Quand la science perce le secret des bulles

Dennis Bunner (debout), chef de cave adjoint de la Maison Bollinger, Bertrand Robillard (assis, à gauche) et Gérard Liger-Bélair.

Sur le thème de l’effervescence dans tous les sens, c’est une conférence de haut niveau qu’a organisée l’Union des œnologues de Champagne-Ardenne dans le cadre du récent VITeff sparnacien. De quoi mettre la bulle dans tous ses états, parfois les plus improbables, pour en percer ses secrets. Morceaux d’effervescence sous forme kaléidoscopique…

Quoi de neuf dans l’effervescence ? La bulle, bien sûr, objet d’une sollicitude que l’on ne soupçonne pas forcément si l’on n’est pas membre de la communauté scientifique – ou particulièrement versé dans tout ce qui la touche de près… Car la bulle n’en finit pas de susciter des questions et, par voie de conséquence scientifique, des recherches. La petite bulle de gaz carbonique qui fait tant parler les amateurs de champagne est en réalité un objet d’études interdisciplinaires qui intéresse jusqu’aux spécialistes des surfaces planétaires (à l’image de Daniel Cordier, astrophysicien au CNRS, qui intervenait pour la circonstance) qui étudient l’effervescence dans le système solaire ! À l’occasion de la matinée technique qu’ils organisaient au VITeff, les œnologues de Champagne-Ardenne proposaient de balayer une vingtaine d’années de recherches, tous azimuts, sur le sujet.

L’ÉCHAPPEMENT DU CO2

Imagine-t-on, lorsque l’on débouche une bouteille de champagne, que le mécanisme d’échappement du gaz qui se produit alors est comparable, le temps de quelques millisecondes, à celui observé dans une tuyère de réacteur d’avion de chasse ? Étonnant, non ? On sait, d’autre part, que le CO2 dissout, décroît progressivement lors du vieillissement sur lies et qu’au-delà d’un certain temps (lui-même objet de recherches) et en dessous de 3,5 bars de pression, il ne sera plus possible d’avoir de bulles. D’où l’importance du choix de la capsule de tirage car, plus il y aura de CO2 dissout présent dans la bouteille, plus il y aura de grosses bulles, et inversement (ce qui explique aussi la finesse de bulles des millésimes anciens).

La Maison Bollinger, par exemple, travaille sur le sujet et mesure la perméabilité du bouchon de liège (selon le poids de ce dernier, sa taille, sa composition, etc.) afin de mieux comprendre et de maîtriser l’aptitude à la conservation et à la dégustation, notamment pour les vieux millésimes, dans un objectif de précision du tirage. Dans une optique identique, mais en travaillant sur le diamètre du col de la bouteille, la Maison Moët & Chandon cherche à déterminer le temps critique de maturation sur lies au-delà duquel l’effervescence aura disparue.

Mais la qualité du service influe aussi sur l’effervescence dans le verre, et trop de brusquerie peut entraîner jusqu’à 40 % de perte de CO2, soit autant de bulles en moins.

LES OCÉANS, LE CERVEAU…

Physicien et chercheur au CNRS, Thomas Séon s’intéresse à la physique de l’effervescence et au mécanisme d’éclatement de la bulle, à travers les gouttelettes ainsi générées, leur taille, la quantification de leur évaporation – évaporation qui diffuse les arômes.

Ce mécanisme d’éclatement est le même pour les bulles de champagne que pour les bulles qui se forment dans les vagues de l’océan et éclatent ensuite lorsqu’elles remontent à la surface. Or, la taille de ces bulles maritimes de CO2, la surface d’échange eau/air qui en découle, etc., ont une influence importante dans les échanges gazeux entre océan et atmosphère, participent au cycle de l’eau et… à l’évolution du climat !

Et que dire encore, de l’attitude de notre cerveau face à la bulle, autre champ d’investigation qui fait le bonheur des neurobiologistes (comme Gabriel Poussez à l’Institut Pasteur). La bulle de CO2 « balaie » effectivement l’ensemble de nos sens (jusqu’à notre ouïe, sensible au sens qu’elle émet en éclatant), transmet des émotions – positives ou négatives – au cerveau, qui en « extrait » des informations de prédiction par rapport à ce que l’on s’apprête à déguster…

Dans ce rapide tour d’horizon, comment ne pas évoquer les recherches de Bertrand Robillard (directeur R&D de l’Institut Œnologique de Champagne), spécialiste de ce que l’on trouve juste au-dessus de la bulle : la mousse. Objet fragile, la mousse est aussi un vecteur de qualité des vins effervescents qu’il faut gérer à chaque instant de la vinification. Et même avant : il existe un « effet cépage » sur la mousse (le chardonnay a tendance à donner des bulles plus petites et une mousse plus stable ; la qualité de la mousse est inversement proportionnelle à la présence de pourriture grise…).

Conclusion de Bertrand Robillard sur le sujet : « Il y a encore beaucoup de choses à découvrir ».

DE LA THÉORIE À LA PRATIQUE

Comme le soulignait in fine Gérard Liger-Bélair (le spécialiste champenois de la bulle et modérateur de cette conférence), « c’est toute la communauté scientifique qui est impliquée dans la connaissance de l’effervescence. Il y a certes une partie connaissance pure, mais l’histoire des sciences démontre que la théorie engendre toujours des applications, et c’est encore plus évident pour le champagne qui est un produit montrant son sens de l’innovation. »

Pour Wilfrid Devaugermé, président de l’Union des Œnologues de Champagne-Ardenne, « cela permet de mieux comprendre les mécanismes de l’effervescence, de mieux les maîtriser, et de faire ainsi évoluer le(s) champagne(s) ». Gageons que le public présent lors de cette conférence (quelque 230 personnes) en est pleinement convaincu.

Pour Gérard Liger-Bélair, c’est toute la communauté scientifique qui est impliquée dans la connaissance de l’effervescence.

Wilfrid Devaugermé estime que les recherches sur l’effervescence permettent de faire évoluer le champagne.