Quand une coopérative forestière acquière une scierie

(Photo : JDP)

Face à la mondialisation des marchés du bois et la paupérisation de certain secteur d’activité, la coopérative forestière Forêt et Bois de l’Est a répondu par une stratégie originale d’intégration verticale en aval de son métier historique d’exploitant forestier. En se portant acquéreur en 2016 de la scierie Genet, basée à Luxeuil-les-Bains en Haute-Saône, elle offre à ses adhérents un nouveau débouché à haute valeur ajoutée. Alain Jacquet, directeur de la coopérative répond à nos questions.

Le Journal du palais. Tout d’abord pouvez- vous nous présenter Forêt et Bois de l’Est ?

Alain Jacquet, directeur de la coopérative forestière Forêt et Bois de l’Est. Notre structure, dont le siège social est basé à Épinal (88) est active depuis bientôt trente ans. Elle est spécialisée dans le secteur d’activité de l’exploitation forestière. Nous couvrons un grand quart nord-est de la France (Franche-Comté, Lorraine, Champagne-Ardenne et quelques exploitations en Bourgogne). Nous comptons plus de 6 000 adhérents propriétaires forestiers et gérons près de 80 000 hectares de forêts en résineux, feuillus et peupliers. Ces adhérents souscrivent au moment de leur adhésion des parts de capital et un engagement qui correspond au type d’activité qu’ils souhaitent confier à la coopérative (collecte – vente et/ou service et/ou approvisionnement). Nous employons 120 salariés, réalisons un chiffre d’affaires de 42 millions d’euros et un résultat opérationnel de 700 000 euros. Nous intervenons principalement sur trois métiers : la gestion forestière, qui est le cœur de notre métier, les travaux forestiers (entretien des peuplements et plantation) et la récolte et commercialisation du bois. Cette dernière activité est en augmentation ces dernières années.

Qu’est-ce qui vous a conduit, en 2016, a vous porter acquéreur de la scierie Genet à Luxeuil-les-Bains ?

Le marché de l’exploitation forestière en France connaît actuellement quelques difficultés, notamment sur les feuillus. La mondialisation a conduit les exploitants à se focaliser sur la récolte de la ressource et sur l’exportation de bois non transformé. Ce qui à long terme représente un mauvais calcul car la valeur ajoutée se crée loin de nos frontières. En gérant une activité de négoce qui prend le pas sur l’industrialisation, nous rendons notre bois difficile à valoriser. De plus, la surreprésentation de l’exportation de bois non transformé conduit à une certaine paupérisation des scieries locales. Depuis quelques années commence à émerger chez certaines scieries leader une approche produit-client qui va de pair avec des investissements en machines spécifiques. Mais cela reste marginale. C’est pourquoi, fin 2000, nous avons réfléchi à une stratégie à long terme qui permette de sécuriser l’approvisionnement des unités de transformation.

Qu’elle fût-elle ?

Nous avons choisi d’intégrer très progressivement l’aval de la filière par la prise de parts dans des unités de transformation. En 2006, il y a eu cette opportunité d’acquérir la scierie Genet. Cette affaire familiale fondée il y a près de 70 ans et dirigée par deux frères aux profils très complémentaires (l’un spécialiste de l’amont et l’autre de l’industrialisation et de la commercialisation) avait tout pour nous séduire.

Pourquoi ?

De leur côté, s’adosser à des gens qui comme nous maîtrisent la matière leur permettait de régler leur problème de ressource en bois. Pour la coopérative, cette scierie spécialisée dans le sciage de hêtre, de chêne et de frêne était intéressante car ses propriétaires avaient déjà travaillé sur la valorisation du produit. Innovante à plus d’un titre, elle dispose d’un savoir-faire pointu et d’installations modernes pour produire des pré-débits secs de haute qualité. C’est-à-dire des produits à valeur ajoutée, directement industrialisables par le secteur de la seconde transformation.

Comment la transmission s’est-elle opérée ?

Nous avons été accompagnée pendant 18 mois par les deux frères. Ils ont formé Jérôme Klotz-ancien directeur commercial de la coopérative – au poste de directeur du site. Et notre ancien responsable commercial feuillu est devenu responsable des achats bois chez Genet. Côté juridique, les deux frères ont cédé l’intégralité du capital, désormais logé au sein d’une structure ad hoc détenue majoritairement par la coopérative. La scierie emploi aujourd’hui 40 personnes sur 16 hectares de superficie et réalise un chiffre d’affaires d’environ neuf millions d’euros.

Pouvez-vous nous en dire plus sur ce qui fait de Genet une « si belle mariée » ?

L’originalité des frères Genet tient dans la philosophie de leur démarche, qui a toujours soutenu leur choix de développement. La forêt française est très hétérogène et quand on travaille en flux tiré – ce qui est le cas dans la majorité des scieries – cela conduit à faire un tri extrêmement sévère des bois avec d’importants sacrifies sur le produit. Les deux frères ont choisi, à l’inverse, de faire de l’hétérogénéité un atout, en s’efforçant de tirer la quintessence du produit, notamment, par la gestion d’un stock important de produits intermédiaires. Un tel stock permet également de répondre quasi instantanément à n’importe quelle commande.

Par quel process ?

Chaque jour la scierie reçoit quatre camions de grumes. Cela représente 22 000 mètres cubes de grumes sciées par an (60 % de hêtre, 30 % de chêne, 10 % de frêne, charme ou encore peuplier), dont 30% proviennent des propriétaires de la coopérative. La plus grande originalité du site tient dans son outil industriel extrêmement souple qui permet un tri poussé à chaque étape de production, afin d’utiliser quasiment 100 % du bois. Ainsi, le scieur de tête orchestre toute l’activité de la scierie via deux lignes parallèles qui permettent de traiter des produits de dimensions et de qualité différentes. On peut ainsi changer instantanément d’essence et de longueur. Cet outil permet une optimisation des produits en fonction des qualités et des commandes, de gérer l’alimentation des bois et l’équilibrage des postes de travail en aval de la scie. D’autre part, chez Genêt rien ne se perd: les déchets comme la sciure sont récupérés pour d’une part alimenter les usines de panneaux de particules environnantes (Ikéa, CFP, Egger…), les chaufferies collectives, mais aussi les deux chaudières à bois du site, dont l’énergie produite sert à faire fonctionner les 15 séchoirs de la scierie, autre spécificité des lieux. En effet, ce dispositif assure mensuellement le séchage progressif de quelques 1 200 mètres cube de planches, selon des cycles qui varient en fonction de l’essence, la qualité et l’épaisseur. Cette maîtrise précises de ces paramètres et un vrai savoir-faire des frères Genet, qui permet d’obtenir des bois qui ne bougent pas au niveau de la couleur et de la forme. La découpe est également rationalisée par des opératrices qui tracent à la craie magnétique les défauts. Le calculateur optimise ensuite les découpes en fonction des marquages et des commandes programmées en lien avec les attentes des clients.

Quel sont les clients de la scierie ?

Ils sont de toutes natures. On réalise aussi bien des traverses pour les voies ferroviaires, des planches de mobilier de cuisine et salle de bain, de l’ameublement haut de gamme, du jouet en bois, du bois de construction, des lames de terrasse, du parquet, des lattes de sommiers, des ossatures de canapé, mais aussi quelques niches à haute valeur-ajoutée, comme les moulins à poivre Peugeot.