Par Chloé Guillot-Soulez, maître de conférences en sciences de gestion, IAE Lyon School of Management, Université Jean Moulin Lyon 3 et Claude Roussillon Soyer, docteur en sciences de gestion, management des ressources humaines, université Toulouse, UMR LISST, ENSFEA
Aimeriez-vous avoir une meilleure rémunération ? Votre réponse sera sûrement oui. Êtes-vous tous les jours motivés dans votre travail ? Votre réponse sera cette fois sûrement plus nuancée. Ces deux questions ne sont-elles pas en partie liées ? Peut-être pensez-vous, comme la grande majorité des managers, que le but de la rémunération est d’inciter les salariés à faire de leur mieux. Autrement dit, plus de rémunération équivaudrait à plus de performances. Néanmoins, suffit-il de distribuer des primes pour augmenter les performances des collaborateurs ?
Prenons l’exemple de la coopérative Vinovalie : si chaque palette de son produit rosé piscine vendue rapportait une prime de 100 € au commercial, quels résultats pourrions-nous observer ? Certainement une hausse des ventes de rosé piscine… mais aussi une chute des ventes sur les bouteilles de Tarani, une autre référence proposée, pour lesquelles aucune prime n’existe.
En outre, une compétition entre les vendeurs, des comportements déviants et une perte de leur créativité apparaîtraient certainement aussi. Les vendeurs pourraient se mettre à travailler uniquement pour obtenir cette prime et plus pour satisfaire le client. Mettre en place des primes en fonction de la performance peut également susciter des problèmes de santé mentale sérieux chez les salariés.
LA TÊTE, LES MAINS ET LE CŒUR
La question reste alors entière : comment faire pour obtenir de meilleures performances de la part des employés, mais surtout comment permettre aux salariés de cultiver leur plaisir au travail tout en gagnant plus d’argent ? La théorie de l’autodétermination suggère que la motivation autonome (agir de sa propre initiative, par conviction ou par plaisir) serait un facteur prégnant de la performance au travail.
Une recherche quasi expérimentale menée au sein de cette même coopérative vitivinicole, Vinovalie, permet de mieux comprendre les liens entre rémunération, motivation autonome et performance des salariés. Les résultats permettent d’isoler deux grands principes pour le management de la rémunération fixe et variable.
Principe n° 1 : la rémunération fixe, un signal du soutien organisationnel
La rémunération fixe peut être pensée et gérée comme le signal que l’organisation soutient ses salariés. Le soutien perçu de la part d’une organisation est le signe que cette dernière valorise et est fière des contributions de ses salariés et qu’elle prend en considération leurs objectifs et leurs valeurs.
Il s’agit de remettre au cœur de l’évaluation des salariés la valorisation de leurs compétences, leur autonomie (autrement dit la liberté de s’organiser comme ils le souhaitent pour réaliser leur travail) et leur sentiment d’appartenance sociale (c’est-à-dire la possibilité de créer des liens d’amitié sur le lieu du travail).
De plus, il apparaît clairement qu’au-delà du niveau de salaire, la façon dont la rémunération fixe est administrée et gérée est déterminante pour en faire un outil de soutien et de reconnaissance de la part de l’entreprise. Une stratégie de rémunération basée sur le soutien du salarié va permettre de développer sa motivation dans le sens du plaisir au travail, qui à son tour, va accroître son engagement physique, moral et cognitif (la tête, les mains et le cœur) et sa satisfaction au travail.
Principe n° 2 : les primes variables individuelles de performance, un élément de rémunération à manier avec précaution
Les primes sur performance peuvent être distribuées à différentes occasions dans l’idée de valoriser un travail. La littérature sur les rémunérations contingentes met en lumière l’existence d’un effet conjoint indéterminé de ces primes sur performance et de la motivation autonome (dans le sens du plaisir au travail) sur la performance au travail.
D’après la théorie de l’auto-détermination, ces primes seraient, dans une logique instrumentale, antinomiques avec la motivation autonome, car elles auraient pour effet de contrôler les comportements et de réduire l’autonomie dans la réalisation d’une activité. Elles agiraient donc de façon contre-intuitive sur les niveaux de motivation et de performance des salariés.
Face à ces débats théoriques, cette même étude menée au sein de la coopérative Vinovalie apporte des éléments de compréhension de l’effet conjoint des primes individuelles de performance et de la motivation autonome sur la performance au travail. Il apparaît que les primes individuelles renforcent significativement l’effet de la motivation autonome sur les différentes facettes de la performance lorsque la motivation autonome est déjà élevée dans l’organisation.
Inversement, lorsque le niveau de motivation autonome est faible, les primes individuelles de performance dégradent la performance au travail. Les primes de performance individuelles doivent donc être manipulées avec beaucoup de prudence et d’expertise afin d’éviter leurs effets néfastes. Intégrer ces primes dans la politique de rémunération ne favorise pas toujours la motivation des salariés.
UN OUTIL DE RECONNAISSANCE
La rémunération fixe contribue à construire une relation basée sur la confiance, le salaire étant fixé et versé avant même que la performance à court terme ne soit évaluée. Cet élément de rémunération envoie un signe de confiance au salarié et est interprété comme un signe de soutien de la part de l’organisation.
De plus, si l’organisation fait un effort préalable d’amélioration de la motivation autonome, via ses pratiques managériales et son organisation interne, les primes pourront venir renforcer la motivation autonome en vue de réaliser des performances accrues. Autrement dit, une prime de performance individuelle peut renforcer le comportement préalablement adopté. En revanche, elle n’inciterait pas à modifier un comportement.
Sur le plan des recommandations pratiques, cela signifie qu’il est illusoire d’attribuer des primes pour modifier durablement des comportements. Les entreprises auraient plutôt d’abord intérêt à mettre en place des conditions organisationnelles de nature à favoriser la motivation autonome. Une fois ce travail réalisé, les primes individuelles pourront être utilisées comme un outil de reconnaissance des salariés, avec comme conséquence, des performances individuelles accrues.
Cependant, si le travail de fond n’est pas réalisé et si le niveau de motivation autonome reste faible, l’utilisation des primes individuelles risque d’entraîner une dégradation des performances individuelles.
Article paru le 28 juin 2020 sur le site theconversation.com