Quand les patrons cèdent en Scop

Florence, Elodie, Cassandra, Chantal, Christel, Marie-Claire, Michelle et Myriam (absente sur la photo) sont désormais associées à parts égales dans la Scop les Salaisons de Campagne des halles de Dijon. (Crédit : Journal du Palais)

Accompagner ses salariés dans la reprise de son entreprise en Société coopérative et participative (Scop) permet d’en assurer la pérennité, d’installer en douceur la transition et de préserver les emplois. Les clés de la réussite : des relations de confiance, du temps, de la ressource humaine et des conditions financières favorables. La transition conduit à un investissement plus fort des coopérateurs, désormais parties prenantes du devenir de l’activité. Pour les cédants, il peut s’agir de transmettre au moment d’un départ à la retraite mais aussi d’un désir de travailler autrement, plus collectivement.

En septembre 2018, les Salaisons de Campagne sont devenues une Scop. Leur dirigeante est désormais l’une des associées aux côtés de ses sept anciennes salariées. Ce statut a rendu possible la reprise en interne et a changé les places assignées à chacune en matière de responsabilités.

DE SALARIÉES À ASSOCIÉES : HUIT FEMMES AUX MANETTES

Quand sa fille jette l’éponge après huit ans au sein des Salaisons de Campagne, Michelle Poinssot se retrouve au pied du mur : comment transmettre son entreprise et à qui ? « À nous », répond en plaisantant Christelle, l’une de ses salariées. Mais l’idée fait son chemin, d’autant que la gérante est déterminée à éviter à tout prix les licenciements, elle qui a accompagné depuis 1979 trois générations d’employées. Le processus de transformation et de rachat de l’entreprise en Scop a nécessité une année entière durant laquelle l’équipe – toutes des femmes – a été accompagnée par l’Union régionale des Scop. Il a fallu découvrir le statut, « ses inconvénients mais surtout ses avantages », précise Michelle Poinssot, et monter le dossier de reprise en Scop. Les salariées ont eu à prendre une décision commune pour leur avenir professionnel : « Nous avons pris le temps de la réflexion puis décidé ensemble d’accepter la proposition. »

PEUR DES LICENCIEMENTS

Ce qui les a convaincues ? La perspective de continuer à travailler ensemble – elles s’entendent très bien, y compris avec leur ancienne patronne – et la peur « d’un nouveau patron qui veuille tout changer ». Entendez licencier, comme le craignait Michelle Poinssot : « Une tierce personne serait venue avec ses ambitions, ses crédits à rembourser. Et peut-être aussi avec la nécessité d’employer des personnes de sa famille. Il y aurait certainement eu des pertes d’emploi. »

Impossible aussi que l’une d’entre-elles reprenne seule Les Salaisons de Campagne, car « cela aurait fait beaucoup trop financièrement ». À contrario, la reprise en Scop a bénéficié d’une aide substantielle de la région Bourgogne Franche-Comté, qui a servi de mise de fonds pour le rachat, même si chacune a dû faire appel à son épargne ou à un prêt bancaire pour acheter ses parts. Toutes ont joué le jeu de la reprise en Scop et ont élu à la quasi-unanimité Élodie Frère, 32 ans dont sept passés dans l’entreprise, pour devenir leur nouvelle gérante. De nouvelles responsabilités pour elle, accompagnée pas à pas par l’ancienne dirigeante, mais aussi pour toutes les associées. « Nous avons partagé le travail et les responsabilités en parts égales », explique Michelle, tandis que ses associées détaillent leur parcours : « Nous avons tourné sur les postes et appris sur le terrain à prendre plus d’initiatives. Chacune a la responsabilité de son rayon, prépare ses commandes et gère son stock. Avant, c’était Michelle qui faisait tout. »

ÉMANCIPATION ET MOTIVATION

Pour Élodie Frère, c’est aussi une montée en compétence : « J’ai appris le contact avec les fournisseurs, les rendez-vous, la caisse, la banque. J’assimile en douceur le métier de gestionnaire ». Désormais solidaires d’une même entreprise, les anciennes salariées ont vécu sans heurts cette petite révolution qui saute pourtant aux yeux d’une Michelle Poinssot pleine de bon sens : « Quand vous n’engraissez plus personne, que vous gagnez plus et que c’est pour vous, cela change le raisonnement, la motivation. D’autant que toutes les associations ont touché dès fin 2018 les fruits de leur travail ». Pourtant, pas question pour les coopératrices de dire que l’argent est la clé du succès. Ce sont plutôt l’entente et la présence bienveillante de Michelle
Poinssot.
Comment voient-elles l’avenir ? « Avec du positif, plein de clients, un bon chiffre d’affaires », d’autant que « la patronne » comme l’appelle encore ses associées à son corps défendant, à la retraite officiellement depuis huit ans, ne montre pas l’envie de quitter le navire. Ce qui rassure tout le monde : « Michelle, c’est notre noyau dur, personne n’aurait repris si elle n’était pas restée. »

5 MILLIARDS
5 milliards d’euros : c’est le chiffre d’affaires des 3 177 entreprises du mouvement Scop.
14 % des créations sont des transmissions d’entreprises saines, 65 % des créations ex-nihilo et 10 % des reprises d’activités en difficulté.
Source : www.les-scop.coop/sites/fr

« LA SATISFACTION D’AVOIR FAIT MONTER UN GROUPE, DE VOIR LA FORCE DU COLLECTIF »
La biocoop La Canopée de Bensaçon est devenue une scop fin 2018. Treize des 25 salariés en sont désormais associés. Didier Maillotte, l’ancien patron devenu gérant élu, en est très satisfait.
« Nous avons ouvert avec ma compagne un premier magasin en 2007. Nous sommes aujourd’hui 25 salariés avec deux magasins. Il y a deux ans et demi, nous avons impulsé une volonté de passage en Scop. J’ai 54 ans et encore huit à dix ans devant moi avant la retraite. Mais l’on entend trop souvent que la transmission n’a pas été suffisamment anticipée. Ou qu’elle s’est mal passée pour les équipes parce que le repreneur a une vision différente de celle du cédant. Avec la Scop, la vision ne sera peut-être pas la même dans dix ans, mais l’évolution se sera faite en douceur, par la volonté collective. Nous avions aussi des salariés avec de fortes compétences que nous ne voulions pas voir partir. Mais nous restons une petite structure, avec peu de possibilités d’évolution forte. Le projet de Scop a énormément motivé les salariés parce que, si le quotidien de l’entreprise reste le même, il y a en plus une vision globale et une prise de décision collective. Nous avons organisé deux réunions par mois avec les salariés et finalisé notre passage en Scop en décembre 2018.
Aujourd’hui nous sommes 13 salariés associés. La volonté de l’équipe étant que je reste gérant, nous avons défini dans les statuts que je serai élu pour un mandat de quatre ans. La volonté collective était aussi de faire monter un salarié en co-gérance. Celle-ci devrait être effective d’ici un an. Ma plus grande satisfaction est d’avoir fait monter un groupe, de voir la force du collectif, cela me rassure pour l’avenir. Depuis le passage en Scop, nous continuons nos réunions et prenons les décisions ensemble. Ce qui n’est pas si simple ! Pour cela nous nous formons à des outils de gouvernance partagée. Et nous avons veillé à ce qu’il n’y ait pas de hiérarchie dans le quotidien entre les associés et les autres salariés. Il faut rassurer les cédants sur le passage en Scop. D’abord sur le fait qu’on valorise bien ses parts. Et puis transmettre à ses salariés, c’est une approche facilitante et un souci de moins le jour où l’on s’en va ».

« LA PRÉSENCE DE L’ANCIEN DIRIGEANT RASSURE LES SALARIÉS »
Fabrice Azevedo, directeur de l’union régionale des scop, revient sur les conditions, pour les deux parties, de la transmission en scop.
Le JDP : Comment se forment les projets de reprise en Scop par les salariés ?
Fabrice Azevedo : Les projets de transformation sont le plus souvent à l’initiative des dirigeants. L’image de la transmission en Scop est encore trop souvent celle de la reprise d’une entreprise en difficulté alors que la reprise d’affaires saines se développe. Ainsi, nous avons accompagné récemment la Biocoop de Lons-le-Saunier, celle de Besançon, ou encore les Salaisons de Campagne à Dijon.
Pourquoi ces chefs d’entreprise viennent-ils à la solution de la reprise par leurs salariés?
Plus que la difficulté à trouver un repreneur, c’est l’attachement à l’entreprise, la confiance dans les salariés, l’envie de préserver les emplois et de faire perdurer le projet qui prévalent. Cela permet de céder en douceur l’entreprise. La transformation intervient suite à la retraite du vendeur, comme pour la Biocoop de Lons-le-Saunier, mais aussi avec les cédants plus jeunes qui veulent continuer à travailler dans l’entreprise, comme à la Biocoop La Canopée de Besançon. La présence de l’ancien dirigeant rassure les salariés et leur laisse le temps de développer une capacité à gérer l’entreprise. La caractéristique d’une reprise par les salariés, c’est le temps lond. Cela rassure aussi les partenaires financiers qui voient d’un bon œil les bonnes relations entre cédants et repreneurs.
Qu’est-ce qui peut empêcher cette reprise?
D’abord, l’absence en interne des compétences. Plus les projets sont petits, plus cela risque d’être le cas. Mais quand les dirigeants nous contactent, c’est qu’ils ont déjà en tête que c’est possible. Il faut aussi que les salariés aient une capacité de financement, il faut s’entendre sur le prix, les modalités de reprise, trouver des financeurs. La subvention Emploi Tremplin Scop versée par la région donne un coup de pouce : jusqu’à 3 000 euros par salarié, et 3 000 de plus s’il s’agit de publics prioritaires. À cela s’ajoute la palette d’outils financiers du réseau des Scop et les financements traditionnels. Et les projets repris se portent bien, avec une viabilité plus élevée qu’en création ex-nihilo.

L’équipe au complet de la Biocoop La Canopée, avec à droite son gérant et ancien patron, Didier Maillotte. La Scop affiche un chiffre d’affaires de six millions d’euros et une parité dans sa gouvernance : sept femmes et six hommes. Le réseau Biocoop compte un tiers de ses magasins en coopératives et affiche une volonté d’impulser des reprises en Scop. Il a créé un accompagnement et un outil de financement, Défibio, doté de quatre millions d’euros.