Prévention des difficultés: mobilisation générale

Alors que le gouvernement a ouvert une réflexion sur les moyens de renforcer les dispositifs existants, à Toulouse, les initiatives se multiplient.

Comment endiguer la vague de dépôts de bilans que la fin des aides de l’État et l’arrivée à échéance des PGE font craindre dans les prochains mois ? C’est notamment à cette problématique que tente de répondre la mission sur la justice économique et le rôle de l’institution judiciaire à l’égard des entreprises en difficulté conduite par Georges Richelme, ex-président de la Conférence générale des juges consulaires de France. L’objectif de cette mission, qui lui a été confiée en septembre par le garde des Sceaux, est de formuler des recommandations en vue de « mieux détecter et prévenir les difficultés » et « mieux accueillir et accompagner » les entrepreneurs.

En France, on dénombre chaque année plus de 50 000 dossiers de procédures collectives et 6 000 procédures de prévention (mandat ad hoc, conciliation) auxquelles s’ajoutent de l’ordre de 11 000 entretiens de prévention menés par les présidents des tribunaux de commerce ou un juge délégué. 70 % des ouvertures de procédures collectives se soldent par une liquidation judiciaire directe. 15 % aboutissent à un plan de cession et 15 % font l’objet d’un plan de continuation dont 70 % se terminent par une liquidation judiciaire dans les cinq premières années. La prévention des difficultés des entreprises représente donc, et pas seulement depuis la crise de la Covid, un enjeu majeur.

LES TPE ABSENTES DES PROCÉDURES DE PRÉVENTION

Aux termes de très nombreuses auditions, la mission Richelme, qui a rendu son rapport le 19 février, fait un premier constat. « Les petites entreprises, les commerçants, les artisans, les indépendants, les agriculteurs, les associations, n’ont généralement pas recours aux procédures amiables qui pourraient les protéger lorsque leur situation se dégrade. Ils ne bénéficient donc pas dans leur grande majorité de la protection qu’elles apportent et de l’accompagnement qui leur permettrait de redresser leur situation. » Pour expliquer cet état de fait, la mission énumère trois raisons : « la méconnaissance, bien souvent par manque de formation, d’information et de conseil ; le refus ou l’incapacité de se rendre compte de la réalité de leur situation ; et la crainte de l’échec qui fait assimiler le passage par le tribunal à la « faillite ». »

COMPRENDRE LES SIGNES DE DÉFAILLANCE

Or, expliquent les membres de la mission, « pour que les dispositifs de prévention soient efficacement utilisés par l’entreprise, le commerçant, l’artisan, l’agriculteur, le responsable d’association, le professionnel libéral, ceux-ci devraient correctement appréhender la gestion des risques dans le cadre de leurs activités. » Malheureusement, constatent également les rapporteurs, « la gestion proprement dite de l’entreprise – au sens générique – n’est pas un savoir partagé par tous. Or, ne pas anticiper les difficultés éloigne la possibilité de mettre en place des mesures préventives. »

Pour pallier cette difficulté, la mission propose l’instauration d’une formation pour les entrepreneurs, les artisans, les agriculteurs et les professionnels libéraux s’enregistrant ou adhérant pour la première fois au registre du commerce et des sociétés, au registre des métiers, à la chambre d’agriculture ou à l’ordre. Formation que les rapporteurs veulent rendre obligatoire. Ce faisant, la mission Richelme se positionne à rebours de la loi pour la croissance et la transformation des entreprises (loi Pacte), du 22 mai 2019, qui a justement « supprimé le caractère obligatoire de la formation relative à l’obtention de la carte d’artisan »…

Les rapporteurs entendent par ailleurs « favoriser un accompagnement comptable ». S’il « semble impossible d’imposer aux acteurs économiques le recours à un expert-comptable, écrivent-ils, en revanche il pourrait être proposé, en deçà de certains seuils à définir (chiffre d’affaires, nombre de salariés…) et en contrepartie d’une comptabilité tenue à jour, incluant le dépôt annuel des comptes et un tableau de bord réalisé par un expert-comptable ou dans le cadre d’un centre ou d’une association de gestion agréé […] qu’un avantage soit accordé aux entités économiques adhérentes à cette mesure. » La mission note toutefois que la loi de finances pour 2021 vient d’entériner la fin progressive des avantages fiscaux auxquels donne droit l’adhésion à un organisme de gestion agréé… La mission constate également que, depuis l’entrée en vigueur de la loi Pacte, qui a fortement relevé les seuils en deçà desquels les entreprises ont l’obligation de désigner un commissaire aux comptes (CAC), la majorité des entreprises qui relèvent des tribunaux de commerce se trouve exclue « du “radar” » de la détection par le biais de la procédure d’alerte », dispositif mis en œuvre par les CAC lorsqu’ils identifient des difficultés dans le cadre de leur mission légale. Alors que la profession des CAC développe de nouvelles missions contractuelles intégrant la fourniture de diagnostics et d’attestations assorties d’un devoir de prévention du tribunal de commerce en cas de risque de défaillance significatif, la mission Richelme estime que la souscription de tels contrats par les TPE-PME pourrait conditionner l’obtention de « certaines aides publiques ».

Plus généralement, les rapporteurs insistent sur la nécessité de diffuser plus largement l’information relative aux dispositifs de prévention. Des obligations en ce sens pourraient peser sur les différents partenaires de l’entreprise que sont les créanciers institutionnels et les établissements financiers, au moment du premier impayé.

ABSENCE DE MODE D’EMPLOI

Au fil de ses travaux, la mission a relevé l’existence d’une vingtaine de dispositifs d’information et de diagnostic mis en place par l’État, les collectivités territoriales, les chambres consulaires, les ordres professionnels ou encore les associations telles que les Centres d’information et de prévention (CIP). Or, observent les rapporteurs, « cette multiplicité d’acteurs intervenants sans véritable coordination représente le principal handicap de la politique de prévention de difficultés des entreprises car cela brouille la compréhension de ceux à qui ces dispositifs s’adressent ». Ainsi, alors que l’information paraît pléthorique, la mission déplore l’absence de « mode d’emploi ». « C’est donc un changement d’approche qui est nécessaire, il faut vouloir amener la prévention aux entreprises au lieu d’emmener les entreprises à la prévention ! », ajoutent-ils.

Certains créanciers institutionnels pourraient ainsi se voir imposer de nouvelles obligations avant toute assignation en cessation de paiements, par exemple « en imposant l’information du président du tribunal qui pourrait alors convoquer l’entreprise pour lui proposer l’ouverture d’un mandat ad hoc, détaillent les rapporteurs. Cela permettrait une négociation préalable avec l’entrepreneur assisté alors par le mandataire et pourrait permettre d’éviter dans bien des cas l’ouverture d’une procédure collective. »

Afin de renforcer l’attractivité des procédures amiables, les rapporteurs jugent également nécessaires de prolonger les effets des mesures mises en place par l’ordonnance du 20 mai dernier, dans le cadre de la crise de la Covid, visant d’une part à suspendre l’exécution des poursuites par le créancier pendant le temps de conciliation, mesure introduite pour rééquilibrer les positions de négociation entre créancier et débiteur, et d’autre part à doubler la durée de la période de conciliation. Ils proposent par ailleurs de faire bénéficier les cautions personnes physiques des dispositions de l’article 611-10-1 du code de commerce qui interrompt ou interdit toute action contre le débiteur pendant la durée de l’exécution de l’accord de conciliation homologué.

La mission Richelme évoque également dans son rapport la question du coût des procédures de prévention. L’ouverture d’un mandat ad hoc ou d’une conciliation emporte la désignation d’un mandataire ou d’un conciliateur dont les honoraires – qui doivent être acceptés par le président du tribunal – sont à la charge de l’entreprise. Or, pointe le rapport, « pour les plus petites structures il apparaît bien souvent que cette dépense soit un obstacle. » Durant les auditions, les représentants de la profession d’administrateurs et de mandataires judiciaires se sont engagés à faire des propositions à ce sujet.

Les rapporteurs prônent la création d’une plateforme centrale d’information sur les difficultés des entreprises. Gérée à l’échelon interministériel, elle devra être « facilement utilisable » et « connue de tous », sous peine de ne pas remplir son rôle : rendre lisible et accessible l’offre de prévention et partant, faire baisser les statistiques des défaillances d’entreprise.

Chambre de prévention, point Justice, autodiagnostic…

Au plan local, les acteurs se mobilisent pour favoriser la prévention des difficultés avec un mode d’ordre : anticiper

« Un mur de dettes », c’est l’expression choisie par Philippe Robardey, le président de la Chambre de commerce et d’industrie de Toulouse pour qualifier les difficultés auxquelles risquent de se trouver confronter nombre d’entreprises de la région, entre étalement des charges sociales et fiscales, report des échéances de prêts souscrits avant la crise, remboursement des PGE… Si les statistiques du tribunal de commerce de Toulouse font état pour l’année 2020 d’un recul historique du nombre des procédures collectives (-42 % sur l’année), les chiffres devraient sensiblement se dégrader dès le second semestre 2021 et en 2022, redoute son président Laurent Granel. Pour éviter une hausse massive des procédures judiciaires, les présidents des deux institutions ont signé le 26 février une charte d’engagements qui vise à promouvoir les dispositifs de prévention et les procédures amiables (mandat ad hoc et conciliation). De son côté, la CCI met à disposition plusieurs outils. Outre la cellule de crise créée en mars 2020 (05 61 33 66 50), les entreprises peuvent saisir son service Prévention des difficultés des entreprises (prevention@toulouse.cci.fr), effectuer un auto-diagnostic en ligne (commentvamaboite.toulouse.cci.fr). Ils peuvent également prendre contact avec le Centre d’information sur la prévention (CIP) par mail (cipdehautegaronne@gmail.com) ou prendre attache auprès du tribunal de commerce qui dispose d’une chambre de la prévention, animée par des juges consulaires, qui reçoivent dans le cadre d’entretiens confidentiels (05 61 23 38 16). Le tribunal a également mis en place une permanence sans rendez-vous qui se tient tous les mercredis matins et jeudis matins, animée également par un juge consulaire. À noter qu’à compter du mois de mars, les commerçants, dirigeants de TPE- PME, artisans, dirigeants d’association et agriculteurs peuvent également bénéficier chaque premier mercredi du mois de consultations juridiques gratuites avec un avocat spécialiste du droit des entreprises en difficulté au cœur même du tribunal de commerce de Toulouse (et de consultations téléphoniques les autres mercredis). Ce nouveau point Justice est le fruit d’une convention signée le 18 février par le Conseil départemental de l’accès au droit de la Haute-Garonne (CDAD31), le tribunal de commerce de Toulouse et le Barreau de Toulouse.