Quelles leçons du Covid pour les entreprises ?

Retour sur les deux mois de confinement pour les entreprises et sur les leçons que devront tirer de cet épisode du Covid-19 les acteurs du monde économique.

Pendant deux mois, les entreprises ont été confrontées à un confinement sans précédent et aux conséquences inédites sur leur activité, leur rapport à l’économie, au travail et à leurs salariés. Comment ont vécu les acteurs locaux cette période pas comme les autres ? Retour sur cet épisode avec Jean-Luc Larcher, directeur général de la CCI des Ardennes, Christian Brethon, chef d’entreprise, président de l’UIMM Champagne-Ardenne et du Medef Marne et Nicolas Dubois, dirigeant de l’entreprise ardennaise Embal’ Systeme et président de la CPME des Ardennes.

La première phase du confinement à l’issue des annonces gouvernementales a donné lieu à la fermeture de nombreuses entreprises, notamment les commerces. « Nous nous sommes immédiatement réorganisés pour répondre aux attentes nouvelles des entreprises. Les conseillers de la CCI 08 se sont mobilisés pour apporter éclairage, accompagnement et conseils sur la mobilisation des différentes aides », souligne Jean-Luc Larcher. « Tous les commerçants avaient déjà été confrontés aux mêmes difficultés (gilets jaunes, grève contre la réforme des retraites… et pour certains les activités vont aussi être ralenties pendant les vacances d’été ». D’où l’intérêt d’un accompagnement et d’une écoute renforcés par les conseillers auprès des chefs d’entreprise concernés par les fermetures, les demandes d’aides (PGE, loyers, reports de charges…) et les questions sanitaires.

La CCI a connu ensuite une seconde phase, à l’approche de la date du déconfinement. « Nous avons accompagné nos ressortissants sur les questions des mesures sanitaires et des EPI (équipement de protection individuelle) à mettre en place, avec la diffusion des fiches métiers », souligne Jean-Luc Larcher.

« Notre principal sujet c’est davantage la reprise que la relance », insiste Christian Brethon, chef d’entreprise, président de l’UIMM Champagne-Ardenne et du Medef Marne. « On ne peut que saluer les décisions gouvernementales au sujet du chômage partiel, du PGE, du fonds de solidarité, etc. Toutefois, il ne faut pas s’arrêter au milieu du gué. On a un peu vite oublié l’importance de la reprise pour aller directement vers la relance », regrette-t-il.

« Au sein de l’entreprise, nous avons continué à travailler sur place, notamment pour la partie production, le secteur commercial étant lui, mis en télétravail, note Nicolas Dubois, dirigeant de l’entreprise ardennaise Embal’ Systeme et président de la CPME des Ardennes. Notre première priorité a été de livrer nos clients avant la mise en place du confinement et de terminer les commandes qui nous avaient été passées. Puis nous nous sommes penchés sur la trésorerie car 90% de nos clients ont cessé leur activité en mars ».

LE TÉLÉTRAVAIL EN QUESTION

« Le télétravail c’est un sujet compliqué : il faut faire attention aux généralités. Il ne faut pas réglementer au niveau national mais au sein de l’entreprise. Pour beaucoup de métiers c’est compliqué à appliquer et à mettre en œuvre ».

L’ENDETTEMENT DES ENTREPRISES

Première priorité pour le président du Medef Marne : garder toutes les entreprises vivantes. « En moyenne, les entreprises ont une capacité de remboursement de l’ordre de 7%. Certaines sont aujourd’hui entre 10% et 15%. Dans ces conditions là elles ne pourront pas investir. Or, dans le cadre de la reprise, les besoins en fonds de roulement vont être très importants », explique -t-il, estimant « à 30% le nombre d’entreprises qui vont être à genoux ».

Son idée ? Passer le PGE en haut de bilan, le transformer en participation avec un remboursement sur deux ans et un amortissement sur 10 ans. S’il regrette que le Business Act de la Région Grand Est (voir PAMB No 7865 du 25 mai) ait été réfléchi et conçu sans l’UIMM ni le Medef, il espère que les entreprises vont pouvoir rouvrir et remplir leurs bons de commande.

« Nous avons aujourd’hui 4 000 milliards d’euros d’épargne sur le Livret A qui ne rapporte plus rien. Il faudrait inciter cette épargne à aller vers des fonds de recapitalisation des entreprises, qui seraient gérés à grande échelle, nationale plutôt que régionale. Ne peut-on pas mettre en place un fonds destiné à réorienter l’épargne vers les entreprises ? »

L’ADMINISTRATION POINTÉE DU DOIGT

« Nous avons trouvé des fournisseurs de masques en Asie. Seulement quatre jours se sont écoulés entre la commande et la réception aux frontières. Or il nous a fallu attendre 8 jours de dédouanement en France pour les récupérer », déplore Christian Brethon qui a fait remonter l’information en Préfecture. Un avis partagé par Nicolas Dubois, qui a vécu une expérience similaire avec une commande de masques en Suisse bloquée à la frontière pendant deux semaines. « On a l’impression qu’il y a une France à deux vitesses : celle des gens qui se démènent pour faire avancer et une administration qui met des bâtons dans les roues à l’économie et au monde réel. On nous demande de faire redémarrer le pays et on finit par être bloqué par une administration, c’est pénible.»

Pour Christian Brethon, « Certaines entreprises n’ont pas encore repris en raison d’un vent de panique sur la responsabilité pénale des chefs d’entreprise. C’est à cause de cela que beaucoup de boîtes ont fermé au début du confinement. Nous constatons que le rapport au risque n’existait presque plus. Nous sommes dans une société qui n’assume plus le risque et c’est très inquiétant ».

Il se montre même inquiet pour la fin de l’année. « Aujourd’hui les entreprises sont sous perfusion : elles ont touché le PGE et mis une partie de leurs salariés en chômage partiel. Mais la prise en charge du chômage partiel va diminuer progressivement. Et dans certains secteurs d’activités, les premières grosses commandes n’interviendront pas avant début 2021 ».

« Nous avons sollicité le PGE qui a été mis en place très facilement. Il nous a permis d’anticiper les problématiques d’encaissement de mars à juin avec un plan de trésorerie », apprécie Nicolas Dubois, plus réservé quant aux annonces de Bruno Le Maire concernant la prime de 1000 euros à verser aux salariés. « C’est une annonce qui nous a fait beaucoup de mal : du fait de notre convention collective nous étions déjà amenés à compenser les baisses de salaires dues au chômage partiel. Pour les petites entreprises comme la mienne, cette prime de 1000 euros correspond à la plus grosse prime que nous avons versé pour une année entière. C’est quasiment impossible de nous aligner ».

LES SOLUTIONS

« Pour compenser la perte de chiffre d’affaires, nous nous sommes positionnés sur la distribution de masques en tissus. Nous avons trouvé un stock de masques en France et à l’étranger et nous démarrons la distribution de masques chirurgicaux et de surblouses », explique Nicolas Dubois qui propose désormais des produits made in Ardennes.

Pour les équipements de protection individuelle (EPI), la CCI des Ardennes s’est associée à la Chambre des Métiers et à la Chambre d’agriculture afin de trouver les solutions les plus adaptées aux professionnels, notamment via la mise en place d’un drive permettant à ces derniers de se fournir en équipements de protection made in Ardennes. Un drive qui a poursuivi son activité post-déconfinement et qui accompagne désormais la préparation à la réouverture des derniers métiers fermés. « Les principaux enjeux de réouverture aujourd’hui concernent les cafetiers et restaurateurs. Nous nous y préparons même si nous craignons que le temps soit très long pour certains de remonter la pente », explique Jean-Luc Larcher.

ET DEMAIN ?

Pour le président de la CPME des Ardennes, le futur proche doit se construire avec les collectivités : « Il faut que les collectivités locales et territoriales relancent la commande publique. Il ne s’agit pas de subvention mais d’achat de service et d’équipements concrets et utiles indispensables pour que l’économie redémarre. Il semblerait que ça ne soit pas la priorité aujourd’hui des collectivités et c’est bien dommage ».

Jean-Luc Larcher l’admet : « Nous observons quelques changements de mode de consommation avec un retour vers le commerce de proximité et les circuits courts. Cela ne peut être que positif car cela fait travailler les entreprises du territoire avec des emplois à la clé. En terme de transport et de logistique, c’est aussi plus favorable au niveau environnemental ».

De son côté Christian Brethon est partagé : « Malgré les difficultés, dans un sens tout cela est passionnant pour l’avenir », reconnaît-il. « Aura-t-on bonne mémoire et utilisera-t-on cette leçon de manière vertueuse ? Malheureusement, en 2008-2009, on s’est aperçu qu’une fois l’inquiétude passée, les mauvaises habitudes reviennent au galop.Il faut être conscient que relocaliser a un coût. Même si j’ai bon espoir, j’ai un peu peur que les bonnes résolutions ne tiennent pas très longtemps ».