’Arc-et-Senans, dans le Doubs, ancienne manufacture de sel inscrite sur la liste du patrimoine mondial par l’Unesco en 1982, développe un double projet de réalité augmentée (“180° augmenté”) et d’aménagement paysager (“Un cercle immense”), en référence au rêve imaginé par son concepteur Claude-Nicolas Ledoux. Un projet exceptionnel à plus d’un titre qui devrait révolutionner l’expérience visiteur et ainsi contribuer à une augmentation significative de la jauge de fréquentation du site.
«Tout est parti du constat que la scénographie du site basée sur des audioguides n’avait pas été changée depuis les années 2000. Il était temps d’imaginer un nouveau parcours de visite », raconte Hubert Tassy, le directeur général de l’établissement public de coopération culturelle (EPCC) de la Saline royale d’Arc-et-Senans. Le projet retenu a obtenu le soutien financier du Fonds européen de développement régional (Feder), de la région Bourgogne Franche-Comté, du Département du Doubs et compte également comme partenaire le Crédit Agricole. Il prend la forme d’une expérience numérique et ludique inédite qui comprend : la création d’un dispositif de réalité augmentée, l’installation d’une salle d’interprétation numérique, la conception d’un nouveau dispositif de visite en réalité augmentée traduite en neuf langues pour redécouvrir le travail des ouvriers de la manufacture de sel, la valorisation numérique du contenu scientifique du célèbre traité de Claude-Nicolas Ledoux et la conception d’outils de médiation culturelle flexibles et évolutifs destinés aux enfants, aux jeunes mais également aux publics empêchés. « À partir de juin, tous les visiteurs recevront à leur entrée une tablette tactile. Créé par la société Histovery et baptisé L’HistoPad, ce dispositif permet une visite en réalité augmentée de la Saline royale. Des immersions historiques 3D à 360 degrés et des objets interactifs également en 3D permettront aux visiteurs de se projeter dans la Saline du XVIIIe siècle à la rencontre des ouvriers du sel au temps de la manufacture », développe le directeur. Cette immersion en 3D au cœur des techniques de fabrication du sel qui existaient à la Saline royale, sera installée dans la berne ouest du site autour des quatre anciens foyers. « Un important travail de recherche a été mené pour coller au plus près de la réalité de l’époque. Peu aidés par des fouilles archéologiques avares en réponses, les chercheurs se sont notamment appuyés sur les documents provenant d’autres sites sauniers situés dans la région, en Suisse et en Europe. » Dans l’hôtel de la Saline, la réalité augmentée offrira une vision du dortoir des ouvriers et la Maison du directeur sera présentée telle qu’elle était avant l’incendie de 1918. Un accès virtuel aux étages pour les personnes à mobilité réduite sera même possible. « Seules les extérieurs du site ne seront pas “augmentés” par les tablettes pour garder intact l’effet “waouh” des lieux. » Une chasse au trésor, un histoselfie, un livre d’or électronique viendront compléter le parcours.
Le contenu des tablettes HistoPad sera traduit en français, anglais, allemand, néerlandais, italien, espagnol, chinois simplifié, coréen et japonais.
JOUER AVEC LES RÊVES ARCHITECTURAUX DE LEDOUX
Dans le musée Claude Nicolas Ledoux, un écran tactile, muet et multilingue présentera les planches numérisées du traité L’architecture considérée sous le rapport de l’art, des mœurs et de la législation de Claude-Nicolas Ledoux et des modélisations 3D des monuments rêvés de l’architecte réalisées par la société Iconem, start-up française spécialiste de la modélisation 3D de vestiges endommagés à qui l’on doit notamment la reconstitution du site de Palmyre, en Syrie, attaqué par Daech en 2016. Les visiteurs pourront ainsi découvrir et manipuler ces modélisations qui prendront vie sous leurs yeux. « Nous étudions la possibilité de mettre en lumière tout le formidable travail d’Iconem pour préserver et faire revivre l’extraordinaire diversité culturelle de l’humanité, en présentant ses travaux sous forme d’expériences immersives, à l’image de L’Atelier des Lumières à Paris, au cœur de la berne est. » Enfin, un nouveau dispositif remplacera l’actuelle exposition permanente Mémo res du lieu et permettra d’améliorer la compréhension de la Saline royale en racontant son histoire de la fin de l’exploitation industrielle (1895) à nos jours.
RENDRE VISIBLE LE RÊVE DE LEDOUX
Des procédés ludiques permettant de découvrir des facettes méconnues de ce site patrimonial d’exception (récits des personnes issues de la population locale, anecdotes, secrets…) compléteront ce dispositif scientifique de conservation et de transmission de l’histoire. La société parisienne à l’origine de l’HistoPad a prévu de livrer sur trois ans trois versions de son dispositif. Évolutives, elles intégreront ainsi le second grand projet de mutation de la Saline royale : la matérialisation par un aménagement paysager d’une ampleur peu commune du second cercle de la cité idéale rêvée par Claude-Nicolas Ledoux, architecte de la Saline au Siècle des Lumières. Le 20 novembre 2019, le projet de l’agence de paysage Mayot & Toussaint, installée à Dijon, associée notamment au paysagiste Gilles Clément était retenu. S’inspirant de la pensée de Ledoux, celui-ci propose un écrin dédié à la valorisation de la biodiversité et du végétal. « La Saline royale comme territoire d’expérimentation, laboratoire de recherche et de transmission, offrira, sur près de 15 hectares, à l’horizon 2021, au visiteur un “Cercle immense” où les parcours de visites seront enrichis de nouvelles expériences sensorielles et poétiques, et où les principes d’économie circulaire (recyclage, réemploi) et collaborative (horizontalité, participation des écoles, des acteurs locaux…) constitueront le socle d’un projet pédagogique ambitieux associant plus de 400 élèves et 30 écoles chaque année », précise Hubert Tassy. Le réaménagement des jardins et des espaces extérieurs aux bâtiments, dans et hors du mur d’enceinte se fera selon différents cercles concentriques. Ainsi, dans le mur d’enceinte les allées rayonnantes du demi-cercle originel seront retracées telles qu’elles existaient à l’époque de la manufacture « Des pavés historiques de Paris et de Lyon devraient être utilisés à cet effet », évoque le directeur. Les parcelles qui accueillent depuis bientôt 20 ans le « Festival des jardins » deviendront dès 2021 des « jardins en mouvement » dans l’esprit de Gilles Clément où l’homme observe, contemple et accompagne la nature.
Transformés en sept jardins permanents, ils se déclineront en quatre thèmes autour de la plante : la graine, le sol, la vie et l’adaptation. Le long du mur d’enceinte, une partie non exploitée jusqu’ici, une promenade poétique mettra en valeur l’œuvre écrite de Claude-Nicolas Ledoux, à l’ombre des tilleuls. Enfin, deux « passerelles- belvédères » permettront aux visiteurs d’enjamber le mur d’enceinte, de s’offrir une vue en hauteur à 360 degrés sur l’ensemble du cercle immense, de rejoindre le deuxième demi-cercle pour découvrir les nouvelles parcelles éphémères du festival des jardins, et de poursuivre la visite à travers une inédite promenade comestible longée d’arbres nourriciers. Les visiteurs pourront cueillir librement les fruits suivant les saisons. Arrivé sur ce deuxième demi-cercle une première couronne de jardins pédagogiques servira de terrain pour des ateliers destinés aux enfants et aux familles (composition de bouquets, fabrication de tisanes, initiation à la permaculture…), et dont les thématiques ont été choisies en écho aux nouveaux jardins permanents du demi-cercle existant : « La vie : le jardin des couleurs et des odeurs », « L’adaptation : le jardin de plantes médicinales et aromatiques », « La graine : le jardin de céréales anciennes » et « Le sol : le potager en permaculture ». « Tous ces espaces seront cogérés avec des structures associatives locales et autres acteurs du bio dans la région », appuie Hubert Tassy.
200.000 VISITEURS ATTENDUS
En position centrale, un amphithéâtre sera construit autour des écuries avec de chaque côté la présence de phares abreuvoirs pour animaux, tels que Ledoux les avaient imaginés. De là, se dessinera une prairie fleurie centrale composée d’allées en rayons tondus, où serpentera un cours d’eau reprenant le tracé de la Furieuse, affluent de la Loue. Un dernier cercle périphérique proposera un second jardin pédagogique représentant l’ensemble des écosystèmes jurassiens (reculées, tourbières…). Aménagé en partenariat avec l’architecte utopiste Luc Schuiten et le laboratoire Chrono-Environnement de l’université de Franche-Comté, il invitera le visiteur à réfléchir sur les effets du réchauffement climatique sur les paysages régionaux. Enfin, à l’extérieur du grand cercle, se déploiera un « Tiers-Paysage », composé d’un espace forêt dont l’évolution sera laissée à la seule nature, d’un labyrinthe de miscanthus, d’une pépinière, de haies bocagères, d’enclos d’animaux, de grandes prairies à fauche tardive, d’espaces propices à l’accueil de grands concerts (à l’image de celui de David Gilmour, guitariste des Pink Floyd, en 2016 devant 20.000 personnes)… ainsi que d’une aire d’arrimage d’une montgolfière permettant de proposer des vols captifs aux visiteurs en été. « Véritable îlot de biodiversité unique dans l’Est de la France, ce projet doit permettre de positionner la Saline royale comme un laboratoire des métiers du paysage alliant expérimentation, pédagogie et haute qualité environnementale, en partenariat avec la Fédération Française du Paysage, défend le directeur général. Par cette nouvelle offre touristique engagée, participative, dynamique et immersive, nous espérons faire passer le nombre annuel de visiteurs de 122.000 actuellement à 160.000, voire 200.000 visiteurs d’ici à 2022, 2023. De même notre offre d’hôtellerie sera portée à 40 chambres, soit neuf de plus qu’aujourd’hui. Notre jauge actuelle permet de dégager une recette annuelle de plus d’un million d’euros. Avec la montée en puissance attendue nous pourrions accroître notre capacité d’autofinancement et ainsi tou- jourmoins dépendre des subventions publiques ».
En chiffres
Le projet doit prendre vie à l’horizon 2021 et être totalement achevé pour 2023. Le coût total des travaux est estimé à 2,5 millions d’euros. Les travaux de terrassement débuteront fin 2020. Le projet sera financé par des partenaires publics (ministère de la Culture, département du Doubs, région Bourgogne Franche-Comté), des fonds propres ainsi qu’un club de mécènes créé par la Saline royale.
1 million d’euros, c’est l’investissement consacré au projet « 180° augmenté », dont
50 % provient de fonds européens Feder. Un projet qui a obtenu le prix de l’innovation touristique.