Perspectives prudentes après une année 2020 en baisse dans l’ensemble des juridictions

Jean-Marie Soyer, Président du Tribunal de Commerce de Reims.

Baisse de 30% des décisions aux Prud’hommes, de 25% pour le Tribunal de Commerce et de 27% en matière correctionnelle pour le Tribunal Judiciaire, une année 2020 sans surprise en baisse pour les juridictions rémoises.

Il ouvre des perspectives aux prud’hommes, regrette la discrimination à l’égard des commerces non essentiels et salue le nouveau budget de la Justice, le Procureur Matthieu Bourrette, dans un numéro de malice bien rodé, ponctue chacune des trois rentrées solennelles, Conseil de Prud’hommes, Tribunal de Commerce et Tribunal Judiciaire, avec la finesse d’un artiste la tête dans l’idéal et les pieds solides au parquet.

UNE ANNÉE AU RALENTI POUR LE CONSEIL DE PRUD’HOMMES

L’année 2020, avec deux confinements et un couvre-feu, s’est soldée par une augmentation de 6% des affaires nouvelles et une baisse de 29% des affaires terminées, les premières passant de 694 à 735 et les secondes de 749 à 533. Si la crise n’a pas freiné les conflits en entreprises, elle a largement ralenti le travail des conseillers prud’homaux.

Classées en cinq sections, les affaires nouvelles ont progressé de 42% dans les activités diverses et de 26% pour l’encadrement, elles ont baissé de 7% pour le commerce et de 3% pour l’industrie. Elles se sont main- tenues au même niveau dans l’agriculture. Commerce et Industrie composent près de 54% des affaires nouvelles et 60% des affaires terminées du Conseil de Prud’hommes de Reims en 2020.

En moyenne, près d’une affaire prud’homale sur trois fait l’objet d’un appel. Le taux de 29% en 2020 est supérieur de 2 points à celui de 2019. C’est dans l’industrie que ce taux est le plus fort en 2020 (51% avec une augmentation de 19 points). Le taux de la section encadrement a baissé de 19 points, passant de 38 à 19%.

Une affaire aux Prud’hommes de Reims aboutit en moyenne en un peu plus d’un an : 13,1 mois en 2020, contre 12,6 mois en 2019. Les sections industrie et encadrement connaissent les délais de résolution les plus longs : respectivement 18,2 et 13,2 mois. Ce délai est en hausse dans l’encadrement et en baisse dans l’industrie.

TRIBUNAL DE COMMERCE, LE CALME AVANT LA TEMPÊTE

Sur fond de baisse des immatriculations d’entreprises toutes catégories confondues (-12,3%) et d’augmentation des procédures conjuguées, immatriculation, modification et radiation (+ 33,3%), l’activité juridictionnelle du Tribunal de Commerce de Reims affiche une dégradation de 24,6%, le nombre de décisions, toutes affaires confondues, passant en 2020 de 8 648 à 6 520.

Dans cet ensemble, les statistiques annuelles de l’institution indiquent une baisse de 11% des décisions en matière de contentieux général, de 45% en matière d’injonction de payer et de 32% pour les ouvertures de procédures collectives. Un bilan qui fait dire au Président Jean-Marie Soyer : « Notre sous-activité est connue, elle se situe dans la moyenne nationale, de l’ordre de 40% par rapport aux années précédentes, nous n’avons eu que peu de dépôts de bilan à traiter et quand ceux-ci ont été demandés, c’était bien souvent, à 75% contre 60% en 2019, des demandes directes de mise en liquidation judiciaire ».

Dans son intervention de rentrée solennelle, le Président Soyer a précisé les axes de travail de son tribunal: un souci permanent de formation des juges, y compris par l’intermédiaire du e-learning, avec l’annonce d’un plan personnalisé sur quatre ans, un chantier sur le thème de la déontologie, indépendance du juge et impartialité effective, sans oublier l’inoubliable en ces temps de distanciation : la transformation numérique de la justice économique. Sur ce sujet, Jean-Marie Soyer précise : « Pour encourager cette transformation et démontrer en pratique sa pertinence, les chantiers sont nombreux: la signature digitale des décisions, la formation décentralisée des juges, l’attribution à chaque juge d’une adresse dédiée et normalisée ».

Observateur privilégié de la situation économique, le Président met l’accent sur la générosité de l’Etat qui permet le sauvetage des problèmes de trésorerie de certaines entreprises, tout en s’interrogeant sur la durée d’une telle situation.

Aux problèmes à venir, au sortir de la crise, le Tribunal de Commerce de Reims brandit l’arme de la prévention : « Notre volonté est d’aller encore plus en amont à la rencontre des entreprises pour leur expliquer ce que nous pouvons faire avant qu’il ne soit trop tard ».

En conclusion de son intervention, c’est la prévention qui s’est encore imposée, comme s’il ne fallait retenir qu’elle : « La prévention est l’affaire de tous, elle a besoin d’être mieux connue, elle ne doit pas effrayer les dirigeants… C’est un combat qui nous tient à cœur, c’est un combat de tous les jours, dont on imagine qu’il sera le combat de 2021 ».

UNE ACTIVITÉ PLUS SOUTENUE AU PÉNAL POUR LE TRIBUNAL JUDICIAIRE

Des statistiques du Tribunal Judiciaire, commentées par la Présidente Marie-Josèphe Bart, on retiendra pour la Chambre civile une baisse des dossiers nouveaux de 16% et des affaires jugées de 31%, une baisse également des affaires familiales de 15% en entrée et de 35% en sortie, comme pour les procédures d’exécution, de 33% en entrée et de 31% en sortie. Il en va de même pour les référés et les ordonnances sur requête, -26% pour les nouveaux dossiers et -21% pour les sorties, ainsi que pour les commissions d’indemnisation des victimes avec respectivement -21 et -49%.

Les jugements rendus au tribunal correctionnel baissent de 27%, avec une baisse des intérêts civils de 44%. Les nouveaux dossiers à la chambre de l’instruction sont en hausse de 23%, et les dossiers clos en baisse de 21%. Les affaires nouvelles traitées par le Parquet diminuent de 17% et les ouvertures d’informations judiciaires sont en hausse de 23%. Enfin, les exécutions des peines sont quasi stables et les dossiers en attente ont fortement baissé (-63%).

UN PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE ENTRE RÉALISME ET OPTIMISME

En préambule à ses réquisitions d’ouverture de l’année du Conseil des Prud’hommes, le Procureur de la République constate une année 2020 qui n’a pas été de grande production judiciaire sociale, avec une baisse de 35% des décisions rendues. À cause de la crise sanitaire ? « Le virus n’a pas été le premier à s’attaquer à la justice sociale ». Matthieu Bourrette se lance dans un historique de trente années d’affaiblissement des Prud’hommes, avant d’en arriver au télétravail et de conclure:

« La crise que nous connaissons est une formidable occasion pour les Conseils de Prud’hommes de connaître un regain de vigueur… En écrivant avec imagination et intelligence, le temps des années 2020, celui de la dématérialisation et du transfert de l’espace de travail qui doit demeurer encadré par la loi et interprété par le juge social ».

Devant les juges du Tribunal de Commerce et en soulignant que leur activité n’a pas été interrompue durant la crise, le Procureur de La République se pose la question de l’essentiel et du non essentiel des commerces : « Et nous, juridiction commerciale, parquet commercial, sommes-nous encore essentiels si une partie de notre clientèle ne l’est plus totalement ? » Pour Matthieu Bourrette, sur ce sujet, l’avenir pourrait bien être celui-ci : c’est quand elles auront disparu que l’on se rendra compte que les entreprises non essentielles sont utiles et importantes. Mieux encore : pourquoi, s’interroge le Procureur de la République, ne pas avoir associé, à titre préventif pour l’avenir, les tribunaux de commerce à l’attribution des prêts garantis par l’Etat ?

Enfin, devant le Tribunal Judiciaire, Matthieu Bourrette salue la constance de l’institution : jamais le tribunal n’a été fermé, jamais l’activité juridictionnelle n’a été stoppée et pourtant : « On a manqué de tout, de masques, de gel, de visières, on a travaillé à distance sans informatique appropriée ». Mais plutôt que de sa lamenter sur une justice indigente devenue impuissante, le Procureur salue le nouveau budget de la Justice, un personnel enfin au complet et des moyens pour mieux travailler encore.

Marie-Josèphe Bart, Présidente du Tribunal Judiciaire de Reims.

Michel Conforti, Président sortant du Conseil de Prud'hommes de Reims.