Pour que les établissements munis de terrasses puissent accueillir leurs clients et les servir dans les meilleures conditions, les fournisseurs s’activent en coulisses.
Acteurs quasiment invisibles de la reprise aux yeux du grand public, les fournisseurs des restaurateurs ont mis les bouchées doubles pour permettre à leurs clients d’être prêts à temps. Pour le groupe Soredis, leader régional de la distribution de boissons auprès des professionnels, la reprise a été anticipée depuis de nombreuses semaines déjà. Car même au ralenti, même sans aide de la part de l’Etat, l’entreprise rémoise a toujours continué à tourner. Une volonté de son Pdg François Guy, relayée dans tous les services, des livreurs aux commerciaux en passant par les services administratifs. « Nous sommes toujours restés ouverts », précise Alexis Petit-Gats, directeur général du groupe. « Nous avons utilisé le chômage partiel pour une partie de notre personnel mais nous avons toujours conservé une activité pour assurer les quelques livraisons, l’accompagnement des clients et la prospection ». Au 19 mai, jour de réouverture des terrasses des restaurants, Soredis enregistrait 30% de ses clients en phase de reprise. « Il y a deux mois nous avons appuyé sur le bouton pour faire nos approvisionnements. Nous avons passé nos commandes auprès des industriels avant même que le gouvernement ait confirmé le calendrier de reprise, et ce pour être sûr d’être prêts avant les autres ».
Tony Calio, le dirigeant de l’entreprise Cali.T (Champfleury, Marne) a lui aussi dû faire preuve d’un grand sens de l’anticipation pour être prêt à répondre à ses 400 clients locaux. Grossiste en produits frais (viandes, volailles, charcuterie, fromages, épicerie fine… essentiellement artisanaux) sa clientèle est composée à 80% de restaurateurs, de la brasserie aux étoilés. Autrement dit, une clientèle particulièrement impatiente de passer à nouveau derrière les fourneaux le 19 mai. « Nous avons augmenté nos volumes d’achats ces dernières semaines pour honorer nos futures commandes », précise celui dont les équipes ont assuré 400 livraisons rien que dans la journée du mercredi 19 mai. « Les commandes ont afflué entre vendredi et mercredi ». Même si tous ses clients n’ont pas rouvert le 19 mai, pour faire face à ce surcroit d’activité annoncé, il avait même embauché deux chauffeurs et un commercial et vient d’acquérir son septième camion de livraison. Cuisinier de métier, Tony Calio connaît parfaitement les contraintes de la profession et met un point d’honneur à assurer une livraison dans les plus brefs délais. « J’ai horreur des ruptures de stock. C’est pourquoi nous prenons les commandes le soir après le service, pour pouvoir les livrer dès le lendemain matin ». D’ailleurs son équipe de 14 personnes est présente du lundi au dimanche, un agenda calqué sur celui de sa clientèle.
SE RÉINVENTER EN TEMPS DE CRISE
Le groupe Soredis, qui dispose de plus de 13 000 références « soit deux fois plus que la moyenne de la profession », a livré 25 tonnes de marchandises la semaine précédant la réouverture des terrasses, soit la moitié de ce qu’il livrait en 2019 (le printemps 2020 étant celui du premier confinement) à la même période. « Aujourd’hui, 30% de nos clients ont rouvert pour une activité équivalente à 50%, ce qui signifie que ces clients font des commandes importantes. Les caves étaient parfois vides, ce qui s’est souvent traduit par un niveau de commandes assez conséquent ».
La crise sanitaire et la mise à l’arrêt de leurs clients restaurateurs a aussi été l’occasion pour les fournisseurs de se réinventer et de mettre en place des projets qui étaient dans les cartons, faute de temps pour les concrétiser. Pour Soredis, l’année 2020 a été celle de la digitalisation. Mise à disposition d’un service de numérisation de carte de restaurant via un QR code pour ses clients, digitalisation du catalogue, modernisation du site web… « En septembre nous allons lancer un portail clients destiné aux commandes, à la présentation des nouveaux produits, notamment », explique Alexis Petit-Gats. Des nouveautés qui font leur apparition au catalogue grâce à un sourcing lui aussi effectué pendant cette période. « Nous avons tissé des partenariats avec des micro-brasseries et des spécialistes de spiritueux pour proposer des exclusivités et des produits différenciants à nos clients ». Soredis lance même une gamme de trois boissons développées par ses soins, un cola, un cola zéro et un thé glacé, avant l’apparition prochaine d’un soda bio à l’orange. « C’est un produit régional du Grand Est, artisanal et élaboré à partir d’eau de source », souligne le Directeur général. « Ce genre de produit répond à une attente des nos clients et les premiers retours sont fantastiques ».
Au gré des différents confinements, Tony Calio n’a pas lui non plus voulu se résoudre à la mise au ralenti de son activité. « Nous n’avons pas eu les aides des restaurateurs, certes, mais nous avons quand même bénéficié du chômage partiel. Par rapport à certains de nos fournisseurs en Italie ou en Espagne, par exemple, nous sommes plutôt bien lotis de ce côté là en France », précise-t-il. Sonné par le premier confinement et les perspectives de pertes de marchandises conséquentes, il a fait des dons à des associations comme la Maraude pour éviter le gaspillage et a vite rebondi.
STRATÉGIES PAYANTES
« Nous avons toujours gardé le contact avec nos clients. Et ça, c’est très important. Puis, nous sommes allés chercher de nouveaux marchés dans les boulangeries, par exemple, qui étaient restées ouvertes, pour continuer à avoir un flux de travail et faire tourner nos employés pendant cette période compliquée ». Une stratégie qui lui a permis de limiter la casse, alors que son activité était en plein essor avant la crise. « En 2019, nous avons réalisé 5 M€ de chiffre d’affaires. En 2020, nous avons fait 3,5 M€ », précise le dirigeant qui doit désormais faire face à un autre problème, de taille celui-ci : avec l’accroissement de son activité, lui et ses salariés sont à l’étroit dans ses locaux de Champfleury.
« Nous avons toujours continué à accompagner nos clients », rappelle aussi Alexis Petit-Gats, qui a dû faire face à la problématique des stocks et de l’écoulement des produits aux dates limite de consommation les plus courtes. « Nous avons fait de la prospection dans les commerces qui sont restés ouverts comme les boulangeries pour leur proposer certains produits et nous avons accompagné au plus près les clients qui faisaient de la vente à emporter. Nous avons aussi contacté des collectivités et nous avons fait beaucoup de dons », précise le Directeur général qui a refusé de brader ses produits, préférant négocier le partage de l’effort avec les industriels et les fournisseurs. « Notre métier c’est de livrer auprès des professionnels, nous ne pouvons pas nous permettre d’envoyer un message destructeur de valeur sur des produits sur lesquels les marges sont déjà extrêmement serrées. Nous avons choisi la moins mauvaise décision dans pareil cas ».
Comme Cali.T, Soredis est aujourd’hui en ordre de marche depuis plusieurs semaines pour faire face à l’afflux de commandes et de livraisons inhérentes à la reprise. « Nous avons un niveau de confiance relativement élevé dans la reprise de l’activité. Les industriels étaient globalement prêts et nous avons fait partie des premiers à être réapprovisionnés. Aujourd’hui nos entrepôts sont pleins. »
Les feux sont donc au vert pour la reprise, les restaurateurs peuvent être rassurés, ils pourront servir à leurs clients leurs produits préférés, plus quelques nouveautés.