Les besoins en ressources humaines sont apparus avec l’écriture et donc, aux débuts de la civilisation, c’est-à-dire aux alentours de -3.000 avant Jésus Christ. Pourtant, le fait de recruter ne s’est pas toujours imposé dans l’histoire du travail. En effet, au Moyen-âge, les métiers étaient attribués en fonction de la classe sociale d’origine ou de la profession exercée par les parents. Plus tard, lors de la première révolution industrielle, au XIXème siècle, l’augmentation de la demande en main-d’œuvre était telle que tout individu, y compris les enfants, pouvait travailler.
Ce n’est que vers les années 1870, caractérisées par d’importants progrès technologiques que les entreprises ont commencé à s’organiser en structures hiérarchiques. C’est effectivement lors de la Belle Époque qui s’est prolongée jusqu’à la Première Guerre mondiale, que la notion de sélection des travailleurs a fait sa véritable apparition avec la recherche de profils aux compétences spécifiques voire dotés d’une expérience dans des domaines précis comme le management. La diffusion des offres d’emploi dans les journaux papier, à partir de 1850, a également constitué un tournant dans le recrutement avant l’arrivée des nouvelles technologies.
Néanmoins, les pratiques en matière de recrutement se sont véritablement professionnalisées dans les années 1980 avec l’apparition de la fonction gestion des ressources humaines, évidemment destinée à recruter du personnel mais aussi à le faire évoluer dans l’entreprise. Puis, l’apparition d’internet et le développement des moyens de communication comme le Minitel au début des années 1990 ont permis aux entreprises d’élargir les zones de diffusion des annonces et d’augmenter leurs chances de dénicher la perle rare. Une révolution qui semble être devenue la norme aujourd’hui puisque d’après l’enquête Offre d’emploi et recrutement (Ofer) menée en 2016 par le ministère du Travail, 95% des annonces d’offres d’emploi passent par internet.
Si internet s’est révélé être une charnière dans le processus de recrutement, les réseaux sociaux, qu’ils soient professionnels ou non, jouent de plus en plus un rôle dans cet aspect de la vie professionnelle.
LES RÉSEAUX SOCIAUX : OUTIL INDISPENSABLE DES RESSOURCES HUMAINES
S’ils ont longtemps été associés à la vie personnelle et aux loisirs, les réseaux sociaux se sont progressivement immiscés dans le monde du travail au cours des dernières années. « Les réseaux sociaux sont utiles pour soigner l’image de l’entreprise et pour faire du sourcing qu’on appelait autrefois chasse de têtes », indique Marlène Rollet, consultante en ressources humaines pour le cabinet RH Partners à Dijon. « Il faut savoir qu’aujourd’hui,
50% des recrutements se font via une annonce. Pour l’autre moitié restante, il faut aller chercher les candidats. On ne peut plus se contenter d’attendre que les candidats répondent aux annonces comme ça se faisait traditionnellement avant. Le sourcing, qui est une approche directe puisqu’il consiste à chercher, analyser et trier des profils est donc indispensable. Les cvthèques mais surtout les réseaux sociaux facilitent grandement ce travail.
Avec Linkedin par exemple, on retrouve les mêmes paramètres de recherche avancée qu’un jobboard classique (un site web qui permet la diffusion d’offres d’emploi). Les réseaux sociaux sont donc un moyen de faire de la veille et d’être constamment en recherche. » En effet, les recruteurs peuvent gratuitement et rapidement entrer des critères de sélection dans une barre de recherche et se constituer un vivier de compétences. « C’est un outil indispensable notamment pour les postes en tension car les recruteurs n’hésitent pas à rechercher des candidats dans toute la France voire au-delà. »
Pour Loïc Bourgey, dirigeant de l’agence Temporis Dijon Sud ouverte fin 2019, « les réseaux sociaux font partie des moyens de communication que nous déployons pour nous faire connaître et surtout capter les candidats jeunes. Chaque agence a une page Facebook et un compte Instagram en plus du site internet. On y publie des actualités sur la vie de l’agence et des annonces avec un ton décalé pour fidéliser ». La chaîne Dailymotion du réseau Temporis surfe elle aussi sur cette approche en diffusant des vidéos humoristiques sur le recrutement. Succès garanti puisqu’au total, les cinq épisodes déjà diffusés ont engendré 7,3 millions de vues. « L’engouement s’observe aussi sur le site dédié où 105.000 visiteurs regardent en moyenne deux épisodes. » Laure Trouilloud, présidente de Consult RH (Dijon) est elle aussi pleinement convaincue de l’utilité des réseaux sociaux dans le processus de recrutement : « Les réseaux sociaux et surtout Linkedin ont révolutionné notre manière de repérer les profils intéressants. Pour moi qui suis spécialisée dans le recrutement des cadres et agents de maitrise, ce réseau social correspond exactement à ma cible. »
Un sentiment partagé par Philippe Le Bel (développement commercial et communication RH) pour le cabinet RH solutions considéré comme le premier réseau national de portage salarial : « On constate que les entreprises passent de moins en moins par l’intermédiaire des professionnels de recrutement mais plutôt par les réseaux sociaux professionnels et cela s’observe en particulier pour les cadres ».
Marlène Rollet complète : « Pour un recruteur, les réseaux sociaux permettent également d’approcher plus facilement les futurs diplômés en ciblant directement les écoles, qui sont de véritables bassins de compétences ». En outre, les entreprises présentes sur les réseaux sociaux peuvent individualiser leur communication, notamment grâce aux messageries instantanées pour établir un contact direct avec les profils les plus prisés.
INBOUND RECRUITING : QUAND RECRUTER PASSE PAR ATTIRER
Mais avant de mettre la main sur le profil de leurs rêves, les entreprises s’évertuent à développer leur image de marque sur ces réseaux sociaux. « Séduire de potentiels candidats en permanence répond à un enjeu stratégique puisqu’il est préférable, pour une entreprise, de ne pas attendre d’avoir un besoin et d’être dans une situation d’urgence. D’ailleurs, cela sécurise au maximum le recrutement », poursuit Marlène Rollet (RH Partners).
Quand recruter est un jeu
Si traditionnellement, un candidat répond à une offre d’emploi ou postule de manière spontanée en adressant un curriculum vitae ainsi qu’une lettre de motivation à l’entreprise avant d’être convié à un entretien, le recrutement revêt désormais un aspect ludique. Sûrement inspirées par la célèbre citation de Platon, « On peut en savoir plus sur quelqu’un en une heure de jeu qu’en une année de conversation », les entreprises optent pour la gamification. Néologisme formé à partir du mot anglais « game », ce terme désigne le recrutement par le jeu. Ce concept qui intègre les éléments de jeux dans le recrutement se décline sur plusieurs formes : des escape games (scénario dans lequel le candidat doit solutionner un problème seul ou avec d’autres candidats), en passant par le team building ou encore les hackathons (évènements au cours duquel des spécialistes se réunissent pour travailler sur une problématique définie). Si ce mode de recrutement séduit de plus en plus d’entreprises, c’est parce qu’il présente de nombreux avantages comme l’optimisation de l’expérience candidat ou encore le fait de déceler des compétences transversales, également appelées soft skills chez les postulants. Une fois le recrutement réalisé, la gamification permet aussi de challenger les équipes en les faisant entrer en compétition pour doper la productivité de l’entreprise ou d’un service.
L’UIMM de Côte d’Or a même lancé un escape game sous forme d’enquête policière pour promouvoir les métiers de l’industrie auprès des scolaires et du grand public.
Toutefois, dans les secteurs en tension où la demande est plus forte que l’offre, difficile de conquérir des candidats exigeants… Selon cette consultante en ressources humaines, la communication doit être la règle absolue : « Être présent sur les réseaux sociaux ne suffit pas ! Travailler son image, communiquer sur son histoire, ses points forts, ses valeurs, son éthique, être transparent et surtout, donner envie à de potentiels candidats de travailler pour l’entreprise sont des axes indispensables ». Pour y parvenir, les entreprises ont transposé certains codes du marketing au recrutement : l’inbound recruiting. Sur le principe de l’inbound marketing qui repose sur une stratégie de création de contenu permettant d’attirer des visiteurs sur un site web pour les convertir en tant que clients, l’inbound recruiting vise à susciter l’engagement des candidats avec la création et la publication de contenus riches. « Ce principe permet aussi de créer une communauté autour de l’entreprise. Rien de tel que les réseaux sociaux pour se constituer un réservoir d’ambassadeurs », développe-t-elle.
Pour dorer son image, l’entreprise peut en effet compter sur deux types d’ambassadeurs avec d’une part, les profils qui rêvent d’intégrer l’entreprise et d’autre part, les salariés qui vantent leur entreprise. Ces derniers sont d’ailleurs considérés comme plus authentiques et donc plus crédibles que la communication officielle de l’entreprise aux yeux des potentiels candidats. En publiant des informations positives liées à leur entreprise, ces salariés-ambassadeurs sont donc un atout non négligeable pour les entreprises.
Là encore, cette tendance s’apparente à un procédé marketing bien connu : le earned media. À traduire littéralement par « média gagné » en français, ce terme désigne la visibilité obtenue par une entreprise via une source externe sans en avoir fait la demande et surtout sans avoir déboursé un seul centime ! Ainsi, des salariés convaincus par le discours et les pratiques RH de leur entreprise auront tendance à la valoriser. D’où l’importance de soigner son image en externe mais aussi en interne…
Jean-Marc Darragon, consultant relations entreprises pour l’Apec Bourgogne Franche-Comté développe : « Aujourd’hui en recrutement, l’important c’est la posture qu’adopte une entreprise. Quels attributs elle met en avant, quelle promesse employeur c’est-à-dire quel positionnement, quelle philosophie l’entreprise peut proposer, etc. ? Le concept de marque employeur n’est pas nouveau puisqu’il a été déposé en 1998 par Didier Pitelet (reconnu comme l’un des meilleurs experts européens en communication et en management et riche d’une carrière de 16 ans chez Publicis, Ndlr). Pourtant, ce concept n’a jamais été aussi important qu’en ce moment, surtout avec la crise sanitaire que nous venons de vivre car la marque employeur ne se résume pas seulement aux critères d’attraction d’une entreprise, elle englobe aussi la valeur émotionnelle que cette dernière peut dégager. D’ailleurs, la marque employeur c’est bien sûr, attirer de bonnes recrues mais aussi savoir repousser des candidats qui ne correspondent pas à l’entreprise ou à ses valeurs. Quoiqu’il en soit, la baisse de l’activité pendant le confinement aura justement été propice, pour beaucoup d’entreprises, à une réflexion plus poussée sur le développement de leur marque employeur. »
On l’aura compris, soigner sa e-réputation est primordial pour attirer les meilleurs profils. Ce n’est pas ce chiffre émanant d’une étude menée par ManpowerGroup en 2017 qui dira le contraire puisque 95 % des candidats se renseigneraient sur l’entreprise avant de passer un entretien. Toujours d’après cette étude, 67 % des candidats estiment ne pas trouver suffisamment d’informations sur l’entreprise qu’ils convoitent…
Jean-Marc Darragon nuance toutefois : « L’impact des réseaux sociaux professionnels et non professionnels est à double tranchant car dans le cas où des salariés véhiculeraient des contenus négatifs sur leur entreprise, cela pourrait être très déstabilisant en termes d’e-réputation. On sait aussi que certains salariés peuvent noter leur entreprise sur des sites comme Glassdoor et ainsi donner un aperçu de leurs conditions de travail en y postant anonymement des avis ou encore des photos. Si l’entreprise est mal notée, cela aura forcément une répercussion sur l’image renvoyée aux candidats. Être en permanence vigilent sur sa e-réputation est donc un enjeu qui fait partie des nouveaux modes de recrutement ».
Authenticité, cohérence et transparence sont donc les maîtres mots. Laure Trouilloud, présidente de Consult RH confirme : « L’éthique et les valeurs morales d’une entreprise risquent de gagner en importance par rapport à l’avant Covid-19. Il semble désormais impensable de mettre en danger ses salariés, lesquels doivent se sentir protégés, en sécurité qu’il s’agisse aussi bien du volet sanitaire que du volet pérennité et avenir de l’entreprise. La transparence des entreprises vis-à-vis de leurs salariés aura donc un rôle encore plus important. À l’inverse, avec le développement du télétravail et la menace d’une seconde vague épidémique, les entreprises vont davantage chercher à recruter des candidats sur qui ils pourront compter en cas de crise. »
Marlène Rollet complète : « On sait aussi que le premier facteur d’échec d’intégration d’un candidat est le décalage entre ce qui lui a été “vendu” lors du recrutement et ce que le nouvel arrivant vit réellement une fois dans l’entreprise. Là aussi, on remarque l’importance d’une bonne stratégie RH puisque l’intégration d’un salarié doit permettre le sentiment d’appartenance aux valeurs de l’entreprise ».
CONFINEMENT : QUEL IMPACT SUR LE RECRUTEMENT ?
Le recrutement a brutalement été freiné par la crise du coronavirus. Une étude récemment publiée par Manpower Group révèle notamment que les perspectives d’embauche dans le monde sont au plus bas depuis 20 ans. À l’échelle locale, l’agence de Pôle emploi Dijon Sud a vu le nombre de ses offres enregistrées divisé par six pendant le confinement. « Certains secteurs ont véritablement été impactés, à l’inverse, d’autres, comme la distribution, la santé, l’industrie pharmaceutique, l’aide à la personne ou encore l’agriculture ont maintenu leurs recrutements car ils avaient de réels besoins. Ils étaient même considérés comme stratégiquement prioritaires en termes de recrutement. Fin mai, c’est le secteur du bâtiment et les activités saisonnières par exemple liées aux travaux agricoles ou à la vigne qui ont montré des signes de reprise. Cela dit, nous n’avons pas de vision à long terme, nous sommes attentistes car tout dépendra du marché », analyse Bruno Maso, responsable d’équipe entreprise et référent sanitaire à l’agence Pôle emploi Dijon Sud.
Le marché des cadres a lui aussi vu le volume de ses offres hebdomadaires diminuer fortement en deux mois. « Sur le site de l’Apec, en région, on est passé de 284 offres d’emploi publiées la semaine du 24 février à 121 la semaine du 20 avril », témoigne Jean-Marc Darragon, consultant relations entreprises pour l’Apec Bourgogne Franche-Comté. Même constat de la part de Laure Trouilloud, présidente de Consult RH : « La crise sanitaire a eu un impact énorme sur mon activité. Les entreprises ont mis les recrutements en stand-by car elles n’ont pas de visibilité, d’autres préfèrent se réorganiser pour combler les besoins en interne qui avaient donné lieu, avant le confinement, à une campagne de recrutement… Pour résumer, je suis passée d’un portefeuille de 30 recrutements par mois à cinq ».
QUI SONT LES SALARIÉS LES PLUS TOUCHÉS ?
Intérimaires, autoentrepreneurs, indépendants, jeunes diplômés, salariés portés, contrats courts… Ces travailleurs ont subi de plein fouet les conséquences de la crise sanitaire. Premier réseau national de portage salarial spécialisé dans les métiers du conseil, de l’ingénierie et de la formation, le cabinet RH solutions à Dijon chiffre sa perte de chiffre d’affaires à 30 %, au moins, depuis le début du confinement par rapport à l’an dernier. « Mais nous risquons une perte plus élevée car 65% de notre chiffre d’affaires est réalisé entre le 1er janvier et le 30 juin », s’inquiète Philippe Le Bel (développement commercial et communication RH) pour la société RH solutions. En plus de cela, les nouveaux contrats sont généralement signés sur les mois d’octobre, novembre, décembre pour ne démarrer qu’en janvier. Entre ces deux phases, nous assistons souvent à une inertie qui se répercutera probablement plus durement cette année. À cela s’ajoute le fait que l’activité des salariés indépendants va de pair avec l’activité des entreprises, pour l’instant, nous n’avons pas véritablement de reprise. En ce qui nous concerne, tout va dépendre des besoins des entreprises. Il nous est donc difficile de se projeter pour l’instant en particulier parce qu’il s’agit d’un phénomène inédit mais, dans tous les cas, ce sera une mauvaise année ».
Le secteur de l’intérim fait lui aussi partie des victimes collatérales du coronavirus. Les premières estimations données par Prism’emploi en avril, faisaient état d’une chute de 75 % des emplois intérimaires sur la fin mars. « Pendant le confinement, tout n’était pas à l’arrêt mais c’était très calme. Sans surprise, les secteurs qui ont maintenu le recrutement étaient l’agroalimentaire, les activités de production de gel hydroalcoolique ou de masques et quelques petits artisans qui pouvaient s’isoler sur le chantier mais ces derniers ne sont généralement pas les plus demandeurs en intérim. Il n’en reste pas moins que les intérimaires ont durement subi cette situation inédite. Et, déconfinement ne signifie pas forcément redémarrage de l’activité. Pour l’instant, les entreprises essaient dans un premier temps de relancer leur fonctionnement hors intérim et elles sont dans le flou total c’est ce qui explique une dégringolade de l’intérim. Cela dit, la crainte d’une deuxième vague va forcément mener à une frilosité des entreprises au sujet des contrats longs ce qui peut faire espérer un déversement sur l’intérim », espère Loïc Bourgey (Temporis Dijon Sud). Présent depuis 2018 à Dijon, Cap emploi Côte-d’Or œuvre pour l’insertion professionnelle des handicapés, un public sur lequel le confinement a là encore, eu un retentissement négatif.
MENACES SUR L’APPRENTISSAGE ET LA FORMATION
Début février, le ministère du Travail communiquait des chiffres plutôt positifs sur l’apprentissage. En effet, le nombre de jeunes entrés en apprentissage a bondi de 16 % en 2019 avec 485.800 apprentis contre 437.000 en 2018. Une progression à deux chiffres, par ailleurs inédite, qui risque d’être stoppée dans son élan pour cause de Covid-19. Fragilisées par le confinement et la crise économique liée au coronavirus, les entreprises pourraient ne pas recruter d’apprentis pour la rentrée. C’est en tous cas ce que redoute les acteurs de la formation professionnelle comme l’UIMM. « Généralement, les phases de recrutement démarrent à la fin de l’année scolaire, c’est-à-dire à partir du mois de mai. Nous sommes donc en plein dedans et pourtant, nous avons seulement 20 % de contrats signés, ce qui est insuffisant pour la rentrée de septembre, craint Véronique Guillon, déléguée générale de l’UIMM de Côte-d’Or. Deux facteurs expliquent ce pourcentage pour l’instant bas. D’abord, il y a eu un temps d’arrêt avec le confinement. Les entreprises étaient fermées, leurs salariés étaient en télétravail, la priorité était à la gestion de la crise, donc beaucoup de projets vont être décalés et surtout, les entreprises n’ont pas de visibilité, elles hésitent donc à recruter des apprentis ». Pourtant, les candidats ne manquent pas. Yannick Mahé, directeur du Pôle formation UIMM l’assure : « Cette année, nous comptons un nombre presque record de candidats. Cette hausse grimpe tout de même de 8 %. C’était pourtant l’inverse les années précédentes : on a généralement une carence en profils par rapport aux besoins des entreprises. À l’heure actuelle, le manque de placements en entreprises nous fait légitimement craindre un recul des signatures de contrats par rapport à l’an dernier. » En plus des mesures prévues dans le cadre du plan annoncé par Muriel Pénicaud début juin pour sauver l’apprentissage, le Geiq industrie 21 a trouvé une ruse. L’objectif est d’éviter que des milliers de jeunes se retrouvent sur le carreau faute de n’avoir pas trouvé d’entreprise qui veuille bien signer un contrat d’apprentissage. « Le Geiq et le groupe d’employeurs qui dépendent de l’UIMM, sont en capacité de porter tous les contrats possibles et ce, pour tous types d’industries. Quand on sait que les entreprises de moins de 50 salariés ont un taux d’apprentissage très bas, le fait que le Geiq porte ces types de contrats peut être considéré comme une solution alternative pour contourner les effets de la crise. L’idée est de sécuriser les contrats d’apprentissage de la rentrée et de ne pas sacrifier les jeunes qui s’apprêtent à entrer sur le marché du travail », annonce Véronique Guillon. L’UIMM est une structure stable, heureusement que nous sommes là pour accompagner les entreprises.
La directrice, Emily Bessière clarifie : « Crise ou pas, le handicap est un frein à l’insertion professionnelle. C’est la raison pour laquelle nous menons beaucoup d’actions de sensibilisation auprès des entreprises et des salariés pour lever les tabous et certaines appréhensions à intégrer un travailleur handicapé dans le personnel. Plus spécifiquement, le confinement a engendré un ralentissement sur le travail de projets professionnels que nous effectuons avec chacune des personnes que nous suivons. Les stages, les formations et même, la validation d’un poste par un médecin de la Médecine du travail n’étaient plus possibles, ce qui a ralenti notre accompagnement en général. En termes de recrutement, l’impact est certain car la majorité des candidatures ont été mises en stand-by même si quelques secteurs comme la couture ou le nettoyage ont continué à recruter. Quant à la fragilité des travailleurs handicapés sur le marché du travail, on remarque une amélioration depuis quelques années : les entreprises sont plus ouvertes et la modification de la loi sur les calculs obligeant l’emploi des travailleurs handicapés et les pressions financières qu’elle exerce contribuent à densifier l’emploi des travailleurs handicapés. Évidemment, accompagner des travailleurs handicapés sur de l’emploi reste difficile. La difficulté majeure pour les travailleurs handicapés, c’est la tendance qu’ont les entreprises à se tourner vers eux quand ils ne parviennent pas à pourvoir un poste avec un salarié dit ‘classique’. Malheureusement, le recours à un travailleur handicapé est encore trop considéré comme une solution de repli et non comme une véritable stratégie de ressources humaines. C’est d’ailleurs pour cette raison que nous nous apprêtons à lancer une campagne de sensibilisation et d’information auprès des entreprises ». CTP 21 qui agit comme un réseau de compétences en temps partagé au service des entreprises, a vu l’ensemble de ses activités stoppées avec le confinement voire avant. « Toutes nos activités ont été gelées. Quelques jours avant l’annonce de la fermeture des écoles, nous avons décidé d’annuler nos visites en entreprises ainsi que les réunions pour reprendre quand les conditions sanitaires le permettraient. Malheureusement, le confinement a été synonyme d’interruptions de missions pour nos adhérents avec, forcément, des conséquences financières et sociales », exprime Marc Defaut, président de CTP 21. Pourtant, il reste confiant et envisage même le temps partagé comme une alternative pour juguler les effets de la crise… « La force de CTP 21 c’est d’être un réservoir de spécialistes mis à disposition des entreprises au bon moment selon leurs besoins. Cela leur permet d’être réactifs et compétitifs. On a donc des cartes à jouer. Dans l’immédiat, le but du jeu va être de communiquer auprès des entreprises pour démontrer que le temps partagé a un intérêt. Nous avons besoin de remplir le réservoir des deux côtés c’est-à-dire au niveau des demandeurs d’emploi en temps partagé qui peuvent apporter leurs compétences aux entreprises et, au niveau des entreprises qui ont des besoins. » Il poursuit : « Le travail à temps partagé n’est pas précaire. Au contraire ! Il peut être envisagé comme une solution de secours : avoir deux cdi à temps partiel est, dans le contexte que nous vivons, peut être plus sécurisant qu’un seul cdi à temps complet… Le travail à temps partagé est un autre paradigme du monde du travail, lequel se réadapte. »
APRÈS-COVID : VERS DE NOUVEAUX PARADIGMES DU TRAVAIL ?
De manière générale, la crise a bouleversé de nombreux piliers du quotidien, dont notre rapport au travail notamment avec le recours massif au télétravail. Rien d’étonnant alors à ce que de nouvelles formes de travail puissent émerger. Le portage salarial par exemple, pourrait bien sortir gagnant de la crise. « Ce statut permet d’allier l’indépendance en bénéficiant d’une sécurisation contractuelle, économique et sociale », rappelle Philippe Le Bel (RH solutions). En effet, les salariés portés sont indépendants dans l’exercice de leur activité professionnelle sans pour autant devoir créer une société mais bénéficient des mêmes avantages qu’un salarié classique (sécurité sociale, retraite, assurance chômage, chômage partiel etc.). La gestion administrative et comptable, elle, est confiée à une société de portage salarial. « Le confinement a donné l’occasion aux actifs de faire le point sur leurs situations professionnelles. Beaucoup se sont intéressés au portage salarial notamment ceux qui ont besoin de redonner du sens à leur carrière et désirent plus d’indépendance. Le portage salarial a de nombreux atouts, une inconnue demeure : est-ce que les entreprises feront face dans les mois à venir et pourront-elles proposer des missions à des salariés portés ? ». Parmi les formes de travail moins répandues, le prêt de main d’œuvre pourrait lui aussi s’étendre. Depuis le 2 juin, l’UIMM a ajouté un onglet « prêt de main d’œuvre » à sa plateforme. « Avec ce dispositif, on s’adresse aux entreprises qui tournent à plein régime et qui peinent à recruter et aux entreprises qui ont placé certains salariés en chômage partiel. Le but est de mettre ces deux cibles en relation pour éviter le licenciement. Dans tous les cas l’UIMM doit valider et le salarié prêté doit être d’accord », explique Emmanuelle Gautheron, responsable compétences emploi à l’UIMM. Elle rappelle : « Le prêt de main-d’œuvre est juridiquement encadré, l’entreprise prêteuse doit faire un avenant au contrat du salarié prêté et le statut de celui-ci ne change pas ».
SAVOIR-FAIRE VERSUS COMPÉTENCES HUMAINES
Avoir un esprit d’équipe, savoir prendre des initiatives, être empathique… Ces compétences humaines également appelées « soft skills » sont de plus en plus scrutées par les recruteurs car elles définissent la manière dont un candidat est susceptible d’agir en situation de travail. Jean-François Locatelli (Pôle emploi) imagine par exemple que le fait de respecter des consignes sera un critère déterminant dans le recrutement d’un candidat après la crise sanitaire. Jean-Marc Darragon (Apec) considère lui que les entreprises vont s’intéresser aux individus qui ont des capacités d’adaptation : « On l’a vu pendant la crise, les entreprises ont dû être créatives et réactives. Elles vont alors tout naturellement chercher à recruter des profils qui ont ces atouts, donc des candidats ouverts à la formation, désireux d’apprendre, motivés… ». Valérie Villard-Charroin (Medef) est du même avis : « Être polyvalent c’est-à-dire être capable de passer d’un poste à l’autre sera une carte intéressante à mettre en avant lors d’un recrutement ». Un cran au-dessus des soft skills, les mad skills à traduire par compétences folles, représentent des caractéristiques qui permettent de différencier un candidat. Généralement qualifiées d’aptitudes hors du commun, les mad skills sont la nouvelle tendance en matière de recrutement. Cependant, cette technique peut être dangereuse: Recruter au feeling comporte des risques. Il est préférable de multiplier les outils pour sécuriser au maximum le recrutement. Le principal outil du processus de recrutement reste l’entretien avec l’analyse des éléments verbaux et non verbaux, l’étude du parcours du candidat, sa motivation pour le poste visé ainsi que ses compétences relationnelles », met en garde Marlène Rollet (RH Partners).
Témoignages : comment ont-ils vécu le confinement ?
MEDEF Côte d’Or
Carole Girard, vice-présidente de la commission prospective Compétences au Medef de Côte-d’Or
Valérie Villard-Charouin, responsable RH et projet
Dès la fin février, on suivait beaucoup l’actualité liée à l’épidémie de coronavirus. À l’annonce du confinement le soir du 16 mars, on a donc été en mesure de mettre en place le télétravail ainsi qu’une cellule de crise rapidement, relate Carole Girard, vice-présidente de la commission prospective Compétences au Medef de Côte-d’Or. Évidemment, nous avons dû stopper les évènements que nous organisons habituellement en présentiel. Toutefois, le télétravail a bien fonctionné car jusqu’au 11 mai, date à laquelle a débuté le déconfinement progressif, nous avons pu conseiller et accompagner nos adhérents qui sont au nombre de 1.540 dans le département. Pour les entreprises, l’arrêt a été brutal, elles ont dû s’adapter dans l’urgence. Les informations arrivaient au compte-goutte, certaines n’étaient même pas encore bien tranchées, ce qui a provoqué de nombreux questionnements de la part de nos adhérents. Ils avaient réellement besoin d’être écoutés et rassurés. Pendant le confinement, notre rôle a vraiment consisté à accompagner, c’est d’ailleurs la raison pour laquelle notre cellule de crise avec un service juridique accessible, a été lancée dès le premier jour. Comment poursuivre son activité dans un contexte de confinement avec l’instauration de gestes barrière a été une question récurrente de la part de nos adhérents. Pour les aider au mieux à poursuivre leur activité ou à la reprendre, nous avons procédé à des commandes groupées de gel hydroalcoolique et de masques. Une initiative qui semble avoir été appréciée des petites entreprises. Nos permanences en visioconférences pour garder le lien avec les adhérents ont aussi rencontré un succès important ». Valérie Villard-Charouin, responsable RH et projet, complète : « La particularité de cette crise, c’est que globalement tous les secteurs ont été frappés et chacun vivait au jour le jour. Les entreprises ont donc dû se réorganiser et faire preuve de créativité, beaucoup se sont réinventées voire reconverties comme par exemple les restaurateurs qui se sont lancés dans le drive ou la livraison.
Pôle Emploi
Jean-François Locatelli, directeur territorial
de Pôle emploi Côte-d’Or
Bruno Maso, responsable d’équipe entreprise et référent sanitaire à l’agence Pôle emploi Dijon Sud
« Pendant le confinement, Pôle emploi ne s’est pas arrêté. Confinement ou pas, il était impensable de rester sans réponse auprès de nos usagers surtout pour un service public. On a donc continué de délivrer des services aux demandeurs d’emploi et aux entreprises. D’ailleurs ces dernières ont été agréablement surprises d’être contactées pendant le confinement », constate Jean-François Locatelli, directeur territorial de Pôle emploi Côte-d’Or. « Plus précisément, nous avons maintenu nos activités qualifiées de ‘sensibles’ c’est- à-dire l’inscription des demandeurs d’emploi, leur indemnisation ainsi que les réponses à leurs questions par mail ou par téléphone. Les conseillers ont aussi poursuivi leur travail auprès des entreprises qui avaient entamé des démarches pour recruter. La nouveauté profonde avec cette crise, a été la notion de distance puisque la plupart des conseillers ont été placés en télétravail. D’ailleurs, l’activité a été maintenue grâce au fait de pouvoir mettre les conseillers en télétravail. Cette mise en œuvre rapide du télétravail est probablement le résultat des efforts qui ont été menés en matière de digitalisation en amont », précise-t-il. « Concernant les animations qui se déroulent habituellement en agence en groupe, nous avons pu en adapter certaines pour les proposer en visioconférence mais ce format ne correspond pas à la totalité de notre public », ajoute Bruno Maso, responsable d’équipe entreprise et référent sanitaire à l’agence Pôle emploi Dijon Sud.
Et Jean-François Locatelli de conclure : « Nous avons plusieurs profils d’usagers demandeurs d’emploi : ceux qui sont très autonomes et à l’aise avec les outils numériques et qui peuvent progresser dans la construction de leurs projets professionnels grâce à l’Emploistore.fr, et ceux qui en sont plus éloignés. Pour ces derniers, l’enjeu était d’assurer un suivi régulier par téléphone. Les conseillers ont par ailleurs constaté que les temps d’échange s’étaient allongés pendant le confinement par rapport à une période plus classique. Les demandeurs d’emploi avaient, semble-t-il, davantage besoin d’être rassurés. On peut donc tirer un bilan positif de cette épreuve car nos équipes ont dû être hyper agiles malgré la situation difficile et ce n’est sans doute pas terminé. Ces moments de crise nous permettent de relever des défis. »
Temporis
« On peut dire que nous avons essayé d’anticiper au maximum le confinement car dèsl’annonce de la fermeture des accompagnement écoles, le 12 mars, nous avons pris la décision d’interdire l’accès physique des agences Dijon Sud et Dijon Nord au public, renseigne Régis Lapalus, dirigeant de l’agence Temporis Dijon Nord qui déplore une perte de 80 % de son chiffre d’affaires en seulement quelques jours. Nous sommes pour autant restés joignables sur rendez-vous par téléphone et par mail pendant toute la durée du confinement. Lors des trois premiers week-ends, nous avions également mis en place une astreinte téléphonique pour que nos clients puissent nous joindre rapidement. Maintenir le lien était primordial. C’est aussi ce qui nous a permis de nous démarquer de nos concurrents. Cela a effectivement permis de renforcer notre positionnement de proximité auprès des clients, lesquels ont pu être accompagnés au mieux dans les démarches diverses liées à la mise en chômage partiel, aux fins de missions ou encore en cas de ruptures tripartites ou de ruptures pour cas de force majeure. Un accompagnement apprécié dans une période marquée par un arrêt brutal de l’activité. »
UIMM
Véronique Guillon, déléguée générale de l’UIMM de Côte-d’Or.
Yannick Mahé, Directeur du Pôle formation UIMM.
Une cellule de veille covid a été mise en place dès le premier jour du confinement ce qui nous a permis de rester proches de nos adhérents. Les salariés placés en chômage partiel par leurs entreprises ont également fait l’objet d’un suivi rigoureux. Si la Côte-d’Or a la particularité de ne pas être un département marqué par un secteur en particulier, et par chance, le territoire concentre des activités variées comme l’automobile, l’informatique ou encore le nucléaire et le traitement de surface, nous déplorons la mise à l’arrêt de nombreux projets pour l’année 2020 à cause du confinement. En deux mois, nous n’avons eu aucun recrutement », observe Véronique Guillon, déléguée générale de l’UIMM de Côte-d’Or. Côté formation, le confinement a aussi eu raison du fonctionnement habituel ajoute Yannick Mahé, directeur du Pôle formation UIMM : « On a dû mettre en place des formations à distance en un temps record pour éviter le décrochage à tout prix, comme pour le recrutement des jeunes alternants qui s’est effectué de manière virtuelle. »
RH PARTNERS
Marlène Rollet, consultante
en ressources humaines pour le cabinet RH Partners à Dijon.
« Distanciation sociale et télétravail oblige, nous n’avons pas pu aller au contact des entreprises pour prospecter. Quoiqu’il en soit, nous n’étions pas vraiment dans une démarche de prospection. Nous avons préféré nous positionner en appui de nos clients, être proactifs en les conseillant par exemple sur comment adapter leurs documents sur les risques liés à la Covid-19 en entreprise, rapporte Marlène Rollet, consultante en ressources humaines pour le cabient RH Partners à Dijon. Nous avons tout de même reçu des appels d’entreprises qui souhaitaient recruter malgré la crise donc il s’agit d’un indicateur plutôt rassurant car il peut signifier que les besoins structurels des entreprises n’ont pas disparu, de quoi espérer une reprise des recrutements par la suite. »
APEC
Jean-Marc Darragon, Consultant relations entreprises pour l’Apec BFC
« La règle pendant le confinement était 100 % des collaborateurs en télétravail, se félicite Jean-Marc Darragon, Consultant relations entreprises pour l’Apec BFC. On a effectivement réussi à poursuivre nos missions auprès de nos publics qui sont les jeunes diplômés, les cadres et les entreprises. Il faut dire que l’Apec avait déjà pour habitude d’animer des web-ateliers donc ces derniers ont simplement continué pendant le confinement. Pen- dant cette période, l’Apec s’est surtout posée comme intermédiaire entre les cadres et les entreprises qui tous, s’interrogeaient ».
JEUNES DIPLÔMÉS : GÉNÉRATION SACRIFIÉE ?
En 2020, 700.000 étudiants de moins de 25 ans seront diplômés avant d’intégrer le marché du travail. Un début de carrière qui risque d’être chaotique pour des milliers de jeunes compte tenu de la crise. Déjà fragiles hors périodes de récession économique puisqu’ils avaient déjà trois fois plus de probabilités d’être au chômage que les autres actifs avant la pandémie de Covid-19, les jeunes diplômés craignent d’être une génération sacrifiée. D’après l’Apec qui a publié en mai son baromètre 2020 de l’insertion des jeunes diplômés, l’insertion de ces derniers ayant un niveau bac + 5 et plus de la promotion 2018 « s’est bien réalisée, dans le contexte positif et stable antérieur au déclenchement de la crise sanitaire ». En effet, d’après les chiffres l’accès à l’emploi se maintient à un niveau élevé puisque 94 % des jeunes ont déjà connu un premier emploi et 85 % occupent un emploi 12 mois après l’obtention de leur diplôme. « Les conditions d’emploi demeurent favorables, la rémunération connaissant une légère augmentation », apprend-on. « Cependant, de nombreux points de fragilité persistent pour certains jeunes diplômés : le processus d’accès à l’emploi demeure fastidieux, se prolongeant parfois sans pour autant donner accès à un poste correspondant à la discipline de formation et ou au niveau de qualification. De plus, des conditions précaires (temps partiel non choisi, contrats non durables) peuvent peser sur leur début de carrière. » L’Apec insiste néanmoins sur l’accroissement des difficultés auxquelles devront faire face les jeunes diplômés avec la crise sanitaire : « Si la conjoncture actuelle liée à la pandémie de Covid-19 est porteuse de nombreuses incertitudes pour l’économie française en général c’est particulièrement le cas sur le chapitre de l’emploi. Et dans ce domaine, ce sont le plus souvent les jeunes diplômés ainsi que les cadres seniors qui courent le plus grand risque de pâtir des difficultés vécues par leurs entreprises. Les promotions 2019 et 2020 seront particulièrement fragilisées par la conjoncture. Cependant, les titulaires des diplômes les plus recherchés, notamment dans les domaines les plus technologiques, continueront à tirer leur épingle du jeu. Il est vrai que ce phénomène déjà connu de surexposition des jeunes diplômés aux risques économiques pourrait être contrecarré par les évolutions plus globales, structurelles celles-là, que connaît depuis plusieurs années le marché de l’emploi. En effet, la nécessité toujours croissante d’innovation et les besoins de plus en plus importants des entreprises en recherche et développement ouvrent et vont continuer d’ouvrir des opportunités pour des jeunes sortant de l’enseignement supérieur, disposant de compétences fraîches et pointues. Dans les secteurs à fort contenu technologique, il est vraisemblable que ce facteur pourra venir tempérer les difficultés d’insertion auxquelles la crise sanitaire amènera les jeunes diplômés à être confrontés. Leur discipline de formation et leur spécialisation constitueront un atout significatif. Dans cette optique, la situation la plus difficile sera celle que connaîtront les jeunes des promotions 2019 et 2020, particulièrement les diplômés des disciplines moins recherchées, qui, de plus, risquent de rencontrer un marché de l’emploi ‘embouteillé’ par leurs aînés de la précédente promotion, n’ayant pas encore trouvé d’emploi ». Côté apprentissage, les prévisions ne sont pas alarmistes. « On sait que le monde du travail va évoluer donc on prépare nos jeunes à ces nouvelles formes d’organisation du travail avec le développement de la robotique par exemple. Le monde change : on sait que les recruteurs ont de plus en plus d’exigences en termes de pluridisciplinarité, de flexibilité alors on adapte notre offre pédagogique. Quoiqu’il en soit, les besoins en recrutement des entreprises sont encore forts, surtout pour le secteur de l’industrie, les besoins de renouvellement de compétences dans la métallurgie sont importants alors pour l’instant, il n’y a pas de craintes particulières », confie Yannick Mahé, directeur du Pôle formation UIMM.
« MOBILISATION EMPLOI » S’OUVRE AUX JOBS SAISONNIERS
Lancée le 2 avril dernier par le ministère du Travail et Pôle emploi, la plateforme « Mobilisation emploi » a enregistré près d’un million de visites et a déjà permis plus de 18.000 recrutements dans les secteurs de la santé, de l’aide à domicile, de l’agriculture, de l’agro-alimentaire, des transports, de la logistique, de l’énergie et des télécommunications. Ces derniers étaient en outre identifiés comme prioritaires durant la période de confinement. Désormais, la plateforme va permettre d’accompagner la reprise d’activité dans de nombreux secteurs en garantissant une large visibilité aux offres d’emplois saisonniers. « Cette plateforme permet aux employeurs de déposer de façon simplifiée leurs besoins en recrutement. Dans la foulée, un conseiller entreprises de Pôle emploi les recontacte de façon systématique. Cet échange personnalisé permet de faire le point sur les critères du recrutement. Le conseiller propose également aux recruteurs de mener, pour son compte, une recherche active de candidats », indique le ministère du Travail. L’objectif ? « Permettre à l’entreprise de rencontrer les différents candidats dans un temps réduit. » Côté candidats, la plateforme revêt aussi quelques avantages puisqu’ils peuvent facilement rechercher des offres par zone géographique, par métier ou par type de contrat et entrer directement en contact avec les recruteurs. « Ceux qui recherchent spécifiquement à travailler pendant la saison d’été bénéficient d’un lien direct vers ces offres. »
Étendue aux emplois saisonniers le 5 juin dernier, la plateforme avait dans la foulée, enregistré déjà plus de 3.000 offres de contrats saisonniers, liés à la reprise progressive de certains secteurs tels que la restauration, le tourisme ou la culture.
LA CRISE : TERREAU FERTILE P DE LA RECONVERSION ?
Pendant le confinement, de nombreux Français se sont penchés sur le sens de leur travail. Un phénomène remarqué à l’échelle locale par les professionnels du recrutement : « Le confinement a donné lieu à des réflexions profondes sur une éventuelle reconversion. Les Français ont pris du recul et remis leurs projets professionnels en question. Désormais, ils souhaitent donner du sens à leur travail. C’est sans doute ce qui explique le fait que nous avons constaté une hausse des demandes de bilans de compétences pendant cette période. Notre volet évolution a également bien fonctionné pendant le confinement. Les formations et les reconversions professionnelles pourraient donc bien constituer les effets positifs de la crise sanitaire », témoigne Marlène Rollet (RH Partners). Une aubaine pour le Comité régional des certificateurs publics (CRCP) Bourgogne Franche-Comté qui accompagne les entreprises dans leurs démarches de validation des acquis de l’expérience (Vae) collective. « Dans cet environnement mouvant qu’est la formation professionnelle avec une myriade de réformes, des systèmes de financements particuliers et une multitude de certifications existantes, les entreprises ayant à cœur de proposer à leurs salariés la valorisation de leurs expériences professionnelles ressentent le besoin d’être conseillées et accompagnées. Notre rôle consiste alors à proposer une réponse individualisée à chaque profil », explique Florence Caramelle, chargée de mission VAE collective pour le CRCP de Bourgogne Franche-Comté. « Nous collaborons aussi bien avec des PME que des grosses entreprises. On peut proposer une VAE collective partout : dans le milieu médical, en logistique, dans la grande distribution… Tous les secteurs sont concernés. D’ailleurs, nous avons de nombreuses expériences avec de grands groupes tels que Amazon, Seb ou encore McDonald’s. » En fait, la VAE collective est un véritable tremplin pour le recrutement dans le sens où elle permet de monter en compétences. Il s’agit également d’une reconnaissance personnelle, idéale pour développer la confiance en soi. « La VAE collective ou individuelle tend à se développer après la crise sanitaire avec le développement du télétravail qui nécessitera des formations auprès de certains salariés peu familiarisés avec les outils numériques », projette-t-elle. « Par ailleurs, la VAE collective permet de maintenir l’employabilité des salariés et de booster les performances d’une entreprise. En termes de recrutement, elle permet notamment d’anticiper l’évolution des métiers et d’analyser les compétences des salariés pour permettre une progression constante de l’entreprise. »
LA CRISE SANITAIRE FAIT ÉMERGER DE NOUVEAUX MÉTIERS
Avec l’obligation, pour les entreprises, de mettre en place des protocoles de sécurité pour juguler la propagation du virus, le déconfinement a contribué à l’apparition de nouveaux métiers. C’est par exemple le cas des référents sanitaires à Pôle emploi. Bruno Maso est l’un d’eux. « Nous avons surtout un rôle d’accompagnant et notre mission était principalement centrée sur l’organisation de la reprise des sites dans un premier temps, puis, sur le respect des gestes par les conseillers et les usagers. Début mai, nous devions particulièrement veiller à ce que le point sanitaire qui a été mis en place à l’entrée de chaque agence était correctement installé. Nous avons également travaillé à instaurer un sens de circulation pour éviter que les usagers se croisent. Nos capacités d’accueil ont aussi été largement revues à la baisse. »
Après avoir accusé une perte totale d’activité en mars et avril en raison du confinement, Florence Roulleau, fondatrice et directrice de l’agence d’hôtes et hôtesses Class & Chic implantée en Bourgogne Franche-Comté depuis dix ans, a décidé d’adapter son activité pour rebondir lors du déconfinement. « Le début d’année a été très compliqué puisque nous avons essuyé un certain nombre d’annulations depuis le 9 mars et notre activité était au point mort pendant les deux mois de confinement. La crise sanitaire a également eu un impact sur les hôtesses qui se sont retrouvées sans revenus du jour au lendemain », déplore-t-elle. De nature optimiste et créative, Florence Roulleau a donc cherché des solutions pour relancer son activité. C’est là qu’est né son concept d’accueil sanitaire destiné aux sites accueillant de fortes populations comme les centres commerciaux. « J’ai initié ce concept car je cherchais un moyen de mettre le savoir-faire et le personnel de Class & Chic au service des autres. La responsabilité de faire observer des règles strictes en matière de distanciation sociale nécessitait un accueil renforcé et adapté pour les entreprises et les surfaces commerciales. Avec des équipes présentes depuis le 11 mai à la Toison d’Or pour accueillir les consommateurs, on s’est immédiatement aperçu qu’il y avait un réel besoin sur le terrain. Au début du déconfinement, les visiteurs étaient désorientés, ils avaient peur d’être contaminés par le virus sans parler des gestes barrière qui constituent de nouvelles habitudes à intégrer pour eux. Pouvoir les accompagner en douceur avec bienveillance était donc essentiel. » Elle poursuit : « Nous avons aussi remarqué l’importance de l’aspect humain pour inciter plus facilement les gens à respecter les consignes en matière de lutte contre le coronavirus. » Pour proposer cet accueil sanitaire qu’elle qualifie de premium, Florence Roulleau a travaillé en amont avec de nombreuses structures telles que l’Agence régionale de santé de Bourgogne Franche-Comté, la Médecine du travail ou encore la Direccte. Class & Chic qui fête ses dix ans cette année prévoit par ailleurs des recrutements à la rentrée pour assurer des missions dans le cadre de la reprise de l’évènementiel.
Sondage : quelle place du numérique dans le recrutement?
Les convaincus
Emily Bessière, directrice Cap Emploi 21
« Le coronavirus a bouleversé notre organisation puisque désormais, on mixe l’accompagnement en présentiel et l’accompagnement à distance. En outre, cette crise aura eu un impact certain sur la dématérialisation notamment au niveau des recrutements. Le confinement a aussi accéléré notre prise de conscience sur la fracture numérique qui touche notre public. En effet, la majorité des personnes que nous suivons est très peu à l’aise avec les outils informatiques. Nous allons donc développer auprès d’elles un accompagnement aux technologies pour inciter à la création de cv, portfolios en ligne, cv vidéo, page professionnelle sur les réseaux sociaux comme Linkedin… Le but est aussi de faire comprendre l’importance de l’e-réputation. Ces nouveaux outils sont parfaitement adaptés au recrutement à distance et peuvent permettre de briser certaines idées préconçues comme passer outre la mention ‘travailleur handicapé’ grâce à une présentation vidéo. »
Carole Girard, vice-présidente de la commission prospective Compétences au Medef de Côte-d’Or
« Nous avions déjà comme projet d’évolution, le développement de l’usage du numérique dans nos pratiques. La crise sanitaire n’a fait qu’accentuer et accélérer ce pli qui est amené à se pérenniser dans le temps d’autant plus que les technologies permettent de rapprocher les territoires… Nos adhérents ont très bien accueilli ces outils même si ça ne remplace pas le lien physique. L’idéal serait donc de pouvoir mixer présentiel et distanciel. »
Les hésitants
Loïc Bourgey et Régis Lapalus, dirigeant respectivement de l’agence Temporis Dijon Sud et Dijon Nord.
« Le recrutement uniquement par téléphone et webcam nous semblait insuffisant. Les entretiens physiques ont donc repris le 11 mai », lance Loïc Bourgey.
Régis Lapalus complète : « Nous avions la volonté de faire une distinction entre la brutalité de la situation en gardant un lien physique dans le respect des gestes barrière. L’idée était en fait de s’adapter plutôt que de se limiter à du recrutement sur des outils digitaux. »
Marlène Rollet, consultante RH chez RH Partners
« Ce confinement a permis de mettre un point en lumière : le contact humain est essentiel en recrutement. En effet, les entretiens et les tests de compétences par Skype se sont généralisés mais nous avons en plus dû planifier des entretiens physiques au cabinet après le confinement. Lors de ces entretiens, nous avons par ailleurs capté des éléments qui sont imperceptibles sans contact physique comme par exemple la manière de se présenter à l’agence. Derrière un écran, le candidat se met en scène, un entretien physique permet d’avoir une vision plus transparente. On ne peut pas se positionner à distance sur un candidat quand on fait du qualitatif. La crise a en effet alourdi notre processus de recrutement avec un enjeu de rentabilité car le recrutement à distance a nécessité plus de temps pour moins de recettes. Bref, l’intelligence artificielle et les algorithmes ne sont pas prêts à nous voler notre travail ! »
Les convertis
Philippe Le Bel, Développement commercial
et communication RH chez RH Solutions
« Nos ateliers en visioconférence nous ont permis de capter des publics qui ne seraient pas forcément venus en présentiel. Grâce au numérique, notre cible s’est élargie, on a eu des publics originaires du Grand Est par exemple. Il est évident que la technologie brise les frontières géographiques. Nous serons donc amenés à davantage utiliser les outils numériques car le confinement nous a fait prendre de nouvelles habitudes et a ouvert de nouvelles perspectives notamment en termes de conseils et de formation. Pour autant, le numérique ne remplacera pas le contact humain tout simplement car certains aspects de notre activité doivent être réalisés en présentiel. Bien sûr, identifier les besoins d’une entreprise sur le terrain ou encore former sur la manière de réaliser une tâche ne peuvent pas être faits à distance. Cela dit, 80 % de notre activité se faisait déjà en télétravail avant la crise sanitaire… »
Laure Trouilloud, Présidente de Consult RH
« Évidemment, un entretien en visio ne remplace pas un entretien physique mais c’est déjà mieux que par téléphone. Une visioconférence permet de déceler la gestuelle et la communication non verbale du candidat, c’est un outil très pratique qui m’a permis de maintenir mon activité. Et, très honnêtement, en dehors de la poignée de mains, ça n’a rien changé ! Pour ce qui est de cerner la personnalité d’un candidat, l’entretien en visio ne change pas vraiment d’un entretien physique : dans tous les cas, les candidats ne sont pas naturels. Les technologies numériques s’adaptent aussi à ma mission de formation, c’est même plus confortable car ça m’évite de faire de longs trajets ! »
Yannick Mahé, Directeur du Pôle formation UIMM
« Étant donné que toutes nos manifestations organisées traditionnellement en présentiel ont été annulées, nous avons dû nous réinventer. Ainsi, nous avons proposé du job dating à distance et des portes ouvertes virtuelles, nous allons d’ailleurs conserver ce concept une fois la crise sanitaire passée pour les jeunes qui ne peuvent pas forcément se déplacer. Concernant les formations, nous avons dû adapter leurs contenus en distanciel en un temps record. Des classrooms virtuelles ont été lancées et pour l’anecdote, l’un de nos formateurs a même installé le matériel nécessaire aux cours dans son garage ! D’un point de vue positif, avant le confinement, seulement 6 % de la formation était digitalisée, l’objectif pour l’an prochain c’est d’atteindre les 20 %. »
Véronique Guillon, déléguée générale de l’UIMM de Côte-d’Or
« Des outils comme la visioconférence permettent un gain de temps même si cela a des limites, notamment dans le cadre de la formation, on ne peut pas toujours expliquer à distance. La meilleure option serait de pouvoir faire un maillage entre la technologie et l’humain. »
Marc Defaut, président de CTP 21
« Les moyens numériques ont induit de nouvelles formes de travail, à savoir le télétravail, les visioconférences etc. Dans notre domaine, pour les activités de consulting, le télétravail était déjà une habitude. »