Les experts-comptables sont aux côtés des entreprises pour les accompagner et les aider à surmonter cette catastrophe économique sans précédent. Une crise dont il faudra tirer les leçons, assure Philippe Coulonges, président du conseil régional de l’Ordre de Toulouse Midi-Pyrénées.
Comment les experts-comptables se sont-ils adaptés à cette période de confinement ?
Dans l’urgence, une grande partie des cabinets s’est organisée en télétravail, avec pour la partie comptable, une difficulté particulière d’accès à l’information. Nos clients ne sont en effet pas forcément organisés pour mettre à notre disposition de façon dématérialisée les informations dont nous avons besoin pour traiter leurs dossiers. Cela concerne notamment les clients de proximité : TPE, artisans, commerçants et professionnels libéraux.
Il y a ensuite une autre difficulté, liée à la durée du télétravail. Cela peut en effet engendrer chez certaines personnes un sentiment d’isolement et des difficultés dans le travail. Dans ce cas, le dialogue social est primordial pour animer les équipes et maintenir tout le monde à flot, compte tenu du fait que des textes sortent quasiment quotidiennement pour répondre à la crise.
Comment faire, dans ces conditions, pour que nos équipes restent concentrées, concernées et ne soient pas découragées par l’énorme masse de travail qu’elles doivent fournir ? Car de fait, sur le plan social cette fois, nous sommes sollicités pour mettre en place l’activité partielle chez nos clients, avec, là, des difficultés d’accès au portail informatique de la Direccte et des textes successifs qui se sont complétés, entraînant pour nos cabinets un surcroît de travail considérable. Sachant, par ailleurs, que nous devons tenir compte de délais restés pour partie incompressibles puisqu’il n’y a eu aucun report de délai pour les déclarations sociales nominatives que nous devons établir tous les mois. De fait, les services sociaux dans nos cabinets ont en ce moment des conditions de travail extrêmement difficiles. Je tiens ici à remercier l’ensemble de nos équipes pour leur dévouement pour nos clients.
Quelles sont les principales demandes qui émanent de vos clients depuis le début de cette crise ?
Les services comptables ont été très sollicités, dans un premier temps, pour le report des échéances fiscales telles que les acomptes d’impôt sur les sociétés, puis le report des emprunts bancaires, ensuite pour l’obtention des aides tel- les que le fonds de solidarité. Aujourd’hui, ils souhaitent être assistés dans leur demande de prêt garanti par l’État. Nous les aidons ainsi à déterminer leurs besoins et à monter le dossier auprès de leur banquier habituel.
Pour la partie sociale, le gros des demandes concerne la mise en place de l’activité partielle avec, dans un premier temps, la demande de chômage partiel et maintenant les demandes d’indemnisation. Ce point reste extrêmement lourd et compliqué parce que le portail de la Direccte a subi des blocages du fait de l’afflux de demandes, ce qui génère encore aujourd’hui des dossiers bloqués, même s’il y en a de moins en moins. C’est très chronophage et très stressant pour nos clients. Nous devons les tenir informés et sans cesse les rassurer.
Nous sommes du reste en relation quasi quotidienne avec eux pour nous assurer qu’ils ont bien appréhendé toutes les aides mises à leur disposition et les ont bien sollicitées. Il faut aussi les aider à patienter, à relativiser. Nous commençons également à réfléchir avec eux sur les modalités de leur redémarrage.
S’agissant de la reprise d’activité justement, dans quelle disposition d’esprit sont vos clients ?
Parmi ceux qui le pouvaient, certains ont progressivement et partiellement repris, grâce aux guides parus dans certaines branches d’activité, tel le BTP. Mais il s’agit d’une reprise en mode dégradé. Et avec à chaque fois une vraie crainte des chefs d’entreprise quant à leur responsabilité en tant qu’employeur s’agissant de l’exposition de leurs salariés au Covid-19. Ils sont très vigilants vis-à-vis de cela. Ce qui explique que la reprise se fait très progressivement. D’autant que la pénurie de masques demeure.
Depuis la dernière allocution du chef de l’État, on a une date. Les chefs d’entreprise se disent qu’ils ont quatre semaines pour bien se préparer. Mais il s’agit surtout de s’organiser sur le plan sanitaire, à savoir : comment faire pour être prêt le 11 mai à mettre leurs salariés en configuration sécurisée de travail ?
Nos clients sont essentiellement des TPE, PME et quelques ETI. Dans ces structures, le dialogue social est réel, quasi permanent. Les employeurs sont très proches de leurs salariés. Ils sont dès lors très vigilants sur ces questions du respect des salariés, de la prise en compte de leur santé. Or pour que l’activité reparte en sécurité, on n’a malheureusement pas toutes les réponses, bien au contraire.
Quant aux lieux qui reçoivent du public, les restaurants, les sociétés d’événementiel, etc., ils n’ont aucune visibilité sur leur future reprise. Ça les inquiète beaucoup, sachant que nous n’avons pas d’élément complémentaire à leur apporter puisque nous sommes, nous-mêmes, en attente d’informations.
Comment jugez-vous le dispositif mis en place par l’État et la Région pour permettre aux entreprises de surmonter la crise ?
L’État a fait au mieux de ce qu’il pouvait, compte tenu de l’état des finances publiques. Tout le monde rêverait d’obtenir des exonérations de charge pures et simples, plutôt que des reports ou des prêts garantis par l’État (PGE), qui restent de la dette qu’à terme les entreprises devront rembourser. Mais la majorité des dirigeants est aussi consciente que des exonérations coûteraient extrêmement cher à la collectivité. À défaut, les mesures mises en place sont perçues comme globalement positives. Qui plus est, l’articulation du dispositif entre l’État et la Région est intéressante et appréciée. Par ailleurs, certaines branches d’activité ont mis en place des aides spécifiques. Mais tout cela va encore évoluer.
Quel retour avez-vous du terrain, s’agissant plus particulièrement du PGE ?
Les banques jouent le jeu malgré tout. Il s’agit d’un prêt, quand bien même il est garanti par l’État. Elles l’analysent de façon plus allégée pour les sociétés qui se portent bien, mais de façon « sérieuse » pour les sociétés qui étaient déjà fragiles au moment de l’arrivée de la crise du Covid-19. Ce sont ces sociétés-là qui, aujourd’hui, se plaignent de ne pas y avoir accès. Cela génère beaucoup de mécontentement et de frustration. Sachant toutefois qu’elles peuvent faire un recours auprès du médiateur du crédit.
Que faites-vous pour celles qui se voient refuser le PGE ?
Pour ceux de nos clients dont on pressent qu’ils vont essuyer un refus, nous avons un travail de communication à faire. Les banques ne se sont en effet jamais engagées à accorder un droit au crédit. C’est donc difficile de leur faire entendre que certes, sur le papier elles sont éligibles, mais que leur situation financière, à l’entrée de la crise, fait que, dans tous les cas, crise ou non, ils auraient été en difficulté. Sachant que pour certains, il faut aussi savoir apprécier la dynamique. Dans ce cas, on s’attache à démontrer aux établissements bancaires que telle société est viable financièrement et a une capacité à rembourser cette dette future. Ce n’est pas toujours évident. Cela dit, je ne jette pas la pierre aux banquiers, ils font leur job. Nous avons d’ailleurs fait une communication commune avec la Fédération bancaire française et la Banque de France pour rappeler effectivement que le PGE ne constitue pas un droit au crédit.
Estimez-vous que des leçons devront être tirées de cette crise du Covid-19?
Nous espérons tous que des leçons seront tirées de cette crise ! Et qu’on mettra réellement en avant les notions de développement durable. Cela signifie, pour moi, respecter l’environnement, travailler sur des filières courtes, relocaliser, se réapproprier nos savoir-faire et faire en sorte de produire dans l’Hexagone, au plus proche, toutes les choses dont on a besoin. J’espère aussi qu’à terme, une crise sanitaire ne se transformera pas automatiquement en crise économique. Si nous avions été mieux préparés sur le plan sanitaire, nous n’aurions pas eu une crise d’une telle ampleur. C’est ça aussi le développement durable : préparer et accepter d’avoir des secteurs qui ne sont pas rentables immédiatement mais permettent de nous sécuriser.
Quel conseil peut-on donner aux entreprises pour surmonter cette crise ?
Il faut garder une dose d’optimisme. Les chefs d’entreprise doivent s’accrocher et tenir bon. Le temps est en quelque sorte leur allié, puisqu’on les a mis un peu sous cloche. Derrière, ça prendra du temps, mais ça repartira. En espérant toutefois que l’on reparte de façon plus vertueuse.
C’est-à-dire ?
C’est-à-dire être plus vertueux avec ses clients, ses fournisseurs, ses salariés. Qu’on crée un cercle où l’on se donne les moyens de tous réussir ensemble. J’aimerais que cette énorme difficulté que nous sommes en train de vivre nous pousse vers ça.
Nous avons priorisé une forme de rentabilité à court terme qui fait que nous sommes aujourd’hui en grande difficulté économique. Je voudrais que nous adoptions un autre comportement : prioriser l’économie sur la finance à très court terme. De manière générale, je pense que nous avons des approches beaucoup trop financières et pas assez économiques. L’économie, c’est investir, thésauriser pour pouvoir réinvestir et distribuer de façon plus équitable la création de richesse entre l’entreprise, les salariés et les actionnaires. Lorsque ces trois tiers sont respectés, les entreprises ont des fondements beaucoup plus solides.