Invité du Crédit Agricole Nord Est, le géopolitologue Dominique Moïsi est venu dire à Reims sa foi en une Europe humaniste et démocratique.
Être Européen, c’est son identité profonde. Éminent spécialiste des affaires internationales, membre fondateur de l’Institut Français des Relations Internationales, le géopolitologue Dominique Moïsi plaide pour le vieux continent qu’il vénère : « L’Europe est un modèle de démocratie, c’est sa force entre des Etats-Unis à la recherche d’un nouveau souffle et une Chine hégémonique ». Invité du Crédit Agricole du Nord Est, en marge de sa conférence « L’Europe face aux défis du Monde », il répond à nos questions.
Pourquoi ce plaidoyer pour l’Union Européenne ?
« Nous avons besoin de l’Union Européenne dans un Monde qui laisse apparaître un peu moins d’États-Unis et toujours plus de Chine. L’UE, ne doit pas se contenter d’être un spectateur de l’évolution mondiale quand elle a sa place à la table des décideurs mondiaux. Même si cette Europe présente 28 nuances de gris. Ce n’est pas un rêve de croire qu’un jour l’UE présentera un front uni et s’exprimera d’une voix unanime. On a eu tort de croire que les Etats-Unis pouvaient être une assurance vie pour la paix et la prospérité du Monde. Les Etats-Unis de Donald Trump sont plutôt un risque pour la paix dans le Monde ».
La France ou l’UE au Mali ?
« De par son histoire avec l’Afrique, la France a une certaine légitimité dans son intervention au Mali. L’UE aujourd’hui est plus en mesure d’échanger en économie qu’en défense, d’autant que traditionnellement c’est la Grande Bretagne qui intervenait dans ce genre d’affaires aux côtés de la France. Oui, mais voilà le Brexit redistribue les cartes et la France se retrouve seule ».
Et après Le Brexit ?
« C’est perdant-perdant, pour l’UE comme pour les Anglais. L’Eu- rope va sortir affaiblie et la Grande Bretagne encore plus. Cependant, la Grande Bretagne restera un par- tenaire européen. Reste l’Allema- gne s’il faut évoquer un autre lea- der de l’UE. Mais, Angela Merkel n’arrête pas de s’en aller, tout en étant encore là. Elle insulte l’avenir en s’attardant au pouvoir. Elle contribue à l’affaiblissement des grands partis allemands ».
Faut-il un leadership européen ?
« Oui, mais qu’il soit clair ! Et qu’il soit porté par un leader vraiment pro-européen. Angela Merkel n’est ni Konrad Adenauer, ni Helmut Schmidt, ni Helmut Kohl. L’UE s’arrête-t-elle à l’Allemagne, à la France ou à la Grande-Bretagne ? Non et certains autres pays membres se portent bien, le Danemark, la Suède ou les Pays-Bas, par exemple. Mais il est vrai que les autres pays de l’UE, critiquent le leadership quand il va bien et qu’ils regrettent quand il ne va pas bien ».
Faut-il désirer un élargissement de l’UE ?
« On peut citer la sérieuse candidature de la Serbie, les efforts de la Macédoine du Nord, ou douter de la démocratie de l’Albanie. La question est simple : si l’UE ferme ses portes, ces pays ne feront plus aucun effort pour plus de démocratie. Sur ce thème l’UE fonctionne par capillarité. Ce n’est pas être dans l’UE qui est important mais le chemin qui y mène. L’UE doit dire que ses portes s’ouvriront, demain ou après-demain. Quant à la Turquie, qui n’est plus candidate, l’UE lui a menti. La situation est regrettable.
En termes de géopolitique, c’est la capacité militaire de l’UE qui doit être affirmée comme une priorité. C’est pour cela qu’il faut être présent en Afrique, par exemple au Mali. En Afrique, c’est aussi l’Europe que la France défend. Quand certains observateurs évoquent le coût de l’intervention de la France au Mali, il faut se poser la question du coût que représenterait la non-intervention ».
Que dire aujourd’hui de la place de l’UE dans le Monde ?
« Qu’il s’agit d’une extraordinaire réussite ! L’UE est un phare de civilisation et d’humanisme pour tous les migrants. Même si les opinons divergent parmi les Européens, il faudra retenir de l’Allemagne d’Angela Merkel qu’elle a été un exemple d’accueil pour les migrants.
L’Europe a besoin de sang neuf, mais elle ne semble pas prête. Et ce sentiment se gonfle du statut musulman de la majorité des migrants avec ce trouble qui assimile musulman et islamiste. L’Europe a tout à gagner aujourd’hui entre les USA qui s’auto-caricaturent et la Chine bien peu libérale. L’Europe dans ce contexte reste l’image modèle de la démocratie ».