Malgré la venue de la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, les élus aubois sont toujours inquiets quant aux conséquences économiques dans le barsuraubois.
C’est la prison des fortes têtes. Une réputation qui colle depuis toujours à la maison centrale de Clairvaux qui a accueilli des pensionnaires ayant défrayé la chronique judiciaire comme le terroriste Carlos, le tueur en série Guy Georges mais aussi l’écrivain Charles Maurras sans oublier Buffet et Bontems, qui en 1971 y ont égorgé une infirmière et un surveillant.
Annoncée en avril 2016 par Jean-Jacques Urvoas, puis confirmée en 2017 par Nicole Belloubet, garde des Sceaux, la fermeture de la maison centrale de Clairvaux est programmée pour 2022. En prévision, des bâtiments et ateliers ont déjà été démolis et il ne reste désormais qu’une soixantaine de détenus condamnés à de longues peines ou à perpétuité. Il y a peu de temps encore, l’une des plus vieilles prisons de France hébergeait 125 détenus pour 200 surveillants. Nicole Belloubet est venue visiter la maison centrale de Clairvaux pour la première fois, début juillet. En venant dans l’Aube, la garde des Sceaux savait qu’elle n’arrivait pas en terrain conquis tant le traumatisme de l’annonce de la fermeture de la centrale est encore vivace. « Il n’est jamais trop tard pour changer d’idée, surtout lorsque elle est mauvaise », lance le sénateur Philippe Adnot. Il est vrai que l’incompréhension a été totale dans ce secteur aubois déjà en difficulté, d’autant qu’en même temps que la fin de la prison était programmée, un chantier de modernisation de 12 millions d’euros était lancé. C’est donc un établissement qui ne semble pas particulièrement vétuste que Nicole Belloubet a visité, ce qui n’a pas influencé son avis sur la question. « J’aurais pensé qu’après cette visite, vous auriez eu quelques regrets sur les décisions ministérielles, prises à Paris. Mais quel est votre avis personnel sur l’état actuel de la centrale de Clairvaux ? », questionne le député Gérard Menuel. « Je considère que la parole de l’État doit avoir un minimum de stabilité : une décision a été annoncée en 2016 et je ne peux que la maintenir », rétorque la garde des Sceaux. D’autres élus aubois ont joué les frondeurs, comme Philippe Pichéry, qui s’inquiète des conséquences économiques de la fermeture de Clairvaux dès 2022. « Sans tirer de plans sur la comète, aucun projet de remplacement ne sera opérationnel en 2022 alors que les emplois auront disparu ainsi que les marchés de la centrale », regrette le président du Conseil départemental de l’Aube. Philippe Adnot poursuit la mutinerie en regrettant que « l’Etat n’ait pas mis en place un fonds compensatoire, comme il l’a fait à Châlons pour la fermeture des casernes militaires ».
APPEL À IDÉES
À défaut d’arriver avec une enveloppe financière dans les mains, Nicole Belloubet est venue avant tout proposer des solutions pour donner une nouvelle destination au site de Clairvaux après la fermeture de la centrale.
Les 30 hectares confinés dans un mur d’enceinte de 3 kilomètres constituent un ensemble hors du commun.
Fondée en 1115 par Bernard de Clairvaux et douze moines comme le veut la tradition, l’abbaye médiévale cistercienne a longtemps été occupée par des moines, avant de devenir un site industriel, et enfin, sous Napoléon, une prison. Aujourd’hui, une partie du lieu chargé d’histoire est ouverte aux visiteurs. « Je suis frappée par l’immensité du lieu et sa richesse architecturale symbolique dans la construction de notre histoire religieuse », souligne Nicole Belloubet. La garde des Sceaux est venue à Clairvaux pour lancer un appel à idées sur le devenir du site. Tout le monde peut y participer, via un site internet dédié. « C’est un appel à idées international, Bercy a mobilisé Business France pour attirer l’attention d’opérateurs étrangers », souligne-t-elle. Dans neuf mois, une ou plusieurs idées seront choisies. Dans un deuxième temps, un appel à projets sera lancé pour retenir cette fois les opérateurs à qui le site sera vendu ou loué, en fonction des dossiers. Sur le plan social, les surveillants de Clairvaux trouveront un poste à Lavau, la nouvelle maison d’arrêt de Troyes, dont l’ouverture est justement prévue en 2022. Le délai semble court pour trouver des activités de remplacement dans le barsuraubois.
L’État, les collectivités locales, les chambres consulaires et la Banque des territoires ont signé une convention de redynamisation pour y travailler dès maintenant. Les premières idées ont déjà fusé, comme évidemment un pôle culturel cistercien mais aussi un musée des prisons ou encore un centre de réinsertion. « Lorsque les projets seront décidés, l’État prendra sa part d’accompagnement financier », promet Nicole Belloubet. Mais il faudra aussi mobiliser d’autres fonds, privés ou publics, pour donner une seconde vie au site.
Une entreprise en prison
Un atelier de fabrication de chaussures produit 18 000 paires par an avec des détenus.
Alors que la fabrication française de chaussures se réduit comme peau de chagrin, les ateliers au sein des prisons restent actifs dans ce domaine.
Le fait est peu connu, mais les détenus de la centrale de Clairvaux fabriquent chaque année 18 000 paires de chaussures, essentiellement pour les besoins de l’administration pénitentiaire, la police et l’armée. Des chaussures type rangers et des ceinturons fabriqués tout au long de l’année dans un atelier où travaillent 36 personnes. « Il y a quelque temps encore encore il y avait deux ateliers de cette taille à Clairvaux », rappelle le responsable de cette activité qui existe également dans d’autres prisons françaises. Le second atelier de la centrale auboise a été démoli lors des récents travaux de modernisation de l’établissement pénitentiaire.
RÉINSERTION EN VUE
Faire fonctionner une entreprise en milieu carcéral n’est pas simple puisqu’il faut former les détenus à un métier qu’ils ne connaissent pas. « C’est pourquoi nous ne travaillons pas pour des donneurs d’ordres extérieurs car il serait compliqué de multiplier les modèles », indique le responsable de l’atelier de Clairvaux. Condamnés généralement à de longues peines, les détenus volontaire pour la fabrication de chaussures ont acquis les gestes précis du métier. « C’est toujours utile d’apprendre un métier pour leur réinsertion après la sortie de prison, mais travailler en prison c’est avant tout un moyen de faire passer le temps plus vite car les journées paraissent toujours très longues en détention », conclut le responsable de l’atelier. Avec la fermeture de la centrale de Clairvaux en 2022, c’est aussi cet atelier de fabrication de chaussures qui cessera ses activités…