Audiences filmées, réductions de peines, déontologie des professionnels du droit… le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti a présenté sa réforme le 14 avril en Conseil des ministres. Après la nomination du député de l’Aveyron, Stéphane Mazars, aux fonctions de rapporteur, l’examen du texte par l’Assemblée nationale débutera le 17 mai. Décryptage.
Il a déjà défendu 16 projets de loi depuis son entrée en fonction, mais celui-ci revêt « une importance particulière », car il l’avait annoncé dès son arrivée place Vendôme, en juillet 2020 : ce 14 avril en Conseil des ministres, le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti a présenté un panel de mesures en faveur d’une justice « plus lisible, plus efficace, plus accessible », regroupées dans son projet de loi « pour la confiance en l’institution judiciaire » (en réalité dans deux projets de loi simultanés, l’une ordinaire, l’autre organique). Les textes se déclinent en « quatre axes forts autour de la notion de confiance », indique la Chancellerie.
AUDIENCES FILMÉES, OU « FAIRE ENTRER LA JUSTICE DANS LE SALON DES FRANÇAIS »
La confiance passe par la connaissance, c’est tout l’objet des audiences filmées (c’est actuellement interdit, sauf dans le cas de procès à valeur historique), « sur la base de l’intérêt public ». Intérêt public ? En l’espèce, « pédagogique », selon la Chancellerie, qui veut « faire entrer la justice dans le salon des Français : il s’agit de permettre aux gens de mieux comprendre la justice dans toutes les disciplines, la justice en zone rurale, en zone urbaine… » Il n’est pas question de filmer toutes les audiences, mais celles choisies par le ministère après validation des juridictions et, dans le cas d’audiences non publiques, autorisation des parties. La diffusion ne pourra avoir lieu qu’une fois l’affaire définitivement jugée, précise la Chancellerie, et ne devra pas porter atteinte à la sécurité ni à la vie privée : « par principe, les éléments d’identification seront occultés ». Le défi : éviter l’écueil « du sensationnalisme et de la justice spectacle ».
AMÉLIORER LE DÉROULEMENT DES PROCÉDURES PÉNALES
Dans le viseur d’Éric Dupond-Moretti, les enquêtes préliminaires : aujourd’hui non limitées dans la durée, elles sont d’une longueur « parfois excessive ». Le texte prévoit donc que leur durée ne devra pas excéder deux ans, avec possibilité de prolonger ce délai d’un an sur autorisation écrite du procureur. Ainsi, « aucune enquête ne durera plus de trois ans », résume la Chancellerie. Le projet de loi prévoit également que l’enquête préliminaire soit ouverte au contradictoire, si la personne a été auditionnée ou perquisitionnée plus d’un an auparavant, ou si elle a été mise en cause médiatiquement.
Sujet pour le moins délicat, le secret professionnel de la défense – « une garantie essentielle pour le justiciable », précise la Chancellerie, ajoutant qu’ « aucune impunité des avocats n’est créée par la loi ». Perquisitions et écoutes sont subordonnées à « des raisons plausibles de soupçonner que l’avocat a commis ou tenté de commettre une infraction qui fait l’objet de la procédure ». Le texte introduit aussi la possibilité de faire appel de la décision du juge des libertés et de la détention.
Le projet de loi prévoit aussi une modification de l’article 700, avec la production de justificatifs devant le juge qui, en conservant son pouvoir d’appréciation, pourra prendre sa décision sur la base d’une réelle connaissance des frais d’avocat.
Concernant la « phase de jugement des crimes », le texte prévoit le retour de la minorité de faveur (sept voix sur neuf ) « pour garantir la souveraineté populaire ».
Il est également prévu de généraliser les cours criminelles départementales, dont l’expérimentation dans 12 juridictions montre, selon la Chancellerie, une réduction des délais et du taux d’appel. Pour rappel, l’instauration des cours criminelles départementales, en 2019, visait à désengorger les cours d’assises en confiant l’examen des crimes punis de 15 à 20 ans d’emprisonnement à cinq magistrats professionnels, sans jury populaire.
Le texte ouvre enfin la possibilité, pour les avocats honoraires, d’exercer les fonctions d’assesseur dans les cours d’assises et les cours criminelles départementales, comme c’est déjà le cas pour les magistrats honoraires.
DU SENS DE LA PEINE
Le projet de loi prévoit la fin de l’automaticité des crédits de réduction de peine. Le juge de l’application des peines pourra, en fonction « de la conduite et des efforts de réinsertion » du détenu, accorder des réductions allant jusqu’à six mois par année de détention (ou 14 jours par mois pour les peines inférieures à un an).
Il s’agit aussi d’encadrer la détention provisoire, « qui doit rester exceptionnelle » : en matière correctionnelle, le projet de loi « incite le magistrat » à recourir à l’assignation à résidence sous surveillance électronique (ARSE).
Le texte prolonge aussi le principe de libération sous contrainte aux deux tiers de la peine, avec une libération trois mois avant la fin de la peine pour les peines inférieures à deux ans (paradoxal, étant donné la volonté de supprimer l’automaticité des remises de peine). Objectif : « généraliser les aménagements de peine en sortie de peine même courte, avec suivi par les services pénitentiaires d’insertion pour accompagner la sortie des détenus ».
Anticiper l’insertion et la sortie passe aussi par la création d’un statut pour les détenus qui travaillent, avec un contrat ad hoc. Objectif : « rapprocher le détenu d’une situation où il sera libre, et lui ouvrir des droits sociaux qui favoriseront sa sortie et son insertion ». Pour autant, il ne s’agira pas d’un contrat de travail de droit commun, précise la Chancellerie (lire ci-dessous).
DÉONTOLOGIE ET DISCIPLINE
Dernier volet, un coup de jeune (ou un coup tout court) sur la déontologie des professions du droit, jugée « ancienne », avec en plus une démographie en hausse depuis dix ans (+60 % d’avocats et de notaires, indique la Chancellerie). Il est donc temps de revoir les règles de discipline. Aussi le texte prévoit la création d’un code de déontologie pour chaque profession du droit, « accessible » aux particuliers qui pourront eux-mêmes saisir les instances disciplinaires. Lesquelles gagnent des pouvoirs nouveaux : mise en demeure ou astreinte. Autre nouveauté : l’instance disciplinaire devient « une juridiction disciplinaire », présidée par un magistrat.
Droit au travail des détenus
Le projet de loi vise à donner une traduction législative aux engagements pris par le président de la République à l’occasion de son discours prononcé à l’École nationale d’administration pénitentiaire (ENAP) le 6 mars 2018. Le président de la République souhaitait à cette occasion que « le droit du travail, en étant adapté évidemment à la réalité et aux contraintes de la prison, puisse s’appliquer aux détenus et, à tout le moins, que le lien qui unit l’administration pénitentiaire et le détenu travaillant en son sein soit un lien contractuel avec des garanties qui s’y attachent, et non plus un acte unilatéral avec la négation de tous les droits ». Par le rapprochement avec le droit du travail qu’il opère, ce projet de loi permet de mieux préparer les personnes détenues, majoritairement dépourvues de toute expérience à caractère professionnel, à redevenir des citoyens autonomes et responsables mais également de revaloriser l’image du travail pénitentiaire à l’extérieur pour attirer des entreprises en recherche d’une démarche de responsabilité sociétale. L’article 11 crée ainsi un contrat d’emploi pénitentiaire en lieu et place de l’acte unilatéral d’engagement qui reliait jusque-là la personne détenue à l’administration pénitentiaire. Le lien contractuel pourra unir, en fonction du régime de travail, la personne détenue à l’administration pénitentiaire et/ou à une entreprise, une association ou un service chargé de l’activité de travail. Le régime du contrat d’emploi pénitentiaire s’étendra au travail effectué en dehors de la zone de détention, sur le domaine pénitentiaire et aux abords immédiats et au travail effectué pour le compte d’un donneur d’ordre dont une partie s’effectue en dehors du domaine pénitentiaire.
Lizza Paillier, Tribune Côte d’Azur pour ResoHebdoEco www.reso-hebdo-eco.com